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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Solo d’un revenant - retour vers l’enfer

Solo d’un revenant - retour vers l’enfer

La poésie dans l’attente de l’instant de violence, qui s’annonce féroce, qui s’annonce terrible, qui s’annonce… et n’arrête pas de s’annoncer. Et ça nous met les nerfs à vif. Qui ? Que ? Quoi ? Comment !? Dis-nous vite, raconte-toi vite satané Revenant !
Mais non, ce Kossi EFFOUI s’amuse à nous distiller, à la gougoutte, des larmes de l’histoire de ce Revenant, qui du Nord Gloria en passant par la Zone neutre, s’en revient sur les terres du Sud de son enfance comme pour régler ses comptes avec le passé auquel il a échappé.

La chaleur, la pénombre, la tension d’avant l’orage. Ce livre aurait pu s’intituler "Heat" avec une affiche de cinéma, vieillie et jaunie par le temps, montrant un Al Pacino, avançant dans l’ombre, l’air dégingandé, la mine patibulaire et l’œil que l’on devine torve. La menace avant le tonnerre qui s’annonce.

En lisant " Solo d’un revenant " c’est le sentiment que l’on a. La poésie dans l’attente de l’instant de violence, qui s’annonce féroce, qui s’annonce terrible, qui s’annonce… et n’arrête pas de s’annoncer. Et ça nous met les nerfs à vif. Qui ? Que ? Quoi ? Comment !? Dis-nous vite, raconte-toi vite satané Revenant !
Mais non, ce Kossi EFFOUI s’amuse à nous distiller, à la gougoutte, des larmes de l’histoire de ce Revenant, qui du Nord Gloria en passant par la Zone neutre, s’en revient sur les terres du Sud de son enfance comme pour régler ses comptes avec le passé auquel il a échappé.

Il cherche Asapho Johnson. C’est la seule chose de sûr. Dès le début.
Le détective privé qui ne veut rien savoir des desseins de ses clients dans cette ère post-guerre.
De ce Maïs, homme-trouve-tout qui lit dans les destins de ce monde qui a fait de lui, à dix-sept ans, un ancien combattant, " je n’ai pas la conscience tranquille, j’ai l’esprit embrouillé mais le cœur pure "
De ces Gabriela, Vicencia, Adoua, Julia... et tous ces filles en "a" que la guerre a enfanté en actrice de X ou en marcheuse de trottoir.
De cette voyante-maitresse, Xhosa-Anna, aussi étrange d’érotisme que l’est l’ambiance de cette ville. " Le passé est devant nous. Le futur derrière. Le présent, c’est la tranquillité plus ou moins grande avec laquelle nous traversons l’apocalypse. "

"Ablution mentale avant le début des cours, ces fragments de texte recopiés au tableau et récités en chœur – « Entre le Oui et le Non, entre le Pour et le Contre, il y a d’immenses espaces souterrains où le plus menacé des hommes pourrait vivre en paix » –, ces bouts d’écriture, quand on songe à ce qui allait advenir, où le sort du livre et le sort du bois auront partie liée par le feu, c’étaient des souches de livres en voie de disparition qu’il cultivait dans la serre de ses carnets, qu’il replantait par bouture sous les cheveux des enfants."

Il cherche Asapho Johnson. "Coach – Section littérature vivante. Riviera I – Province du ciel". Ce frère du passé, passé entre les goûtes de l’abominable, de l’innommable, qui en Juste vit sa vie gorgée du sang des Milles Collines.

"Et parmi les comédiens de la compagnie de la Radio accusés d’avoir prêté main-forte et voix-forte à la diffusion de ces imprécations, il y avait Asapho Johnson. Il y avait son nom et son visage, imprimés dans le journal qui couvrait les préparatifs du procès."

Et Marlène, même Marlène, victime du business de l’entraide internationale, à l’esprit exilé dans la terre aride de son ventre qui a perdu une âme, celle qui a emporté une partie de sa raison ; même Marlène ne peut arrêter le destin du Revenant qui doit trouver Asapho Johnson. Le troisième mousquetaire.

"D’abord, à un commencement, Marlène est arrivée ici pour s’occuper du centre où l’on abrite les filles revenues de captivité. Avec les bébés conçus de force accrochés au ventre de certaines d’entre elles. Maudites de village en village. Dans leur propre village, déjà, on les appelait « les filles touchées par l’ennemi ». Ici où l’on a des épouses en grand nombre pour les humilier et les battre, où l’on fait des fils en grand nombre pour asseoir son autorité, des hommes blessés par la défaite faisaient honte à des filles blessés pour cacher leur propre honte de n’avoir pas su les protéger de l’ennemi, comme tout bon guerrier se vante de protéger les siens."

Frères en lettre, frères en art, frères dans le rire de la culture, dans le sourire des joutes livresques ; le passé les a fait trio de frère. Mais la tête de la Gorgone a coupé l’une de ses sœurs. L’a-t-elle fait, l’a-t-elle laissé faire ?
Asapho Johnson doit répondre. Le sang de Mozaya le réclame.

Mozaya. L’artiste du fond de sa classe, niant le compromis, consumant sa vie pour des lettres sans moulin à paroles guérisseuses. Le grenier d’amour de sa vie, à qui il a voué sa vue, à vie, avec elle il vivra en artiste de la vie, jusqu’au bout.

"Et puis subitement, lors d’une de ces crises d’aveu qui donnent du piquant aux cérémonies de pardon, on apprit comment ces hommes, ou leurs semblables, avaient entouré de cris l’école de Mozaya, avait fracturé la porte de la salle de classe avant de découvrir, ahuris, les corps couchés, comme endormis, tous les cors, sauf celui de cette fille sourde et muette assise au milieu de tout ça, les corps, les bols, la bassine contenant encore un reste de la décoction aux champignons vénéneux qu’elle avait fait boire aux enfants et à Mozaya, qu’elle avait bu elle-même, dira le témoin, elle avait encore le bol dans la main, l’iris en éclats."

 

"Solo d’un revenant" de Kossi EFFOUI est vainqueur du "Prix des cinq continents de la francophonie" 2009. Quel qu’ait été le prix remporté, il l’eut valu. Sans aucun doute.
La guerre, l’abominable fissure que laisse la trahison du frère, la misère qui souille l’âme du miséreux, le pouvoir qui marche sur les cadavres de sa soif ; tout cela a été écrit, décrit et, thanks God, continuera à être dénoncé. Sortir du lot, là est la prouesse de Kossi EFFOUI.
Prendre le pied d’une narration aussi poétique que liminaire pour en appeler à notre sensibilité.
Prendre le parti d’une écriture imagée sans la lourdeur de la description, dynamique et mêlé de la lente pesanteur d’une atmosphère d’avant duel, en y instillant la colère de l’œil qui est parti et qui revient constater les dégâts de la guerre, du regard qui a su garder la distance de celui qui est devenu étranger à sa terre et qui la considère avec le détachement du légiste qui fait le compte des membres – des familles – brisés, des morts – psychologiques – à embaumer et des cadavres – bien réels – à absoudre, ou non.

Même quand le style peut nous paraître nébuleux, même quand les tours et détours peuvent nous sembler scories, ce livre est un vrai grand livre à tous points de vue. Il scotch le lecteur, le plonge dans une salle de cinéma en compagnie des personnages secondaires sortit d’un encéphalogramme Burtonien*. L’ambiance annonçant le désastre est sœur de Faustin Nsenghimana** version adulte et la fin, suprême expression du pathétique, n’aurait pu être autre.

A sauter dessus.

 


Solo d’un revenant

Kossi EFFOUI

Éditions du Seuil (2008)

*de Tim Burton
** L’aîné des orphelins - Tierno Monenembo (éditions Seuil, 2000)

 


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