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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Vauban : un surdoué au service de la France - Partie 2

Vauban : un surdoué au service de la France - Partie 2

Comme nous l’avons souligné la semaine dernière, Sébastien Le Prestre n’est pas un inventeur génial, c’est un copieur intelligent. Les grands principes de la fortification version Renaissance nous viennent essentiellement des Italiens, Vauban a eu l’intelligence de les améliorer, les rationaliser et les intégrer dans un système de réseau de défense nationale.

L’invention de la poudre est à l’origine de la fortification bastionnée et de la conduite des sièges méthodiques impliquant une convergence plus importante de l’artillerie, du génie et de l’infanterie, une révolution qui pour vous donner une idée fut autrement plus importante que celle d’internet. Celle-ci est parvenue depuis la Chine (lieu de son invention) jusqu’en Europe en passant par le monde arabo-perse. La fin du Moyen-âge, XIVème et XVème siècles en particulier, voit les armes à feu se perfectionner pour devenir pleinement utiles et maîtrisées au début de la Renaissance. C’en est terminé de l’honorable combat chevaleresque, un trouffion peut maintenant zigouiller un noble chevalier à distance, et ceux qui refusent de l’accepter s’exposent à une mort parfaitement stupide, c’est un combat d’arrière-garde. Vauban, en homme pragmatique qu’il est, l’a bien compris.

Désormais les hautes et épaisses murailles des châteaux forts sont menacées par des canons qui ont la capacité de tirer à longue distance, ouvrant d’importantes brèches dans n’importe quel mur. Toute la problématique architecturale et militaire du XVIIème siècle réside dans ce constat, et les spécialistes au service de la Couronne vont s’évertuer à concevoir des forteresses adaptées aux armes modernes.

Bien que Vauban demeure le maître incontesté des nouvelles formes de forteresses, il doit beaucoup à ses prédécesseurs, par ailleurs son œuvre sera prolongée par ses successeurs après sa mort. Cela explique qu’on parle parfois d’ouvrages « à la Vauban », ce dernier n’ayant pas pu concevoir personnellement toutes les forteresses de son temps. Voici donc résumées les principales caractéristiques d’une forteresse de type Vauban. Je vous la fais en version simple, car les experts s’expriment dans un jargon qui vous fait froncer les sourcils à chaque ligne, comme dans cette description de la citadelle de Sisteron : « Le reste de l’enceinte se compose d’un mur à contreforts flanqué d’échauguettes rondes à cul-de-lampes en quart-de-ronds. Des casernes, une poudrière et une chapelle occupent l’intérieur, qui est séparé des fronts bastionnés par un redan. » 

Pour cela nous prendrons pour exemple la citadelle de Neuf-Brisach dans le Nord-Est de la France, une ville créée à partir de rien (j’aurais pu dire « ex-nihilo » pour me la jouer, mais vous me connaissez, c’est pas le genre de la maison). C’est un des ouvrages les plus aboutis de Vauban, il concentre toutes ses innovations. Il s’agit donc d’une forteresse en forme d’étoile parfaitement apte à résister à l’artillerie adverse. D’abord parce qu’elle est conçue non plus en hauteur mais en profondeur, ce qui l’expose beaucoup moins. Les murs en zigzags compliquent la tâche de l’assaillant et rendent impossible l’éclatement des murailles avec un seul boulet de canon tiré perpendiculairement. En effet, les épaisses murailles ne sont plus faites exclusivement de pierres mais sont remplies de terre, créant un effet d’amorti lorsqu’un boulet de canon l’atteint. La forteresse est faite pour accueillir de nombreuses pièces d’artillerie, des contre-batteries qui peuvent atteindre l’artillerie adverse. Pour cela il a fallu penser intelligemment l’aménagement de chaque partie de la forteresse afin d’ouvrir un champ de tir aux défenseurs. Les abords de la forteresse sont terrassés en pente douce afin d’exposer l’éventuel assaillant aux tirs de défense depuis le chemin couvert (partie haute de la muraille extérieure). 

Mais l’innovation majeure est sans doute l’ajout d’ouvrages à l’extérieur de la forteresse. Si une brèche est ouverte dans ce système de défenses le bastion peut tranquillement canarder les assaillants, et à l’inverse la perte d’un bastion ne condamne pas à la défaite puisqu’il est flanqué par d’autres ouvrages. Donc si les assaillants prennent le bastion ils sont certains de se faire tirer dans le derrière depuis les remparts de la forteresse ! Encore plus vicelard. Enfin la conception en étoile bastionnée, permet la défense mutuelle entre défenseurs postés aux différents coins de la forteresse. Les demi-lunes (sorte de chevrons visibles sur le plan) sont des variantes du bastion. 

Avoir de jolies pièces d’artillerie c’est bien, encore faut-il pouvoir les acheminer partout où nécessaire sans rester coincé parce qu’un couillon est resté en double file dans une rue étroite ! La révolution militaire entraîne donc avec elle une révolution urbanistique qui conduit à l’abandon des petites rues tortueuses et privilégie les larges avenues perpendiculaires et les villes orthogonales. Neuf-Brisach symbolise cet idéal, il y est aisé de se rendre de la place d’armes centrale à n’importe quel point de la ville. 

Et Marseille dans tout ça ? S’il est vrai que la Méditerranée n’est pas la priorité stratégique du Royaume, la frontière du Nord-Est étant bien plus sensible et exposée, elle va néanmoins attirer l’attention du Roi. La ville n’est pas merveilleusement défendue, preuve en est le sac de 1423 par les Aragonais [http://www.newsofmarseille.com/marseille-devient-francaise-au-xveme-siecle-mieux-vaut-tard-que-jamais/]. Il faut donc envisager l’hypothèse d’une attaque de la ville par les ennemis de la France tant en Savoie qu’en Italie ou en Espagne. Pourtant c’est une attaque de l’intérieur qui va alerter Louis XIV. Entre 1655 et 1660 des notables marseillais entrent en rébellion contre le Roi qu’ils accusent de remettre en cause les libertés importantes dont jouit leur cité passée depuis peu sous le contrôle des rois de France. La révolte est matée par la Couronne et le Roi ordonne la construction d’une citadelle et d’une forteresse s’appuyant sur une tour datant de l’époque du Roi René. Ce seront les forts Saint Nicolas et Saint Jean. Mais à l’époque Vauban n’est pas le numéro 1, et c’est le chevalier de Clerville, plus haut placé, qui se charge de leur conception et de leur construction. A raison de treize heures de travail par jour (sept en hiver) et six jours par semaine les forts sont rapidement terminés, ils sont conçus et orientés de manière à défendre la ville contre un envahisseur extérieur mais surtout intérieur ! 

Clerville décède en 1678 et laisse le champ libre à Vauban qui s’était déjà rendu à Marseille en 1670. Autant vous le dire, il est pour le moins méprisant à l’égard de cette mentalité méditerranéenne qui laisse perplexe les gens du Nord habitués à la discipline et à la rigueur. Quant aux ouvrages eux-mêmes il en critique à peu près tous les aspects. Voici ce qu’il dit du fort Saint-Nicolas : « Un assemblage fort magnifique (...) d’ornements extravagants (...), la plus mauvaise citadelle de l’univers (...), l’abrégé d’un désordre. » Des questions ?

Quant au rempart de la ville de Marseille il préconise une muraille de défense au lieu du simple mur de clôture qui n’est là que pour assurer les péages dans la ville, principale source de revenu pour les autorités. Mais il n’est pas suivi et la nouvelle muraille qui concrétise l’agrandissement de 1666 n’a pas de vocation militaire. Enfin il ajoute sa petite touche personnelle au Château d’If avec une modification à l’ouvrage construit au XVIème siècle. 

Près de chez nous il existe de nombreuses forteresses construites par Vauban ou selon ses principes, en particulier le long de la frontière sud-alpine. En effet l’invasion des Alpes par le Duc de Savoie qui passa le Col de Vars en 1692 et les ravages qui suivirent en Queyras et Ubaye avaient marqué les esprits. Plus question de s’exposer à l’ennemi, Louis XIV charge son fidèle Vauban d’y remédier. D’Entrevaux à Briançon en passant par Colmars les Alpes, Embrun ou encore Mont Dauphin, chaque vallée stratégique est bientôt défendue par une forteresse. Vauban a eu l’intelligence de penser chaque ouvrage en fonction du relief et on peut réellement dire que les forteresses des Alpes sont souvent uniques et parfaitement fondues dans leur environnement. 

En conclusion je ne peux que vous encourager à vous renseigner plus amplement sur le personnage d’exception que fut Vauban. Profitez donc de vos prochaines vacances au ski pour jeter un coup d’œil au patrimoine qui vous entoure, et vous tenez peut-être même une bonne raison de vous rendre dans le Nord-Est de la France, par ailleurs peu avenant pour les Marseillais que nous sommes. Pour approfondir ce sujet je vous conseille enfin la lecture de « l’Héritage Culturel Vauban à Luxembourg » (Editions Saint-Pierre, Luxembourg, 2005) par Cyrille Savin, spécialiste des fortifications Vauban et que je remercie à nouveau pour son aide dans l’élaboration de cet article.

Pierre SCHWEITZER


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4 réactions à cet article    


  • ZEN ZEN 16 juin 2012 10:42

    Fort bien
    Mais quid des innombrables villes et ouvrages fortifiés du Nord de la France ?
    Je sais, c’est aussi une région peu avenante... smiley


    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 16 juin 2012 17:12

      Salut Zen ,ma préférence va à Montreuil sur Mer,dont les plus vielles parties datent du XIe .
      Dans la liste il n’y a pas Doullens (bon c’est le début de la Somme )et y passant il y a peu les remparts m’on semblés un poil plus abimés qu’il y a une vingtaine d’années (budget ? ) .


    • Gasty Gasty 16 juin 2012 12:33

      Quelques forts du Briançonnais :

      http://asgsystm.free.fr/randouillet/

      http://asgsystm.free.fr/CroixBretagne/

      http://asgsystm.free.fr/infernet/

      Classé au patrimoine mondial de l’unesco (sauf L’infernet , l’anjou et Mont dauphin )


      • calimero 16 juin 2012 14:59

        une révolution qui pour vous donner une idée fut autrement plus importante que celle d’internet

        D’un point de vue strictement militaire peut-être. D’un point de vue anthropologique internet revêt une importance majeure. Pour résumer vite fait le point de vue :

        1. Invention de l’écriture : externalisation de la mémoire.
        2. Invention de l’imprimerie : démocratisation de la mémoire globale
        3. Invention d’internet : mutualisation de la mémoire globale

        Ça me parait plus signifiant à l’échelle de l’humanité que l’invention d’un expédient pour se mettre sur la gueule.

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