Venise et l’Orient
Le titre de l’exposition qui se déroule actuellement à l’Institut du monde arabe (IMA) est alléchant, ambitieux, prometteur. Comment ne pas être attiré par une exposition qui retrace en près de deux cents oeuvres d’art les relations complexes et riches entre la Sérénissime et les pays d’Orient ?
Bien sûr, on se doute d’entrée de jeu que l’Orient évoqué n’ira pas jusqu’en Chine, ni même en Inde. Nous sommes à l’Ima et la civilisation musulmane est suffisamment vaste géographiquement pour représenter, à elle toute seule, un Orient avec lequel la République de Venise aura eu des échanges culturels et commerciaux de première importance.
Exit donc Marco Polo, la route de la soie et les fabuleux trésors de Chine. Nous allons voir les chefs-d’oeuvre des Fatimides, Ayyoubides, les vestiges du commerce avec les royaumes croisés de Terre sainte, l’art des Ottomans.
Effectivement, l’exposition présente des oeuvres vénitiennes et arabes des empires mamelouks et ottomans. Des pièces incroyables, des trésors que l’Europe a découverts à l’occasion de ces relations commerciales et qui furent longtemps les symboles d’un statut social élevé.
Pourtant, je suis ressorti de cette exposition frustré, déçu, à la limite d’une grosse colère.
Si je suis admiratif des oeuvres exposées, j’avoue n’avoir pas saisi la manière dont l’exposition a été conçue. Le parcours est brouillon, sans référence géographique ni historique forte. Le découpage entre Empire mamelouk d’une part, Empire ottoman d’autre part, est approximatif. Rien n’est expliqué vraiment clairement sur les spécificités des relations qu’a pu avoir Venise avec ces deux grands ensembles politiques et culturels. Le visiteur passe de l’un à l’autre sans vraiment saisir la différence.
Aucun rappel non plus n’est fait pour situer ces deux empires sur une carte du monde méditerranéen. Ils sont pourtant bien distincts. Le premier a fait du Caire sa capitale. Istanbul est le centre du second après sa conquête en 1453. Je doute fort aussi que la majorité des visiteurs puissent avoir une culture suffisamment vaste pour connaître les différences de culture, de peuplement, de techniques artistiques et artisanales entre Mamelouks et Ottomans. Au demeurant, le système politique est totalement différent, les Mamelouks étant des « ministres » esclaves ou affranchis - et pourtant tout-puissants - du calife du Caire, alors que l’Empire ottoman est dirigé par un sultan dont le pouvoir n’est pas nominal mais bien réel.
La présentation des oeuvres me pose, elle aussi, problème. Nombre des pièces exposées sont de petite taille, ce qui oblige les visiteurs à s’approcher de très près pour en voir les détails. Cela limite bien évidemment le nombre de personnes pouvant les admirer en même temps. Mais, visiblement, ce détail a dû être jugé intéressant, vu les cartels explicatifs de chaque oeuvre. Ces petits textes qui vous donnent l’origine et la période de création de l’oeuvre, ainsi que l’auteur - quand il est connu - sont souvent lus attentivement par les visiteurs. Ici, cette lecture se transforme en cauchemar tellement ils sont petits. Sans réclamer des typos gigantesques, il aurait été intéressant qu’on puisse lire ces cartels sans être obligés de s’en rapprocher à quelques centimètres ! De plus, est-ce trop demander que d’avoir des textes écrits sans faute d’orthographe ou de grammaire ?
Les textes de présentation des groupes d’oeuvres sont eux beaucoup plus gros. Malheureusement, le choix de leur emplacement les rend incompréhensibles, sauf à tourner et retourner dans les salles pour savoir à quelle partie de l’exposition ils font référence. J’apprécie que l’on m’explique les arts de la métallurgie damasquine, mais si le texte est inséré entre des vitrines qui présentent des livres, j’ai tout de suite du mal à faire le lien entre son propos et les oeuvres que je vois. Question de simplicité d’esprit, peut être ?
D’une manière générale, on pouvait s’attendre - par le titre - à une exposition qui présenterait les influences réciproques de la Venise européenne et de ces cultures arabo-musulmanes dans le domaine des arts, et ceci au long des siècles. Quelque chose comme un effet miroir, chaque oeuvre d’une culture renvoyant à une autre, issue de la culture d’en face. L’affiche de l’exposition au demeurant suggère ce reflet, nous présentant le portrait de profil d’un doge face à celui d’un sultan ottoman. Malheureusement, là encore, vous ne trouverez rien de tout cela. Les rapprochements sont de votre ressort, aucun effort particulier n’a été fait pour les clarifier.
Finalement, cette exposition, dont le sujet évoquait un monde passionnant et disparu, se révèle être une escroquerie, une parodie grotesque. Seul le prix du ticket d’entrée est à la hauteur des exigences de ses concepteurs : dix euros. C’est cher, très cher pour visiter quelques salles dans lesquelles on s’est contenté d’amasser, sans ordre ni fil conducteur, des objets dont la beauté et l’antiquité ne méritaient pas un tel traitement.
La consultation du livre d’or - archi-comble ! - met en lumière une frustration que je ne suis pas le seul à avoir éprouvé. Ma foi, il faut espérer que les concepteurs de cette exposition le consulteront un jour ou l’autre. Surtout si elle est destinée, comme j’ai cru le comprendre, à être présentée au Met’ à New York. Je doute fort qu’un tel amateurisme soit toléré bien longtemps dans ce temple de la culture outre-Atlantique.
Manuel "pas-content" Atréide
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