« Le jardin » de Brigitte Buc, au Théâtre des Mathurins
Sous les auspices du prénom féminin à la mode sur les planches parisiennes en ce début de saison 2006-2007, c’est donc une Isabelle qui va faire la pluie et le beau temps dans le jardin de Brigitte Buc, symbolisé par Alain Chambon sous une petite musique de Jean Bouchaud.
Quatre personnages esseulés par la perfidie de la vie l’accompagnent dans un jeu du chat et de la souris où ensemble ils abandonnent leurs affects aux aléas d’une mélancolie fédératrice.
Déphasés les uns par rapport aux autres, il réussissent néanmoins l’exploit, en déambulant durant une heure et demie autour d’un lopin de verdure, à peindre par petites touches ajustées les rebonds d’un mal-être existentiel où la métaphore d’une société célibatante se coltine avec les clichés caducs de la famille traditionnelle.
Tous les maux du monde moderne occidental effleurent leur propension à s’inspirer de la tête enfouie de l’autruche alors même que le ciel est d’un bleu limpide et que fortuitement il y aura toujours une bonne âme pour secouer les autres de la torpeur communicative.
Si le ton de l’auteur est poétique, son propos est de ramener sans cesse les protagonistes à leurs frustrations amoureuses, sociales, professionnelles et même métaphysiques. En effet les gens actuellement, remarque l’un d’entre eux, ne sont pas heureux parce que précisément, ils sont sans cesse à la recherche du bonheur. Auparavant chez les anciens, cette quête n’existait pas et d’ailleurs n’aurait guère eu de sens.
Isabelle Gélinas, puisque c’est donc d’elle qu’il s’agit, compose en la circonstance le portrait de Jeanne, une mère devenue acariâtre et envieuse en élevant seule son enfant sous la veille culpabilisante du modèle social tronqué. Pour Philippe (Guillaume de Tonquédec) et Antoine (Marc Fayet) les deux personnages masculins en présence, c’est la même chanson de l’impasse professionnelle plus ou moins latente et enveloppée sous des bravades sociales qui font long feu des déceptions du conjugal, de la paternité et de l’amour.
Le troisième âge incarné par Suzanne (Annik Alane) n’est pas en reste avec son cortège d’embarras pour tenter, en réflexe de survie, de susciter autour d’elle le goût perdu de la joie de vivre.
Quant à Violette (Cécile Rebboah) en mal de sa province, la plus jeune représentante de ce potentiel féminin, elle aura aussi sa part d’insatisfactions quotidiennes et de traumatismes à gérer au mieux de la dénégation exhibitionniste, par exemple.
Bref, tout ce voisinage de quartier s’étant regroupé dans la solidarité affective pourrait surmonter tant bien que mal toutes les misères du monde qui ainsi les tenaillent... si toutefois le coup de grâce ne leur était asséné par l’annonce de la fermeture prochaine de ce jardin, lieu par excellence de rencontre fort profitable... pour cause officielle d’insécurité.
Plus roman à thème qu’acte théâtral, cette première pièce de Brigitte Buc a le mérite de placer subtilement les enjeux psycho-sociaux bien en vue sur le banc du square, mais prend le risque, en les abandonnant à leur errance, de les laisser se démonter inéxorablement sous nos yeux dans des « lieux communs » jusqu’à admettre avec un sourire désabusé, la clôture sans appel d’un éventuel « paradis terrestre ».
LE JARDIN - ** Theothea.com - de Brigitte Buc - avec Marc Fayet & Isabelle Gélinas - mise en scène : Jean Bouchaud - Théâtre Hébertot
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