• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Virginia Woolf ou la traversée des apparences

Virginia Woolf ou la traversée des apparences

L'événement littéraire du moment est l'entrée dans la Pléiade de la romancière anglaise Virginia Woolf, consécration suprême d'un talent original fruit d'une existence mouvementée.

Les oeuvres romanesques de Virginia Woolf font leur entrée dans la Pléiade, consécration suprême pour l'un des grands écrivains britanniques du XXe siècle, hommage aux variations impressionnistes d'une plume qui se plaisait en une alternance savamment dosée de transparence et d'opacité. Femme douée d'hypersensiblité, Virginia Woolf passait sans transition de la dépression la plus totale à l'exaltation la plus vive, demeurant dans son imaginaire en un halo de songes et de réminiscences très proustiennes comme elle l'exprime dans "Vers le phare" ( 1927 ), où l'on voit une petite fille perdue au beau milieu " de cette spacieuse cathédrale " qu'est l'enfance. Elle n'en sortira jamais, captive en permanence du flux et reflux de sa vie intérieure, "ces moments d'être" - précisait-elle en un style délié et ondoyant qui savait si bien dire l'essence des choses, les inflexions de l'âme, les détresses de l'esprit et les caprices du monde.

Née en 1882 dans une famille recomposée et érudite, entourée de livres, tout, en effet, la prédisposait à la littérature à laquelle son père, éminent critique et lecteur assidu, l'entrainera très vite. Sa première épouse n'était autre que la fille de William Thackeray, l'auteur des "Mémoires de Barry Lyndon". Ainsi Virginia croisera-t-elle, dès son jeune âge, des personnalités comme Henry James à qui elle sera redevable de la technique narrative dite "le courant de conscience" et de quelques autres sommités de l'époque.

Peu après le décès de son père en 1904, elle s'installe à Bloomsbury, un quartier bohême londonnien où, chaque jeudi, elle recevra quelques-uns des artistes les plus prometteurs, dont le romancier E.M. Forster, le biographe Lytton Strachey, les peintres Roger Fry et Duncan Grant et l'auteur Léonard Woolf qu'elle épousera sans l'aimer pour autant. Tous deux formeront le "Bloomsbury Group", cénacle et foyer d'incubation des arts avant la Grande Guerre avec un côté anti-conformiste affirmé et volontier hippie avant l'heure. La promiscuité s'y prêtant, les liaisons homosexuelles se multiplieront auxquelles Virginia cédera, ayant connu de nombreuses amitiés féminines dont certaines se transformeront en amour, ce sera le cas avec Katherine Mansfield et Vita Sackville-West qui lui inspireront l'une et l'autre la biographie imaginaire d'Orlando ( 1928 ), créature androgyne et baroque à la croisée des genres.

Son mari sera pour elle un père plus qu'un amant, père tyrannique l'accusera-t-elle à tort, car cet homme, ayant renoncé à sa propre carrière littéraire qui s'annonçait prometteuse, se consacrera entièrement à elle, devenant son infirmier, son aide-soignant et lui évitant probablement l'internement. Ensemble ils lanceront en 1917 l'une des plus fécondes aventures éditoriales de la première moitié du XXe siècle : la Hogarth Press qui publiera des auteurs comme Freud, Eliot, Rilke et quelques autres de même pointure, sans oublier Virginia évidemment.

En tant qu'écrivain, elle sera à l'aise dans tous les registres : critique, biographie, lettre, roman, autobiographie, récit, servi par un style fantasque qui sait épouser tous les prismes de couleur et se livrer sans retenue à la poésie comme à la fiction, aux descriptions de la nature comme aux aveux intimes. Ainsi couche-t-elle sur le papier, et selon son inspiration et les circonstances, les perfidies humaines et les vérités profondes, cédant tantôt aux désespoirs les plus fous, tantôt aux éblouissements les plus enfantins, avec cette grâce d'écriture qui n'appartient qu'à elle. Sa sensibilité vibrante et sa fragilité assumée lui permettront d'illuminer ses pages de la magie de l'illusion comme l'exprime le titre de l'un de ses ouvrages "La traversée des apparences" ( 1915 ). En définitive, il ne se passe preque rien dans ses livres, l'action est reléguée au second plan au bénéfice des monologues intérieurs, des rêveries précieuses, des réflexions sur le quotidien le vain, l'inutile qui tout à coup s'octroient une importance troublante. Si Virginia Woolf a rentenu l'insignifiance des choses, c'est qu'elle la considérait comme signifiante de la condition humaine.

Chez elle l'écriture était une résurrection, une tentative d'exister et de se perpétuer au-delà de soi. Cet univers étonnamment désincarné évoque l'aquarelle où se promeneraient, à peine visibles, des personnages évanescents, en apesanteur dans un monde qui seul fixe le trait. Dès son adolescence, Virginia se sentira à l'étroit dans une société édouardienne où le rôle des femmes était encore mal défini. C'est ce qui fera d'elle une féministe confirmée qui ne se privera pas de venger son sexe comprimé par les mâles victoriens. Ainsi en sera-t-il dans "Une chambre à soi" ( 1929 ) et "Trois Guinées" ( 1938 ) qui, sans constituer l'essentiel de son oeuvre, lui a mérité la quasi béatification de la part des mouvements féministes d'aujourd'hui.

JPEG - 19.2 ko
Virginia peinte par Roger Fry

Mais ne la réduisons pas à cela, l'essentiel de sa production romanesque ne met en avant aucune thèse particulière. Ce qui la singularise n'est-ce pas davantage sa féminité étrange, l'imprégnation du mystère qu'elle dégage et la puissance de ses évocations poétiques ? Plus que féministe, elle est intensément féminine et jamais plus que dans ses livres où l'on sent si bien se dessiner les frontières qui séparent les hommes des femmes. L'idée d'être incomprise, tout ensemble futile, subjective et délaissée baigne la plupart de ses oeuvres. Il y a chez elle une délectation morose, mais comment en serait-il autrement de la part d'une femme qui n'a cessé de monologuer avec la mort depuis sa jeunesse ! Cette mort qu'elle rejoindra volontairement le 28 mars 1941 à l'âge de 59 ans. Elle qui avait goûté à l'ivresse et à la folie se savait parvenue au terme de son voyage terrestre et s'accordait l'ultime liberté de choisir son moment et son heure pour quitter le monde des apparences pour l'autre. Lestée de lourdes pierres, elle se laissera glisser dans l'onde glacée d'un cours d'eau, afin de se dissoudre dans l'élément liquide, elle qui avait écrit dans son ultime ouvrage "Entre les actes" ( 1941 ) cette phrase prémonitoire : "Puisse l'eau me recouvrir". Ainsi disparaissait physiquement pour mieux renaître littérairement cette femme-enfant que Marguerite Yourcenar, autre grande dame des lettres, décrivait ainsi : "Un pâle visage de jeune Parque à peine vieillie, mais délicieusement marquée des signes de la pensée et de la lassitude".

 

Oeuvres romanesques de Virginia Woolf - Gallimard/La Pléiade - 2 volumes ( 1552 pages ) 120 euros jusqu'au 31 août.


Moyenne des avis sur cet article :  4.43/5   (7 votes)




Réagissez à l'article

8 réactions à cet article    


  • ARMINIUS ARMINIUS 22 mai 2012 08:40

    Depuis l’excellent film « The Hours », je n’ai plus peur de Virginia Woolf . Belle article pour une merveilleuse romancière...merci !


    • alberto alberto 22 mai 2012 11:32

      ARMINIUS : + 1

       smiley


      • ARMINIUS ARMINIUS 22 mai 2012 19:01

        Alberto :
        Il y en a au moins un qui suit, merci et bravo !
        A part ça dommage que ce genre d’articles ne soit pas plus lu...


      • alinea Alinea 22 mai 2012 23:11

        Si, cet article est lu mais il n’y a pas de commentaire à faire ; On apprécie et l’on se tait !


      • ARMINIUS ARMINIUS 23 mai 2012 07:43

        On peut quand même, si on apprécie, encourager l’auteur, ça peut lui donner envie de continuer... et de nous régaler à nouveau. Cela fait partie des bonnes pratiques...même si le silence est d’or....


      • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 23 mai 2012 09:34

        Merci à vous, cela encourage en effet les commentaires sympas.


        • Isis-Bastet Isis-Bastet 27 mai 2012 15:36

          Bel hommage à cette grande dame des lettres anglaises.


          • bluebeer bluebeer 28 mai 2012 10:22

            Bonjour,

            J’avais pour ma part été fasciné par Orlando, ainsi que par l’adaptation de Mrs Dalloway dans le film The Hours. Il se dégage de ces récits une grâce onirique, enfantine, où la noirceur se mêle à la lumière, et une sensibilité extrême, quasiment douloureuse. A l’image de sa vie, apparemment.

            Merci pour l’article. Au plaisir de vous lire.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès