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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Les biopics français sont-ils si passéistes que cela ?

Les biopics français sont-ils si passéistes que cela ?

Ces derniers temps, chez nous, dans notre douce France, on a eu le droit, jusqu’à l’overdose, à moult sorties de biopics (biographical pictures, ça vient des States !) - de la belle ouvrage à la papa-maman - consacrés à des figures-icônes du passé. Un coup, c’est Molière par Laurent Tirard (sorti en janvier), une fantaisie plutôt platounette a priori, puis un Jean de la Fontaine avec Lorant Deutsch sorti en avril dernier (pas terrible, il faut bien l’avouer) ou encore La Môme sur Edith Piaf, pourquoi pas ? me direz-vous, pas de quoi piaffer semble-t-il - pour autant on a ainsi la désagréable impression que notre pays se complaît dans l’image de la France patrimoine qui opposerait la culture « noble » (celle des artistes du passé, on ne prend pas de risques), tendant obstinément vers la muséification, l’empaillage style bonbonnière, la boutique d’antiquaire et les statues de cire poussiéreuses, à une production artistique moderne, contemporaine, vivante, éphémère, malicieuse, dérangeante, pouvant faire avancer le schmilblick artistique et les mentalités. Cependant, j’ai relevé dans deux des biopics mentionnés précédemment deux ou trois choses intéressantes pour éclairer notre contemporanéité. Les voici :

MOLIERE, tout d’abord il faut prendre ce film de Laurent Tirard comme un Molière in love autour de Jean-Baptiste Poquelin, à savoir comme une fantaisie mettant en abîme l’œuvre et le personnage, auteur, vedette, chef de troupe et accessoirement... homme amoureux. Oui, on n’a pas affaire à un pensum pontifiant mais plutôt à un amuse-gueule et, par rapport à la fresque épique, éponyme et fameuse d’Ariane Mnouchkine (ils auraient pu au moins changer le titre !), Tirard botte habilement en touche. On aurait pu craindre, avec cette comédie dramatique en costumes façon Marquise ou Beaumarchais l’Insolent, un énième biopic perruqué style « qualité France », monté comme une montagne de chantilly indigeste, mais, que nenni ! C’est un Molière relax, sans la poussière, loin des années soporifiques de lecture scolaire rasoir. Romain Duris, plein de panache, lui donne même un côté "rock star" désinvolte, il est tour à tour fougueux, romantique, acrobate, insolent, sarcastique, comique, racé, pathétique, bref... charmeur en diable et son histoire d’amour impossible avec la belle Mme Jourdain/Laura Morante apporte un parfum de mystère (comme chez notre génial auteur « classique » de tragi-comédies) et une profondeur lyrique à ce film-cocktail, un film-champagne qui mixe énergiquement quasi tout Molière... pour le prix d’un (film) ! ! Vas-y Momo... Molière !

Et il faut souligner que l’on reconnaît aussi un grand acteur à son éclat, à son imagination (de jeu) et alors là, la scène où Romain Duris donne des cours de théâtre (imitation de différents types de chevaux) à l’inénarrable et trublion M. Jourdain/Fabrice Luchini est à inscrire dare-dare aux programmes des écoles de théâtre et de cinoche, un vrai travail de Romain ! Duris nous incarne trois chevaux différents - un percheron, un cheval de selle français et un andalou - avec une maestria et un naturel confondant, on y croit ! In fine, il faut préciser qu’avec ce spectacle enjoué et joyeux, on ne s’ennuie pas une seconde sans pour autant tomber dans la grossièreté ou la vulgarisation, on plonge tout de go dans une ambiance « Molière » pleine d’entrain, de quiproquos drôlissimes et de dialogues excellents qui font bien souvent mouche (avouons-le, la langue de Molière y est tout de même pour quelque chose...). Bref, c’est un film qui sans en avoir l’air, sait cultiver l’autoparodie (théâtre dans le théâtre, film dans le film, acteurs en jeux de miroirs - Edouard Baer y campe un « dandylettante » assez jouissif, sachant jouer de son image de cabot je-m’en-foutiste) et gagne habilement son pari : son récit enlevé et surprenant, mélangeant œuvres réelles et expérience fictive, est distrayant à souhait, un vrai carnaval ! On peut certes regretter une réalisation limite platounette, mais c’est un film malicieux plutôt attachant parce que sortant pas mal des sentiers battus. On regrettera aussi qu’il ne soit pas plus "pop" à l’instar du rafraîchissant Marie-Antoinette de Sofia Coppola (Un Molière en Converse ? Ah non, c’est Bigard ça, passons notre chemin...) et la fin, très plan-plan - qui rabat simplement, voire de manière simplette, toute l’oeuvre de Molière à ce qu’il aura vécu dans sa "vrai vie" et qu’il couchera après, tel un bon scribe guère inspiré, sur le papier : avouons-le, cette sortie-là est trop ronronnante, trop train-train, trop facile. A part ça, vas-y Momo ! On te suit pour avoir remis en quelque sorte au goût du jour, et sans le trahir (voire en ce moment aussi la mise en scène survoltée du Misanthrope par Lukas Hemleb à la Comédie-Française jusqu’au 20 juillet 2007), Molière.

Passons au suivant ! Entendue dans le poussiéreux et plutôt poussif JEAN DE LA FONTAINE, LE DEFI ( biopic tourné en 1542 par le réalisateur du Retour de Martin Guerre ? Je blague ! ) la fable suivante (La Cour du Lion) - « Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître / De quelles nations le ciel l’avait fait maître... Ne soyez à la Cour, si vous voulez y plaire / Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère / Et tâchez quelquefois de répondre en Normand. » - qui éclaire bien, je crois, notre chère France bataillant depuis des lustres, voire éternellement (?), entre le privé et le public, entre l’art et les censeurs, l’art et l’Etat, son autorité culturelle via... le ministère de la Culture - un clergé culturel fonctionnant trop en vase clos (depuis Malraux ?) au service de certains notables nantis de la République culturelle ? Ici, je ne cherche pas à soigner ma droite extrême et à faire mon Le Pen à la petite semaine, réac et poujadiste, parlant il y a quelques mois sur TF1 de la « Kultur » désignant « la culture élitaire pour tous et l’art contemporain, des FRAC - fonds régionaux d’art contemporain -, et [ cet art soi-disant ] archétype de l’abomination, de la décadence et de la dépense inutile », réduisant ainsi amèrement cet art comptantpourien « à des amoncellements de valises, ou pire encore... » ( sic ), oui, je critique ici un système, un possible « art d’Etat », pas l’art français en soi, ni nos artistes, nos plasticiens, nos architectes (en tout cas, pas tous...), loin de moi cette idée.
Pour autant, le constat de La Fontaine me semble toujours actuel, hélas. Eh oui, trouver le juste milieu (qui prône souvent la responsabilité citoyenne en guise d’alibi pour un consensus et des formes molles, dirait un Dali) entre l’homme à fables et l’homme affable, entre le fabuliste et l’affabulateur, hélas c’est le lot, aujourd’hui, de moult artistes (officiels) ayant (François) pignon sur rue, fréquentant les puissants, et des politiques actuels - pas tous ! - qui ne sont autres que des comédiens et autres agents de com vendant leurs images dérivées d’images, donc des super bonimenteurs, avançant désespérément masqués. Des exemples de ces glissements progressifs du... piston-promotion ? On apprend par-ci par-là que certains adeptes de la "gérontocratie druckero-chiraquienne" et autres trouvent des places au chaud, qui est au Palais de Tokyo, qui à Beaubourg, qui à la Bibliothèque nationale de France, suivez mon regard, et il fût un temps bien sûr où c’était la gauche au pouvoir qui pratiquait à satiété le jeu des chaises musicales et des vases communicants. Oui, malgré notre goût baudelairien fort prononcé pour l’art et ses puissances du faux, méfiance.
Alors oui, si ce film Jean de la Fontaine, le défi a un intérêt, c’est surtout, selon moi, pour rappeler ces zones de turbulences en eaux troubles entre l’art et le pouvoir qui ne datent pas d’hier - que l’on soit, d’ailleurs, en monarchie ou en démocratie, gardons l’oeil ! Et notre Jean de la Fontaine, dans ce biopic, est bien montré comme un poète contre le pouvoir en place. Du temps de la Fontaine, "inattaquable" parce que populaire, même face à un monarque absolu la vox populi demeure plus forte. D’ailleurs, le réalisateur Daniel Vigne, dans une interview, rappelait bien la libération (masquée) de la parole et la face rebelle du personnage de La Fontaine : "Quand j’étais enfant, je trouvais La Fontaine au mieux amusant, au pire ennuyeux. Avec la maturité, j’ai appris à aller là où l’auteur avançait masqué et j’ai découvert un homme dans un conflit permanent avec le pouvoir en place, ce qui n’est pas pour me déplaire. Aujourd’hui, La Fontaine est partout sans qu’on le relève vraiment, les humoristes se sont emparé de ses animaux, et les hommes politiques de ses maximes, on le cite au journal télévisé. Ce qu’il disait de la cour et du Roi dans ses fables les plus ouvertement politiques comme Les Animaux malades de la peste, La Cour du Lion, est plus que jamais d’actualité. Il a conspué les flatteurs et la langue de bois, comparé la cour à un charnier, pointé le danger qu’il y a à laisser un homme seul diriger un pays ! A méditer, non ?... Bonnes toiles.


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