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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Sami Frey lit « Cap au Pire » de Beckett au Théâtre de l’Atelier

Sami Frey lit « Cap au Pire » de Beckett au Théâtre de l’Atelier

Emergeant de l’obscurité sous le seul éclairage d’un ordinateur portable qu’il tient à bras tendus devant lui, le visage de Sami Frey apparaît de plus en plus distinctement à mesure que le comédien s’approche du devant de scène pour y aller précautionneusement déposer sur le sol, à l’emplacement de la cage du souffleur, cette source de lumière bleuâtre relayée peu à peu par le halo plus avantageux d’un projecteur qui esquisse la longue silhouette noire maintenant assise et penchée vers l’écran numérique.

Désormais, une heure durant, le regard de l’acteur sera comme absorbé par cet étrange objet qui semble le happer comme s’il était seul au monde avec des mots terribles qui, mis bout à bout, vont scander l’oralité d’un désespoir intemporel.

Passant d’une main à l’autre, une discrète télécommande que le comédien-lecteur active pour tourner virtuellement les pages d’un livre scanné à l’identique de l’édition originale va lui permettre de surfer sur un leitmotiv de mots récurrents que Samuel Becket publiait en 1982 sous le titre anglais de « Worstward Ho » :

"... Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu’à plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore. [...] Dire pour soit dit. Mal dit. Dire désormais pour soit mal dit...".

Dans la salle du Théâtre de l’Atelier, l’écoute est totale, la fascination est à son comble, la grand messe est en train d’être dite.

La voix toute en plénitude épouse les contours et les aspérités acerbes de la litanie avec les subtilités de modulation qui n’appartiennent qu’au timbre de Sami Frey ; le ton calme et apaisé contrastant douloureusement avec la violence thématique de l’enjeu.

Oui, Beckett traversait alors une phase éminemment dépressive que l’écrivain réussit néanmoins à sublimer dans ce texte dépouillé à l’extrême des structures linguistiques conventionnelles de la langue... au profit d’un nihilisme abrupt.

Si donc l’auteur est servi avec pertinence par ce lecteur d’exception que l’ensemble des spectateurs va applaudir en de multiples rappels illuminant d’un certain sourire le visage de Sami Frey tel un « Théorème pasolinien », il n’en demeure pas moins que ce nouveau procédé de lecture pourrait faire question, sans pour autant faire ombrage au charisme incontesté.

En empêchant le regard de se départir, ne fût-ce qu’un instant, des repères topographiques de la valise noire, c’est pour le coup un « écran » opaque qui semble se dresser entre l’artiste médiateur et son public à l’affût des mots résonnant au plus profond des entrailles mais qui assiste, ainsi tétanisé, à une lecture captive pouvant s’apparenter à la frustration du divan psychanalytique sans possibilité de contact visuel :

« Dire encore... non... les mots empirent... dans une étroite vastitude... dire... tout au plus le minime minimum, l’iminimisable minime minimum ... ».

En faisant fi d’une paire de lunettes chaussée en presbyte à l’avantage d’une distanciation optique offerte par la technologie numérique, Sami Frey met ainsi « Cap au pire ». Mais serait-ce effectivement pour le meilleur ?

Photo DR. www.vincent-presse.com

CAP AU PIRE - ** Theothea.com - de Samuel Beckett - par Sami Frey - Théâtre de l’Atelier -


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