C’est la thèse de Christian Destremau, dans son ouvrage, Ce que savaient les alliés, Perrin 2007.
Depuis quelques années, certains historiens sont persuadés que l’attaque des japonais, sur
Pearl Harbor, en décembre 1941, était connu du gouvernement américain, qui aurait sacrifié les marins d’
Oahu, pour pouvoir entrer dans la seconde guerre mondiale. Cette thèse a d’abord été alimentée par des proches de l’amiral
Kimmel,
commandant de la base de Pearl, en décembre 1941, rétrogradé contre-amiral, après l’attaque nippone et qui quittera l’armée, en 1942. En effet, le contre-amiral Theobald, dans "Le secret de Pearl-Harbor", Payot, 1955, affirme que Roosevelt s’était servi de la flotte du Pacifique comme appât pour attirer les japonais dans un piège !
Plus récemment, John Toland, dans son Infamy : Pearl Harbor and its aftermath, BPC, 1986,
affirmait que Roosevelt et son entourage étaient au courant de l’attaque japonaise sur Pearl, dans la mesure où les services américains avaient, dès la fin 1940, cassé la quasi-totalité des codes japonais et pouvaient donc écouter les communications nippones.
Christian Destremau, à partir du dépouillement de nombreuses archives américaines et anglaises, à une analyse radicalement différente. Pour lui, la thèse de Toland, sur un complot rooseveltien, qui s’appuie sur l’interprétation des célèbres messages Vents, expédiés par les nippons le 19 novembre 1941, ne tient pas la route.
En effet, Destremau s’interroge sur la pertinence du code utilisé par les japonais pour crypter les messages Vents.
- Pourquoi les nippons auraient-ils utilisé le code J-19, qui n’était pas considéré, par les japonais aux-mêmes, comme un cryptage très fiable, pour annoncer une décision aussi importante qu’une déclaration de guerre aux alliés ?
- Pourquoi les militaires du Soleil Levant, auraient-ils multiplié les copies de ce message aux ambassades de Rio, Mexico, Buenos Aires, favorisant l’interception de la belliqueuse missive ? Pourquoi insister, de manière redondante, sur la Malaisie, la Thaïlande et les Indes Néerlandaises comme cibles potentielles, alors qu’une déclaration de guerre aux britanniques, signifiaient, implicitement, l’invasion de la péninsule malaise ?
- Enfin, les messages Vents, décryptés le 26 et 28 novembre, ne parlent nullement d’entrer en guerre contre les britanniques ou les américains, mais évoquent une situation de "grand danger" entre les japonais et les alliés !
Pour Destremau, les messages Vents font partis d’un plan d’intoxication japonais, qui voulaient faire croire aux alliés que les troupes du Soleil Levant allaient s’attaquer, exclusivement, aux possessions de l’Empire britannique en Asie du sud-est et par ce biais, cacher leur opération sur Pearl-Harbor.
En analysant les interceptions alliées des messages nippons, la thèse de Destremau semble coller.
Dès la
Conférence Impériale du 2 juillet 1941, dont le compte-rendu fut connu des alliés, les nippons manifestaient clairement leur désir d’attaquer vers le sud-est asiatique, en finissant d’investir l’
Indochine française, dont la souveraineté avait déjà été mise à mal, par l’algarade guerrière de septembre 1940, qui avait vu les forces nippones investir la province indochinoise de
Lang Son.
Ce désir impérial se traduira par les accords Darlan-Kato, du 29 juillet 1941, permettant aux troupes japonaises de stationner dans toute l’Indochine !
Le 21 novembre 1941, le nouveau ministre des affaires étrangères japonais,
Togo Shigenori, transmettait à l’ambassadeur nippon en Allemagne, le très germanophile
Oshima, un message soulignant que le
Japon allait se concentrer sur les "
problèmes du Sud", en ajoutant, d’ailleurs, qu’il était prêt à jouer les intermédiaires pour initier des pourparlers de paix entre l’
Allemagne et la
Russie.
Le 30 novembre 1941, il réitèrait ses instructions à Oshima, qui devait rencontrer Ribbentrop,
en insistant sur le fait que l’objectif principal du Japon restait le sud-est asiatique et que l’Empire du Soleil Levant s’abstiendrait, pour le moment, d’une action au Nord.
Curieuse redondance de la part du ministre des affaires étrangères japonais, une semaine avant l’attaque sur Pearl, qui insistait, lourdement, auprès de son missi-dominici à Berlin, ambassade notoirement écoutée par les alliés et les soviétiques (par l’intermédiaire de Sorge, leur agent introduit auprès de Ott, l’ambassadeur allemand à Tokyo) , sur l’imminence d’une attaque dans le sud ! Surtout que les nippons savaient que leur représentation à Berlin était sous surveillance, puisque dès le 3 mai 1941, un agent de renseignement allemand avait averti Oshima du fait que les renseignements alliés décryptaient les messages adressés à Tokyo ! L’auteur s’étonne qu’après ces informations, les japonais n’aient nullement changé les codes !!
D’ailleurs, les interceptions des messages japonais, par les alliés, indiquant une attaque au sud, étaient tellement nombreux, qu’une note du britannique
Alastair Denniston, responsable du
Goverment of Code and Cipher School, à
Londres, remettait en cause la crédibilité des messages nippons.
Le 13 juin 1941, il écrivait une note au Foreign Office où il indiquait qu’il soupçonnait les japonais d’envoyer des messages destinés à être lus par les alliés !
L’argumentation de Destremau est donc convaincante et laisserait supposer que ce sont les japonais qui auraient intoxiqué les services américains, en laissant passer de multiples messages, faiblement cryptés, indiquant l’imminence d’une opération vers la Malaisie, espérant une focalisation américaine sur l’asie du sud-est, au détriment du Pacifique et de Pearl-Harbor !