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Sorensen, l’inconnu venu du froid

Si son nom peut faire penser à celui d’un joueur de football de l’équipe A de Suède, Villy Sorensen est pourtant bien l’auteur Danois majeur du XXe siècle. Voilà deux ans maintenant qu’ont été éditées ses « Histoires Etranges » dans la langue de Hugo. Pour l’occasion, petit tour d’horizon de « l’univers Sorensen ».

Villy Sorensen, c’est un peu l’inconnu du Grand Nord. Ce Danois, décédé en 2002 n’a malheureusement jamais connu de son vivant une grande notoriété au-delà des frontières de son pays. La grande récompense de cet écrivain fut simplement le grand prix de littérature du Grand Nord en 1974 pour son livre Uden mål - og med. Depuis 2005, l’éditeur GINKGO a eu l’excellente idée de ressortir le recueil des Histoires Etranges de l’intriguant Danois. Né en 1923, Villy Sorensen fut l’un des grands intellectuels du XXe siècle au sein de sa patrie.

Derrière son caractère de « touche à tout », se cachait un fin psychologue auteur d’études sérieuses et on ne peut plus intéressantes sur Nietzsche ou Kafka. Vous comprendrez alors l’intérêt de l’écrivain pour la philosophie. Il fut également un grand historien, de même qu’un traducteur reconnu. Ses inspirations sont directement marquées au sein de ses écrits. On est donc au croisement des mondes entre E. A. Poe, E. T. A. Hoffmann ou Franz Kafka, sans compter une pointe de psychologie fantastique inquiétante telle qu’on la retrouve chez Wilde. En bref, Sorensen est à la confusion des genres. Dans ses nouvelles, on retrouve l’univers oppressant du Procès de monsieur K, et ce, plus particulièrement dans la nouvelle du Crime, appelée elle-même comme une « fantaisie kafkaïenne » par son auteur.

Dans chacune de ses nouvelles, Sorensen nous met aux prises avec un univers douteux, sombre et flou. Nous sommes face à un auteur qui joue de son rôle dominant. Les informations (lorsqu’elles sont dévoilées) se servent au compte-goutte et le lecteur est entraîné dans un besoin de découverte et de savoir entêtant. Les nouvelles se révèlent bien souvent amorales et les morts sont nombreux, le monde n’est pas fixe, bien que la géographie soit sérieusement posée. La capitale d’un pays inconnu, à la démocratie douteuse, est prise pour base. L’auteur Danois nous place également dans une position d’intemporalité inconfortable. Il semble ainsi laisser libre court à ses rêves les plus fous, comme dans la scène finale incroyable et amorale de L’Enfant Prodige. Une femme explosant comme un ballon de baudruche en accouchant, des gens se déplaçant en automitrailleuses dans la neige, un président meurtrier adoré par son peuple... Le monde de Sorensen est étonnant, dépaysant et les faits racontés ne sont pas mystérieux, mais à proprement parler d’une extrême étrangeté.

Les nouvelles mettent le lecteur dans l’instabilité. Si nous ne sommes pas vraiment à l’aise, on a cependant une impression d’extrême liberté, comme si tout était permis dans ce monde sans queue ni tête. A chaque fois, une histoire politique de fond non révélée et n’étant pas le centre du récit met la scène sous une tension palpable. L’atmosphère de la guerre est sans cesse révélée. Le conflit armé mondial est comme un événement secondaire alors même qu’il met en jeu des milliers de vies humaines. Nous sommes comme face à un décor et le conflit en est la dernière chose visible, bien derrière l’histoire familière, mais mystérieuse, que nous conte Sorensen. C’est un flou artistique que cet ensemble de nouvelle où le lecteur cherche désespérément à trouver la finalité avant qu’elle n’apparaisse. Il croit alors que tout est possible, se laisse aller à des élucubrations délirantes jusqu’à tomber dans des finalités encore plus délirantes par l’esprit fertile et génialement mystérieux de l’écrivain danois.

On retrouve des onces de chefs-d’œuvre connus dans bon nombre de nouvelles comme c’est le cas dans Les Frères Jumeaux où l’on sent l’esprit torturé de l’essayiste dandy qu’était Oscar Wilde, planer sur la finalité malheureuse. On se rapproche alors du Portrait de Dorian Gray, sans tomber dans un tragique qui n’aurait eu d’autre effet que d’annuler le mystère pour le transformer en dramaturgie pure et simple. Les histoires sont glauques, ironiques, cassantes et déstabilisantes. Nous n’avons plus d’ensemble de reférenciation et le monde qui nous est présenté est tout droit sortie de l’esprit d’un écrivain essayiste, pastichant les écrits et les genres. En somme le rapport au monde n’existe plus, Sorensen nous impose un rapport à son propre monde et il ne faut plus douter de rien, ni même se laisser surprendre par des personnages étranges.

L’auteur nous expose quasiment la « galerie des horreurs » avec une société engluée dans une hystérie collective constante à laquelle nul ne peut échapper. La nouvelle du meurtre peut être considérée comme une parodie de roman policier tant au final elle n’apporte rien à son lecteur et tant il en repart, tout aussi intrigué que lorsqu’il est arrivé. Le monde est injuste et suit son court quoi qu’il arrive, il n’a pas vraiment de fin et si la mort peut arrêter certains personnages, soit ils ressuscitent par miracle soit ce n’est qu’une allusion et le monde continue d’exister de plus belle, toujours plus loufoque. Sorensen ne fait pas de la gentille parodie de salon. Ses nouvelles sont acerbes, comme le froid Danois. Elles attaquent le lecteur là où ça fait mal, elles expérimentent les manières de déstabiliser un auditoire, de le réduire à l’incompréhension. Le malaise, l’incommodité et la surprise, tels sont les maîtres mots de ces neuf nouvelles qui se révèlent aussi caustiques que déroutantes.

En somme, ce petit livre est une jolie trouvaille et nous offre des facettes plaisantes pour une littérature du Grand Nord, jusque-là inexplorée. Quelques points noirs demeurent cependant, à savoir de nombreuses fautes d’orthographes non corrigées par l’éditeur, de même qu’une traduction qui râpe un peu en bouche et qui fait traîner en longueur de nombreuses formulations, là où d’autres se seraient révélées moins complexes et plus judicieuses. Pour les amateurs de littérature décalée, quasiment réservée aux seuls initiés, les Histoires Etranges de Villy Sorensen sauront vous procurer des sensations littéraires nouvelles.


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