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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « True Grit », un western dans les règles de l’art

« True Grit », un western dans les règles de l’art

En 1870, après la guerre de Sécession, dans l’Ouest américain, une jeune fille de 14 ans, Mattie Ross, cherche à venger son père assassiné par un homme qui a pris la fuite. Elle fait appel à un marshal bourru, borgne et alcoolique, Rooster Cogburn (excellent Jeff Bridges), cowboy à bout de souffle. Se joint bientôt à eux, pour cette chasse à l’homme qui les mènera jusqu’en territoire indien, un Texas Ranger (Matt Damon, très bon également) aux allures de cowboy d’opérette.

True Grit, bon western. Classique et solide. Tout y est pour en faire l’un des fleurons du genre : le thème (la vengeance), des personnages typés, le sens de l’Histoire et de l’espace. Dès son visionnage, le film des Coen a des allures de classique et c’est certainement ce qu’il deviendra avec le temps. On saura gré aux frères Coen de ne pas tomber dans une énième parodie du genre. Pourtant, on aurait pu penser qu’ils iraient dans cette direction-là. D’une part, parce qu’ils font en général un cinéma postmoderne de « revisitation des genres » où la farce bat son plein, que l’on pense à des O’Brother et autres Ladykillers, et d’autre part parce que l’un de leurs amis de jeunesse est Sam Raimi (Evil Dead) et que celui-ci, quand il s’était penché sur le western en 1995 avec son dispensable Mort ou vif, s’en était donné à cœur joie pour cartooniser le western en ayant comme référence visuelle principale le western-spaghetti labellisé Leone. Mais le film citationnel de Raimi avait ses limites car il donnait l’impression d’être stérile : il parodiait le western-spaghetti qui, lui-même, est déjà une déconstruction du western hollywoodien et, en prime, le maître en la matière – Sergio Leone – était déjà passé par là brillamment en dynamitant de l’intérieur son propre style via le western parodique qu’est Mon nom est personne, l’italien l’ayant comme on le sait produit en 1973 et en partie réalisé. Donc, Mort ou vif, ça donnait un exercice de style de seconde main qui ne faisait que confirmer l’adage « rien ne pousse à l’ombre des grands arbres ». Fort heureusement, les Coen ne vont pas dans cette direction-là, sachant certainement que la poignée de westerns signés Leone est un monde en soi, une planète, et qu’il vaut mieux ne pas trop lorgner de ce côté-ci (le maniérisme, la démystification d’un genre) car le maître transalpin, à la façon d’un Kubrick, a fait de ses opus des points de non-retour du genre semblant d’entrée de jeu refuser toute descendance possible. D’ailleurs, les westerns qui s’y sont risqués, genre Trinita et autres, ont donné ce que Leone himself appelle des « films bâtards » et on ne peut que lui donner raison ! 

True Grit donc, avec certainement en ligne de mire l’écueil de Mort ou vif, est un film qui va chercher ailleurs que chez Leone, tant mieux. Ethan et Joel Coen reviennent aux sources, non seulement du western hollywoodien (leur film est moins un remake qu’une nouvelle adaptation de Cent Dollars pour un shérif, 1969), mais également de leur veine plus classique et mortifère qui, à mes yeux, a donné naissance à leurs meilleurs films. Tels Barton fink, Fargo, The Barber et No Country for old men. Si l’on prend la définition courante du western (« film d’aventures ayant pour thème la conquête de l’Ouest des Etats-Unis sur les Indiens au XIXe siècle, et les mœurs de ces régions à l’époque », Robert 1), True Grit, que l’on peut traduire par « avoir du cran », répond haut la main aux cahiers des charges du genre. C’est le vieil Ouest qui nous est présenté, avec des villes poussiéreuses, des vêtements usés et des héros fatigués, imbibés de whiskey, cowboys à la mythologie brinquebalante qui finiront bientôt leur course, après un ultime baroud d’honneur, dans des attractions de foire. La fin des héros, la jeune fille qui tombe plus ou moins amoureuse d’un adulte (Mattie en pince quelque peu pour LaBœuf, le Texas Ranger aux éperons clinquants) : ça ne vous rappelle rien ? Clint Eastwood pardi ! Et pourquoi pas d’ailleurs, il vaut mieux s’inspirer des meilleurs que des tocards. A coup sûr, les Coen ont bien regardé Pale Rider (1985) avec son ado sensuelle et sa ville enneigée ainsi qu’Impitoyable (1992) qui brossait le portrait d’un tueur implacable revenant aux affaires pour éliminer des criminels.

Que dire de True Grit ? Tout d’abord, le film est de belle facture. Le chef op attitré des Coen, Roger Deakins, signe certaines séquences envoûtantes, notamment les veillées au coin du feu, grand classique du genre, et l’apparition dans une image blanche comme neige d’un homme-ours sur son cheval. Sublime. La bande son ne démérite pas non plus. Le compositeur fétiche des Coen, Carter Burwell, balance quelques accords de guitare bien sentis, donnant au film un rythme un peu saccadé. Ce tempo heurté épouse bien la trajectoire de ce True Grit qui narre l’histoire d’un homme las qui se met en action, après une longue attente, pour tuer des malfrats et, au passage, renouer avec les sentiments humains ; cf. son regard paternel porté sur la petite orpheline intrépide. Enfin, le casting, dans l’ensemble, est remarquable. Jeff Bridges, « le Duc » cultissime de The Big Lebowski (1997), en fait des tonnes et on en redemande. Son faire-valoir, LaBœuf/Matt Damon, est un heureux contrepoint à son aspect taiseux. Même blessé à la bouche, il n’en reste pas moins un fieffé moulin à paroles ! Quant à la jeune fille, Mattie Ross, l'actrice qui l'incarne joue bien l’ado butée fermement décidée à venger son père. Petit bémol cependant, il lui manque peut-être une pointe de nuance dans son je(u), étant un peu trop taillée d'un bloc. Hailee Steinfeld, sur ce plan-là, et en ce qui concerne l’alliance entre une jeune fille et un tueur mutique, est moins sensuelle que la Megan (Sydney Penny) de Pale Rider ou la Mathilda (Natalie Portman) de Léon. Comme si les frères Coen pour viser un public extra large – True Grit est d’ailleurs à ce jour leur plus gros succès aux Etats-Unis - n’osaient pas trop prendre, contrairement au Eastwood de Pale Rider ou au Besson de Léon, certains chemins de traverse. Ils figent d’ailleurs tellement Mattie dans un archétype, voire un stéréotype, qu’ils finissent par en faire une… vieille fille ! Mais, à leur décharge, on peut penser, qu’ambitionnant de réaliser un western classique, les frères Coen font en sorte qu’il réponde en tous points à un classicisme moral inhérent au genre, hollywoodien par excellence. Petit point faible également : le méchant (Tom Chaney) campé par Josh Brolin, pourtant bon acteur d’habitude. Ici, il joue un faible, un lâche. Du coup, on peut comprendre qu’il soit assez insignifiant à l’image. Pour autant, sa composition en demi-teinte ne le rend pas des plus passionnants à regarder. Heureusement, vient à sa rescousse un second couteau (Lucky Ned/Barry Pepper) qui lui, avec sa trogne amochée et son look de dandy de grands chemins, est charismatique et complexe à souhait. C’est un desperado mais il ne touche pas un cheveu de la petite, comme s’il répondait à un certain code d’honneur ou qu’il était profondément épaté par elle et son courage.

Malgré quelques réserves (une scène plastiquement pas très bien négociée, celle du sauvetage final à cheval et à pied de Mattie par Cogburn sur fond de transparences foireuses ; certains acteurs un peu faiblards ; une histoire linéaire trop lisible, manquant de sophistication, voire d’audace), True Grit vaut largement le détour. C’est une belle histoire initiatique, doublée d’un regard nostalgique et respectueux porté sur la chanson de geste westernienne. Les paysages sont superbes, un souffle lyrique est souvent à l’œuvre, moult répliques font mouche et certaines séquences (la traversée épique de la rivière, le pendu dans la forêt, les embuscades pétaradantes) sont remarquablement construites. Du 4 sur 5 pour moi. Bref, à défaut selon moi d’être un grand western, du calibre par exemple du psychologique La Vallée de la peur (1947) ou de l’opératique Il était une fois dans l’Ouest (1968), True Grit est, et c’est déjà pas mal, un bon western de facture classique. Dans la lignée des récents Open Range (2003), Appaloosa (2007) et 3 h 10 pour Yuma (2007). Bref, ne boudons pas notre plaisir, le western n’est pas mort !  


True Grit, de Ethan et Joel Coen (bande annonce HD vostfr) par AgoraVoxFrance 

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10 réactions à cet article    


  • Francis, agnotologue JL 1er mars 2011 09:38

    Excellente critique d’un excellent film.

    Je n’ai rien de plus intelligent à en dire. Excepté sur cette phrase : « ... ils finissent par en faire une… vieille fille ! »

    Oui une « vieille fille » au caractère bien trempé ! Je ne dévoilerai pas la fin qui modère un peu me semble-t-il, la connotation négative qu’on voir dans cette phrase.


    • Yohan Yohan 1er mars 2011 10:52

      La patte des frères Coen + 3 beaux acteurs, c’est tout bon.
      Un film à ne voir qu’en V.O et dans une salle de ciné


      • Sachant Sachant 1er mars 2011 12:18

        Je partages vos réserves et en ai quelques unes à ajouter

        La ville du début est manifestement conçue en images se synthèse et ça se voit
        Lors du sauvetage la nuit étoilée est en toc et ça se voit
        J’ai même un doute pour les serpents, trops brillants dans la pénombre

        On y retrouve pas la façon des frères cohen
        Ce léger décallage qui garde les pieds sur terre

        Jeff Bridges se spécialise dans le rôle du vieil ours mal léché, looser et alcolo
        Il est vrai qu’il ferait un un jeune premier assez étrange
        Mais dans le style, il n’atteint pas, ici, la classe qu’il a eu pour « Crazy heart »

        Le western spaghetti, irréaliste en diable enterrait le « vrai » western
        Irréaliste lui aussi car équivalent d’une image d’Epinal en provenance des USA

        Avec le recul, car il y en a eu quelques uns avant celui-ci
        Le western réaliste n’est plus un western

        On ne s’ennuie pas pendant ce film
        Mas on est pas transporté non plus


        • sisyphe sisyphe 1er mars 2011 12:39

          D’accord avec cet avis. 


          J’insiste, mais, pour ce qui est du western « réaliste », le top reste, pour moi, « Jonhn Mac Cabe » d’Altman. 

        • sisyphe sisyphe 1er mars 2011 14:24

          John Mac Cabe and Mrs Miller : sorry... avec Warren Beatty et Julie Christie



        • Francis, agnotologue JL 1er mars 2011 18:55

          Que les serpents soient factices, je ne vois pas qui pourrait s’en plaindre.


        • bo bo 1er mars 2011 13:05

          Très moyen...c’est correctement fait...les images de synthèses sont en trop...les beaux paysages ne suffisent pas....il est difficile de faire un remake d’un film plus que très moyen de la saga John Wayne.
          On est très loin de la grande période des frères COEN : c’est plat ......et ce d’autant plus que l’on attends mieux d’eux...
          Manque d’inspiration ? film alimentaire ?....de toute façon c’est normal tout ne peut pas être du niveau de FARGO...The BARBER... etc...


          • Vincent Delaury Vincent Delaury 1er mars 2011 19:07

            Merci à tous pour les différents commentaires.

            @ Sisyphe
            « Bref, un »remake« beaucoup plus fort que l’original, mais qui manque de la touche »coenienne« d’un peu de folie (...) »
            D’accord avec vous.

            @ Sachant
            « La ville du début est manifestement conçue en images se synthèse et ça se voit »
            Oui c’est vrai, les images du début ne sont pas ce qu’il y a de mieux. Trop claires. Trop lisses...
            La faute au numérique ?


            • Le Bordelleur Le Bordelleur 1er mars 2011 20:43

              Très bonne critique !


              • docdory docdory 6 mars 2011 16:22

                @ Vincent Delaury

                Très intéressante critique, bien que je serais beaucoup plus dithyrambique que vous sur ce film et sa jeune et sublime actrice !
                Pour mois, il s’agit du plus grand western depuis « impitoyable » de Clint Eastwood .


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