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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « Les malades précieux » de Obambé Ngakosso

« Les malades précieux » de Obambé Ngakosso

Il est des lectures qui rejoignent les débats du moment. Elles s’inscrivent tellement bien dans la réflexion de l’instant qu’elles paraissent être des mannes du ciel envoyées avec la mission céleste de conforter nos positions. "Les malades précieux", première publication de Obambé NGAKOSSO, a de ce point de vu rempli sa fonction.

"Les malades précieux" , recueil de onze nouvelles contient, pour moi, ce qu’il faut pour faire un bon livre : du contenu, du fond. En onze nouvelles, Obambé NGAKOSSO nous plonge dans les vies banales des africains d’aujourd’hui. En onze nouvelles, Obambé NGAKOSSO nous prends par la main et nous invite à confaire la connaissance de ces gens, petits ou grands, méritants ou corrompus, charismatiques ou veules, qui constituent le quotidien des villes du continent. Des villes d’Afrique noires francophones s’entend bien. Je ne prétends pas connaitre sur les bouts des doigts l’immensité de ce continent. Mais je mettrai mon annulaire à couper qu’Abidjan, Douala, Bangui, Dakar, Kinshasa, Brazzaville… se reconnaitront dans ces vies qui sont, à quelques nuances près, les leurs. Quand bien même le doigt de l’auteur pointe avec force Brazzaville. Parenthèse : La seule ville africaine qui a gardé et qui honore à coup de millions le nom du colonisateur. Fin de la parenthèse.

Obambé NGAKOSSO permet à celui qui connait, de retrouver ce monde réel des villes africaines à travers plusieurs portraits et histoires si caractéristiques du continent qu’ils sont pour moi le plus sûr moyen de permettre, à celui qui ne connait pas ce monde, d’apprendre, de découvrir et, peut-être, quand viendra la connaissance de l’autre, de permettre une acceptation mutuelle. Car, c’est connu, les rejets viennent de la suspicion. La suspicion vient de la non connaissance que nous avons de l’autre. La culture européennes, les mœurs occidentaux sont – plus que moins – connus des africains grâce aux tombereaux d’images que déversent les médias en tout genre. L’inverse est encore trop peu vrai. L’occident ne connait que trop peu le Yaoundé du quotidien, la pensée du baladin Abidjanais lambda, le sinueux raisonnement du médecin corrompue kinois, la lumineuse conviction de l’étudiant du Campus Marien Ngouabi. Obambé NGAKOSSO, avec d’autres auteurs/raconteurs, permet au lecteur de l’occident – et d’ailleurs – de commencer à comprendre et au lecteur qui se reconnaitra de ne pas s’oublier, de ne pas perdre de vue que des vies semblables à la sienne pilule sur le continent et que, devenu – pourquoi pas – ministre ou milliardaire, le droit à l’indifférence ne lui est pas permis.

C’est l’effet que m’a fait la lecture des onze nouvelles du recueil "Les malades précieux", et c’est là, de mon point de vue, la condition suffisante pour faire un bon livre.

Mais.

Mais, évidemment, l’écriture est un art et on ne saurait s’exonérer totalement du style, du rythme, de la qualité de la forme sous laquelle nous est livré le propos. Entrons donc un peu plus dans ces nouvelles pour mieux en parler.

Quand j’ai entamé ce recueil de nouvelles j’ai eu des réticences. La première nouvelle, « Je n’ai plus de temps à perdre », m’est apparue totalement dénuée d’intérêt et souffrant de quelques faiblesses d’écriture. L’auteur brosse ici le protrait de Karumba qui se voit contraint de fuir la ville, avec ses filles, pour se réfugier au village de sa mère pour cause de guerre. Sa femme étant d’une autre région et risquant d’être prise à partie dans ce village "ennemis" de l’Est n’accompagne pas sa famille. C’est l’occasion pour le mari de se (re)trouver confronté à ses faiblesses et aux pertes de valeurs survenues dans sa vie de citadin. Le propos, dans cette nouvelle, est trop manichéen, le thème récurrent du "village-plein-de-valeur-face-à-la-ville-décadente" est ennuyeux et, l’écriture pleine de lourdeurs. A la fin de cette nouvelle j’ai peur…

Puis vint « La fac au pied du baobab » qui a commencé à me redonner le sourire. Quelques lourdeurs, toujours, dans les dialogue entre Kimya, Asante et Aspro Kinini Mabé mais de la truculence dans le parlé et une atmosphère de sous-quartier superbement bien rendue. Je me suis cru dans les rues sablonneuses de Talangaï à côté des grands frères chômeurs joueurs de scrabble. Et le thème, vieux comme l’ère des décolonisations, de l’étudiant sans soutien familiale qui finit kiosquier et la fille de bonne famille qui le veut, avec elle, étudiant en Europe, est plutôt bien traité.

"Mis à part le prestige de travailler dans cet établissement, la paie, malgré près de trente ans de service, n’était guère reluisante. Et comme sous la transition politique, dite "démocratique", on avait inauguré les retards des paiements des traitements des fonctionnaires, l’argent se faisait rare à la maison. Comme beaucoup de fonctionnaires, notre paternel accusait des mois entiers sans revenus. Mais à la différence des parents de Kimya, lui n’avait aucun moyen de détourner de l’argent."

La troisième nouvelle, « L’assiette n’a pas changé », m’a définitivement mis les dents en récréation. Méga drôle, bien racontée et elle m’a ramené en terrain connu. Sur l’une des histoires qui représente le mieux un aspect étrange de la culture – ou mœurs ? – des deux Congo : les parents qui viennent "déposer" la fille enceinte dans la maison familiale du fauteur de trouble. Le gamin – dix-huit ans – totalement irresponsable, trousseur de jupons invétéré, va se prendre en pleine poire les principes d’éducation de sa mère. L’écriture se fait plus fluide, plus rythmée. Ou est-ce parce que l’histoire nous envahi et on ne voit plus les imperfections ?

"Je n’ai rien dit quand tu es rentré de tes cours et que tu m’as salué, car si j’avais ouvert ma bouche à ce moment-là, crois-moi, le feu qui en serait sorti t’aurait brûlé avec ton zizi et tes testicules. Sache que chaque fois que tu auras faim, vous partagerez la même assiette, le même bol de lait, de thé ou de je-ne-sais-quoi lors des repas. Si toi, elle et ses parents, vous pensez qu’ici c’est l’hôtel du peuple où on peut venir manger gratuitement, hé ben ! vous n’avez encore rien vu."

« Le ligablo du Vieux Lokosso » est la nouvelle qui, entre sourires amusés et grimaces, nous mets le plus au cœur des contradictions des peuples urbains d’Afrique noir. Entre les jeunes étudiants abandonnés par le système mais battant et n’hésitant pas devant l’effort et ces autres jeunes, quasi irrécupérables, qui se sont faits des vies de sangsues, le futur africain semble dans l’impasse. Cette nouvelle pêche un peu par son manichéisme – le bon jeune méritant face au paresseux – mais n’est pas aussi caricaturale que l’on pourrait penser. Elle éveille des souvenirs de réalités douloureuses.

"Je voulais dire à cette jeune fille que les films préférées de notre Grand étaient plutôt des films où les gens n’étaient pas très habillés et où les dialogues se réduisaient surtout à des gémissements féminins et des cris rauques des mâles. Mais bon, je préférai servir d’autres clients plutôt que de me mêler à cette discussion en bois ou un expert en tout et en rien du tout débitait des âneries. Que ce soit devant de grandes personnes comme de jeunes gens, le Vieux Lokosso n’arrêtait jamais sa machine à parler."

« Le procès de papa » est un délice d’humour grinçant. Enfin, humour… il n’y a rien de vraiment drôle dans cet échange entre un grand-frère étudiant vivant d’expédients en France et sa petite sœur dont il assure la survie car le sujet de discussion houleuse est le père. Ah, les pères…

"Il sortait avec elle et c’est même l’une des raisons qui m’avaient poussé à quitter la mère du gamin. Je veux bien avoir un père totalement irresponsable, mais je ne voulais pas courir le risque de me retrouver à gérer une situation inextricable s’il lui était venu la bonne idée d’engrosser cette jeune fille. Dieu merci, nos ancêtres nous ont épargné ce drame et cette humiliation. Chaque jour qui passe, je me demande ce que ce père peut encore nous réserver comme nouvelle surprise désagréable : se promener nu dans le quartier ? Dire qu’il est le nouveau Jésus Christ ?"

La nouvelle qui donne son titre au recueil, « Les malades précieux », traite d’une triste réalité de mes deux Congo. Elle traite de ces diplômés dits "intellectuels" formés en occidents sur lesquels le peuple bâtit des espoirs pour le futur et qui, une fois rentré sur leurs terres, embrassent le système et se laissent fondre en lui. Construit sous la forme d’une diatribe d’un vieux professeur résidant en Europe à l’encontre de son ancien disciple, ex-étudiant intègre et plein de potentiel, s’est fait garde chiourme pour potentats africains. Pas inintéressante, cette nouvelle souffre d’un défaut majeur ; ceux à qui elle devrait parler le plus ne lisent pas, de toute manière, ou alors se gaussent de connaitre sur le bout des doigts les grands classiques occidentaux. Les réalités, leurs réalités quotidiennes leur importent peu. Sensation, toute subjective, que ce propos moralisant ne sert à rien et comme il n’est pas servi par un style ébouriffant…

« Les rendez-vous chez tantine K ». Voilà une nouvelle qui vaut plus que le détour ! Là encore, Obambé NGAKOSSO se fait le porte-voix de ces petits qui ont la particularité d’être affidés à des "Grands" de ce monde. Ces "Quelqu’un" qui font la pluie et le beau temps de toute la famille sont brossés sous les traits de Tantine K, femme richissime qui attire médisances, jalousies et tous les lécheurs de bottes de la contrée. Une femme au parcours aussi mystérieux que suspect sur laquelle courent toutes les élucubrations. Aux yeux des perdants, le succès ne saurait qu’être entaché de d’inavouables accord mystiques quand leurs échecs, eux, sont le fait de malfaisantes ondes démoniaques. Au milieu de cette marre aux crocodiles, le "neveu étudiant" contraint de venir, régulièrement, jouer les quémandeurs sur ordre de son grand-frère – ou plutôt de sa femme –, et la petite Khadi qui rêve d’idylle amoureuse. L’histoire est drôle, plutôt bien mené. L’exubérante tante bien croquée et l’on oscille vraiment entre l’envie de la plaindre et celle de lui mettre des claques.

"D’après lui c’est pour des raisons techniques que le grand frère ne veut pas lâcher l’affaire. Et quand il prononce le mot "technique", il a un sourire qui en dit long. Il pense en effet que notre belle-sœur a des compétences liées à la literie que le grand-frère n’a jamais retrouvées ailleurs et qu’il craint de ne jamais retrouver."

« Ma route de Louango » s’inscrit dans la continuité de la précédente nouvelle si ce n’est que, cette fois, nous avons une autre figure du quémandeur qui, lui, est un méritant qui se heurte au mur de l’indifférence. Peut-être parce que l’on accroche moins à l’histoire, les inconsistances dans l’usage des temps – d’une phrase à l’autre parfois – sautent aux yeux. Mais nous sommes tout de même pris de révolte devant ce système qui fait que les plus méritant n’aient d’autres choix que de faire la manche aux dits puissants simplement pour bénéficier de ce qui devrait être un droit basique : avoir un passeport.

Une nouvelle qui réjouis car elle nous sort du schéma un peu redondant du "bon, les veules et les truands" qui structures la majorité des histoires du recueil. Dans « Nzété le faux-frère » il n’est pas vraiment question de gens totalement honnêtes ou totalement amoraux. Il est question de l’absurdité de la vie qui peut vous mettre dans des situations inattendues et du chemin – admis par la société – que prend une femme dans la fleur de l’âge pour se reconstruire une vie. Je n’en dirai pas plus, elle est si savoureuse que jouer les poilers serait un crime. Pourtant j’ai envie d’en dire tellement…

Avec la première nouvelle, la dixième, « Une tête au menu », nous invite à passer notre chemin.

« Le petit pompier » conclu ce recueil de nouvelle et c’est un très bon choix. Cette histoire de femmes contraintes de jouer les couguars car elles sont Xème maitresses de vieux richards libidineux et impotents résume à elle seul l’esprit de tout l’ouvrage : caustique, drôle, second degré et ancré dans la réalité du peuple. Des histoires comme il en pousse dans tous les coins des villes de cette Afrique noire dirigée par des incompétents totalement coupés des réalités des "vrais gens". Ces "vrais gens" qui, contraints ou volontaires, entrent dans ce système qui fait que, avec un taux officiel de chômage flirtant la stratosphère, les gens survivent. L’argent circule de mains en mains, en dehors de tout mérite lié au travail bien rémunéré, mais il circule et imposent des vies faites de compromissions.

"Sachant très bien que son vieil amant ne l’avait pas visitée depuis des mois, sachant très bien que je passerai à la casserole ce soir-là (il n’y avait aucun moyen d’y échapper, il émanait d’elle une chaleur équivalent à celle d’un harem qui n’avait pas vu son maître depuis des années), dans la journée, je fis tout pour échapper aux envies trop pressantes de mes belles à moi. Il me fallait me préserver, car un seul coup de fusil ne serait pas suffisant pour étancher sa soif."

 

Je ne reviendrai pas sur tout le bien que je pense de ce livre. Vous aurez l’impression que j’en fais trop. Vous auriez tord mais ce recueil soulève d’autres questions qui fait nos discussions d’amoureux des lettres des Afriques ; la faible présence d’éditeurs, les vrais, qui puissent éditer ces auteurs africains. Il est indéniable que le livre souffre de n’avoir pas bénéficié de l’apport d’un vrai regard professionnel qui interviendrai, non pas au niveau de l’orthographe – je me garderai bien, vu mes carences, d’en faire le procès – mais d’un point de vue plus général de cohérence ou d’élagage indispensable sur un manuscrit. Obambé NGAKOSSO a dû, comme de nombreux très bon raconteurs d’histoires des Afriques dont nous avons besoin, avoir recoure aux services d’un prestataire de service. Résultats ? Un travail de peaufinage du manuscrit non fait, une politique de prix qui donne l’impression que "l’éditeur" ne veut pas que son auteur – nouveau venu et donc inconnu du grand public – soit lue. Bref, entre les prestataires de service qui rendent un service d’imprimerie et l’obligation – je sais de quoi je parle – de passer par l’autoédition des œuvres qui, de fait, ne toucheront qu’une faible audience ; il y a de quoi enrager.

Mais que mes cogitations de promoteur/lecteur des littératures des Afriques ne vous empêchent pas de sauter sur ce recueil qui, j’en suis sûr, vous fera passer un bon moment de lecture.

 


JPEG "

Les malades précieux"

Obambé NGAKOSSO

L’Harmattan, 2013

 


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