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Paris capitale photographique ou les lumières de la ville

De la fin de la Première guerre mondiale à la veille de la seconde, Paris est la capitale incontestée de la photographie. Une centaine de tirages vintages exposés à l’Hôtel de Sully, à Paris (Musée du Jeu de Paume), jusqu’au 24 mai, témoignent que la ville fut le lieu de rassemblement unique des plus grands photographes du monde entier et un audacieux laboratoire de recherche formelle.

L’affiche de Paris capitale photographique 1920-1940 en dit plus que son titre, qui flirte sur une ambiguïté. Il ne s’agit pas de montrer ici des vues de Paris prises entre 1920 et 1940. Il y en a, certes, mais ce n’est pas l’unique objet de cette exposition. Paris est bien plutôt comprise comme étant un creuset et un carrefour artistique. La photo qui orne l’affiche, une oeuvre de Laure Albin Guillot intitulée Narcisse nous dédaigne, indique que la photographie en ces années n’était pas un miroir destiné à flatter nos ego, mais une fenêtre ouverte sur le monde et sur l’imaginaire.

« Le Paris des années folles, explique les organisateurs du jeu de Paume, ville de modernité propice à toutes les avant-gardes, est un lieu d’accueil et de rencontres où des Français (Jacques-André Boiffard, Laure Albin Guillot, Maurice Tabard, Emmanuel Sougez…) peuvent côtoyer des photographes venus d’Allemagne (Marianne Breslauer, Annelise Kretschmer, Germaine Krull, Erwin Blumenfeld, Gisèle Freund, Wols), de Hongrie (Brassaï, André Kertész, François Kollar, Ergy Landau, André Steiner), de Russie (George Hoyningen-Huene, Albert Rudomine), de Belgique (Raoul Ubac) ou encore des États-Unis (Man Ray, Berenice Abbott)…

Grâce à cet extraordinaire brassage culturel, Paris devient véritablement la "capitale photographique" des années 1920-1940, où naît, au contact des avant-gardes artistiques et grâce aux recherches expérimentales, une "nouvelle vision photographique" ».

Cette exposition exceptionnelle - exceptionnelle parce que diverse et parce qu’elle nous donne un voir un pan entier du patrimoine photographique - montre une centaine de vintages appartenant au collectionneur, historien de la photographie, commissaire d’exposition, éditeur et marchand, Christian Bouqueret.

Celui-ci a commencé à réunir un imposant corpus photographique dès la fin des années 70 non pas dans le but d’accumuler, mais de constituer un ensemble cohérent, à la fois organisé et organique. Organique parce qu’organisé. Et raisonné. Son fil conducteur : « Je ne cherche pas les images séduisantes au premier regard, je crois que la beauté se dévoile et que le mystère participe à la beauté ».

Pour Christian Bouqueret, il est « nécessaire de présenter les photographies dans leur contexte de diffusion et de réception. Un grand nombre de ces photos ont été réalisées en vue d’une publication : le contexte de création leur est donc intimement lié ».

L’exposition met en valeur les revues qui aidèrent à ancrer l’image photographique dans l’imaginaire collectif : Jazz, l’Art vivant (qui demande dans un numéro de 1939 si La photogaphie est-elle un art ?), Vu ou Minotaure qui dans n°6 (1935) présente pour la première fois les fameuses photos des poupées de Hans Bellmer et dans le n°5 le texte fondateur d’André Breton, « La beauté sera convulsive ».

Certains des photographes présentés ici sont méconnus du grand public quand, au contraire, les noms de Brassaï, André Kertész, Berenice Abbott qui redécouvrit Eugène Atget, Hans Bellmer, Erwin Blumenfeld ou Man Ray sont restés célèbres.

L’idée n’est donc pas de dresser un inventaire de la modernité chic et mondaine. Si Jacques-André Boiffard, Laure Albin Guillot, Annelise Kretschmer, Ergy Landau, Albert Rudomine sont oubliés du grand public, ils n’en ont pas moins, autant que leurs contemporains plus illustres, participés à la même et unique aventure artistique et témoignent que Paris fut pendant deux décennies un lieu de création foisonnant unique. 

Certaines des images exposées ici sont des icônes : les fameuses poupées de Bellmer, les portraits de Malraux et de Cocteau par Germaine Krull, Le repos de Sougez (qui illustre cet article), le portrait de Walter Benjamin par Gisèle Freund, Assia - modèle qui fut à la photographie ce que Kiki de Montparnasse à la peinture - ici saisie par Dora Maar ou encore La Tour Eiffel vue par François Kollar… Elles ont imposé l’idée qu’on pouvait poser son regard autrement, librement. L’idée d’un point de vue.

Le parcours proposé traverse trois zones : « Un nouveau vocabulaire photographique », « Photographier Paris » et « Un cabinet de curiosités : portraits et nus ». Dans la première, on se promène à travers l’invention formelle. Rien de spectaculaire, mais une approche originale, pour l’époque.

Les recherches s’attachent à transcender le réel, le banal. Les objets sont grossis comme au microscope, fragmentés. On navigue entre les tirages gélatino argentiques, au milieu des solarisations, des photomontages, photocollages et photogrammes, des surimpressions, des distorsions que l’usage numérique a lissé, dompté, mais aussi dévitalisé.

La deuxième partie, la plus minime (une quinzaine de photos seulement) est consacrée à Paris. « Si la photographie française devient au lendemain de la guerre ce lieu de rencontres et d’échanges pour des photographes de nationalités diverses, c’est parce qu’elle représente un modèle de modernité et un espoir économique […] mon ambition de collectionneur est de réunir un ensemble d’œuvres pour raconter et comprendre cette période charnière de la photographie en France » explique Christian Bouqueret.

Dans cette exposition, les photographies consacrées à Paris sont les moins nombreuses (une quinzaine), mais, incontournables, elles sont situées judicieusement dans un lieu de passage, un espace charnière.

On ne peut passer de la première partie à la troisième, qui fait la part belle aux recherches sur le corps, en ignorant ce que fut ce « moment Paris » représenté ici par quelques photos de Brassaï, Atget, Krull et par la présence de quelques livres témoignant de la richesse éditoriale de l’époque et du compagnonnage entre écrivains et photographes : « Paris vu par André Kertesz » (texte de Pierre MacOrlan, 1934), « Paris de jour » par Roger Schall (préface de Cocteau, 1937), « Envoûtement de Paris » par Francis Carco et René-Jacques (1938), « 100XParis », par Germaine Krull (1929), « Paris de nuit » par Paul Morand et Brassaï (1934) …

Enfin, la troisième partie est consacrée au corps. « Dans l’entre deux guerres on peut distinguer trois tendances pour la photographie de nu : la première est celle d’un corps subversif et subverti. La deuxième est celle d’un corps réifié, déconstruit ; enfin il y a le corps hanté par le modèle grec, le corps néoclassique » souligne Christian Bouqueret

C’est selon moi la partie la plus touchante, la plus intemporelle, la plus riche. Sans doute parce que le corps est ce qui nous ramène de manière ultra-sensible à notre humanité. Certains esprits dévoyés jugent que s’abandonner dans l’admiration de la représentation d’un corps nu est du pur voyeurisme. De la perversité. Les mêmes sans doute estiment que donner à voir la crudité de la chair est vain. « Il y a tellement de choses plus importantes ».

Mais le titre de Paris capitale photographie 1920-1940 le dit clairement. Au sortir de la grande boucherie de 14, au moment où l’Europe s’apprête à plonger dans la barbarie nazie, des hommes et des femmes issus pour certains des contrées sinistrées de l’Europe orientale posent leur regard sur le corps, notre part solaire et mystérieuse. Comme une caresse, comme pour apaiser la dureté des temps. Comme une prière : « ceci est mon corps ».


Crédit photo : Dora Maar




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Babar

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