Pleyel : des pianos, mais aussi un compositeur de talent
Au moment où, malgré sa solide réputation, la célèbre marque de pianos Pleyel disparait, victime d’une concurrence impitoyable, zoom sur l’homme qui a été à l’origine de cette aventure industrielle et commerciale. Compositeur, éditeur de musique, facteur d’instruments, Ignace Pleyel a été tout cela à la fois, avec une égale réussite dans ces différents domaines...
Il n’était pas évident, pour un enfant issu d’une fratrie comprenant... 37 garçons et filles, de se faire un nom. Ignace Pleyel y est pourtant parvenu, et son patronyme est encore très célèbre de nos jours. La vérité nous oblige toutefois à reconnaître qu’il doit plus cette notoriété à la qualité de sa marque de pianos qu’à ses talents de compositeur. Des talents bien réels qui lui ont pourtant valu une très grande notoriété dans l’Europe de la période classique. Un constat étonnant pour un musicien assez largement tombé dans l’oubli. La majorité des mélomanes qui, de nos jours, se pressent à Paris pour entendre les concerts donnés salle Pleyel ignorent eux-mêmes à peu près tout de la vie et de l’œuvre de celui qui a donné son nom à cette salle prestigieuse où se produisent les meilleurs orchestres et les plus grands virtuoses. Quant au grand public, peu familiarisé avec la musique classique, c’est plus par le biais de la station de métro dyonisienne Carrefour Pleyel qu’il connaît le nom de cet Alsacien d’adoption.
Né à Rupperstahl (Autriche) le 18 juin 1757, Ignaz Pleyl est le 24e enfant d’un modeste maître d’école et d’une femme noble déshéritée du fait de cette mésalliance. Malgré une fratrie importante, son père Martin Pleyl tient à donner à ce fils une éducation musicale de qualité. Bien lui en prend car le jeune garçon révèle de prometteuses dispositions, tant au clavier qu’à la composition. Il est vrai qu’après les bases enseignées par son père, le premier véritable maître de musique d’Ignaz n’est autre que l’excellent compositeur et pédagogue bohémien Johann Baptist Vanhal auquel il est confié à Vienne dès l’âge de 12 ans. Pris en charge financièrement par un mécène, le comte Ladislas Erdödy, le jeune homme reçoit ensuite l’enseignement du grand Joseph Haydn à Eisenstadt avant de revenir auprès du comte Erdödy qui en fait son Kappelmeister (maître de chapelle) en 1777. Pianiste, organiste et compositeur de talent, Pleyl est alors âgé de 20 ans. Peu après, il se rend en Italie pour parfaire son éducation musicale au contact des maîtres de la péninsule. De Rome à Naples, il y rencontre la plupart des grands musiciens de son temps, et notamment Domenico Cimarosa et Giovanni Paisiello. Il y compose même son premier opéra : Iphigenia.
En 1783, changement de décor : Ignaz Pleyl part pour l’Alsace où il devient directeur de musique de la cathédrale avant d’accéder, 5 ans plus tard, au poste de Maître de Chapelle en remplacement du bohémien Franz-Xaver Richter. Entretemps (1788), il a épousé la fille d’un riche tapissier strasbourgeois, Françoise-Gabrielle Lefebvre. Se trouvant bien en Alsace, il achète même le château d’Ittenwiller situé près de Saint-Pierre (Bas-Rhin). Lors d’un voyage à Londres en 1792, il retrouve ensuite Joseph Haydn et, à l’initiative d’un organisateur de concerts, se mesure à lui dans une compétition musicale suscitant un énorme intérêt et dont les échos résonnent jusque sur le continent. Rentré en Alsace, Ignaz Pleyl connaît l’année suivante des déboires politiques. Rien d’étonnant à cela : nous sommes en 1793, et la Convention entend débusquer partout sur le territoire les ennemis de la Nation. Plusieurs fois arrêté par le Comité de salut public qui le soupçonne de sympathie royaliste, le musicien démontre son intérêt pour la France et la cause patriotique en adoptant, sous le nom d’Ignace Pleyel, la nationalité française et en composant des œuvres révolutionnaires de circonstance.
Deux ans plus tard, en 1795, nouveau départ : Ignace Pleyel et sa famille s’installent à Paris. Outre la musique qu’il continue de composer avec beaucoup de succès, Pleyel ouvre un commerce d’instruments et de partitions avant de fonder, deux ans plus tard, sa propre maison d’édition musicale et d’ouvrages pédagogiques. Parmi ces derniers, sa « Méthode pour le pianoforte » écrite à quatre mains avec le compositeur et pianiste bohémien Ian Lasdislav Dussek. En quelques années, Pleyel devient l’un des éditeurs les plus importants d’Europe en publiant, outre ses propres œuvres, celles de très nombreux musiciens réputés, au premier rang desquels les grands noms du moment comme Beethoven, Boccherini, Clementi, Haydn (notamment l’intégrale des quatuors à cordes en 1801) ou bien encore Hummel.
Mais Pleyel a d’autres ambitions. Passionné par le piano et désireux d’en améliorer les possibilités sonores et le jeu, il a, quelques années plus tôt à Strasbourg, dessiné les plans d’un nouveau pianoforte. Dès 1807, rue Neuve-des-Petits-Champs, il installe un atelier artisanal où il fait fabriquer ses instruments. Avec 50 pianos vendus dès la première année, c’est un succès, au point que l’atelier est obligé de déménager boulevard Bonne-Nouvelle pour faire face aux nouvelles commandes, non seulement de pianos mais également de harpes, à l’image de Sébastien Érard, l’autre grand facteur d’instruments français de cette époque. Malgré quelques difficultés commerciales, la tâche est importante et Pleyel décide en 1815 d’associer son fils Camille à l’affaire. Il lui en laisse les rênes en 1824 pour se retirer dans le calme de la campagne, à Saint-Prix (Val d’Oise). Pleyel meurt à Paris le 14 novembre 1831. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise (section 13), dans le quartier des musiciens, près de Bizet, Cherubini et Méhul.
Entretemps, la marque Pleyel s’est taillé une renommée internationale qui ne s’est jamais démentie, malgré les changements de main de cette société prestigieuse. La qualité n’est toutefois pas une garantie contre les difficultés économiques : durant les deux dernières décennies du 20e siècle, la concurrence asiatique se fait de plus en plus rude, et Pleyel peine à garder ses parts de marché. Au fil des années, la chute s’accélère et l’inquiétude grandit. Comment résister à la pression japonaise en sachant qu’un piano de la marque Pleyel peut, au tournant du 21e siècle, coûter jusqu’à 150 000, voire 200 000 euros ? Malgré leurs immenses qualités, les instruments de la marque sont devenus trop cher, et cela malgré les évolutions techniques et l’usage de matériaux modernes au service d’un nouveau design qui n’altère pas la légendaire qualité sonore des pianos. Les ateliers Pleyel ont définitivement fermé en novembre 2013, et c’est un véritable crève-cœur pour les nombreux pianistes, célèbres ou anonymes, qui ont eu le plaisir de laisser courir leurs doigts sur un clavier de la marque pour interpréter ici une sonate de Beethoven, là une polonaise de Chopin.
L’héritage d’Ignace Pleyel ne se limite toutefois pas aux pianos sortis de sa manufacture, pas plus qu’aux quelques 4000 partitions musicales qu’il a éditées. Avant d’être éditeur et facteur d’instruments, Pleyel a surtout été un compositeur de grand talent dont on a peine aujourd’hui à imaginer l’immense notoriété. Connu de tous les milieux musicaux d’Europe – et même d’outre-Atlantique –, Pleyel a laissé une quarantaine de symphonies, 6 symphonies concertantes, 8 concertos, 2 opéras, 1 requiem, de nombreux lieder et plus de 200 œuvres de musique de chambre dont la plupart ont, comme les concertos, donné lieu à de nombreuses transcriptions et arrangements, souvent de la main même du compositeur pour satisfaire le plus grand nombre de musiciens. L’engouement pour la musique de Pleyel était tel qu’on estime à environ 200 le nombre des éditeurs européens et américains ayant diffusé ses œuvres. Et pour cause : durant plus de 20 ans, le succès a été total, au point qu’en 1793, les quatuors de Pleyel étaient considérés par les amateurs comme le sommet de l’art musical de l’époque.
Avec le recul, l’œuvre du compositeur ne mérite sans doute pas l’engouement qu’elle a suscité de son vivant. On n’y trouve en effet nulle part ou presque la marque du génie créatif d’un Haydn ou d’un Mozart. Elle n’en est pas moins écrite de belle manière et empreinte d’une indéniable sensibilité. Ignace Pleyel a été avant tout un compositeur à la mode, mais à l’écoute de ses partitions, on comprend pourquoi ses contemporains l’ont si longtemps adulé.
Quelques œuvres :
Concerto pour flûte en ut majeur
Rondo de la symphonie concertante en si bémol majeur
Concerto pour violon en ré majeur
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