Le dernier jour d’école
Et si cela devenait un rituel ?
J’ai toujours pesté contre la lente dégradation de la fin de l’année scolaire : ce temps qui file en quenouille. Tout est fait dans les collèges et les lycées pour décourager les élèves de venir, pour leur souffler au creux de l’oreille qu’ils feraient mieux de rester chez eux. Les élèves, d’ailleurs, n’ont pas besoin de se l’entendre dire longtemps et écoutent avec une spontanéité rare le conseil de leurs enseignants.
Ainsi, les deux dernières semaines de l’année scolaire sont-elles un long effilochage, un temps vide de contenu et d’enthousiasme qui s’achève dans l’indifférence générale. Les élèves partent sans même se dire au revoir, l’année finit en quenouille : personne ne sait dire où se situe le seuil qui conduit aux grandes vacances. Comment voulez- vous dans de telles conditions que l’année suivante puisse débuter convenablement, d’autant que la rentrée se déroulera, elle aussi, sur ce régime de l’intermittence et des retours différés, décalés, discontinus..
L’école primaire échappe à cette déliquescence programmée. Élèves et enseignants sont les derniers à rester en place jusqu’à la date fixée par le ministère, à garder le cap. Il y a là une difficulté à accepter d’être les seuls à continuer à travailler quand autour de vous, collègues, grands frères et grandes sœurs sont déjà à la maison. Mais nous ne devons nous étonner de rien dans un pays qui ne sait plus respecter la moindre règle commune, le plus petit rituel collectif.
Autrefois, la fin des classes était un moment fédérateur parfaitement repéré par tous les enfants. La même date pour tous, un temps fort avec la remise des prix et une après-midi récréative au terme de laquelle tout le monde, adultes et enfants se souhaitaient en commun et de bon cœur de bonnes et grandes vacances. C’était il y a si longtemps, quand l’école se respectait encore elle-même ...
Il n’est inutile d’espérer un retour en arrière. La société se fragmente, les repères se dissolvent, la loi stupide des nouveaux temps scolaires a brisé la référence commune qui faisait que toutes les écoles primaires de ce pays avaient les mêmes horaires. Individualiser, fragmenter, disperser, ce sont des exigences pour qu’un pouvoir à bout de souffle se maintienne en place dans une nation qui ne croit plus en son destin.
Alors quand Madame la Maire de Bou, ce charmant village ligérien, m’a demandé d’accompagner le dernier jour de classe des enfants scolarisés dans sa commune, je ne pouvais qu’accepter avec enthousiasme sa requête. Toute l’école allait se rendre à pieds au port de La Binette, en bord de Loire. Un parcours de près de deux kilomètres sans que les parents s’indignent d’un effort trop considérable pour leurs chers petits chéris : le miracle était déjà en marche.
Un pique-nique, quelques jeux, un moment de convivialité et de loisir pour marquer le dernier jour de classe et en prime, un escogriffe avec une tenue étrange qui venait raconter des histoires ; tout cela avait des allures plaisantes. Je demandai à Casimir de me rejoindre pour offrir en prime quelques chansons. La Malice jouant le rôle du trublion pour distraire les enfants. Nous donnions ainsi un caractère symbolique à cette journée pour clairement marquer le terme de l’année scolaire, tout en évoquant le Loire, sa faune, son histoire avec un désir de rester dans un cadre pédagogique.
Ce fut un moment délicieux. Les enfants assis, face à la Loire, avec en arrière-fond sonore le chant des grenouilles. Le soleil, invité surprise qui nous boudait depuis trop longtemps, donna des couleurs de fête à la cérémonie laïque. J’avais bien sûr le trac. Comment les enfants allaient-ils recevoir mes histoires qui ne sont pas particulièrement écrites pour eux ?
J’avoue avoir été agréablement surpris par leur écoute, leur participation, leur plaisir. Je découvrais grâce à eux que je pouvais, en adaptant un peu mon vocabulaire et mes récits, m’adresser à un jeune public. Je devinais déjà les nouvelles orientations que je pouvais donner à mon activité de Bonimenteur-conteur. Mais ce qui comptait surtout, c’est que nous avions indiqué clairement à ces enfants que l’année scolaire s’achevait après cette rencontre impromptue.
Amateur de moments symboliques pourvu qu’ils échappent aux institutions, aux discours et aux églises, je goûtais pleinement ces instants magiques : les enfants reprenant une de nos chansons, frappant dans les mains, écoutant en silence et sans bouger, un conte. Ils partirent heureux et nous l’étions tout autant qu’eux.
Nous nous donnâmes rendez-vous pour l’année prochaine. Un rituel pouvait naître, un rendez-vous qui reviendra ainsi pour scander le passage des années, la marche du temps. C’est ainsi que l’on peut grandir vraiment, s’offrir un repère identifiable et mémorable. C’est ce qui manque à notre école ; celle de Bou allait échapper à cette carence tout en m’ouvrant de nouvelles perspectives et m’incitant à explorer le domaine des contes pour enfants.
Je me souvins alors que j’avais proposé à ma hiérarchie, lors de mon départ en retraite, de venir gracieusement dans les écoles pour raconter la Loire. Je n’ai sans doute pas le bonheur de plaire aux gens des bureaux ! Je ne reçus aucune proposition. En dépit de l’indifférence hiérarchique, je suis allé, sans passer par les autorisations officielles, à la rencontre de quelques classes. Je compte continuer à agir ainsi sans rien attendre de nos chers technocrates. Il n’est, en effet, rien à espérer des instances et si, parmi les lecteurs, il y a des enseignants, qu’ils me fassent signe sans rien dire à personne : ce sera un plaisir pour moi de venir dans leurs classes.
Vacancièrement vôtre
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON