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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > We Need to Talk about Kevin : la culture de l’enfant-monstre

We Need to Talk about Kevin : la culture de l’enfant-monstre

Par un amusant hasard, We need to talk about Kevin arrive sur nos écrans en même temps que le dernier Rémi Besançon, Un Heureux Événement. Mais la comparaison s'arrêtera là : si le long métrage de Lynne Ramsay traite également de maternité, il prend le contre-pied de la plupart des films sur le sujet à travers un récit noir, cruel et chargé d'ambigüités.

Adapté du roman de Lionel Shriver, We need to talk about Kevin est étrangement reparti bredouille du Festival de Cannes 2011 même s'il y a fort à parier que Tilda Swinton, actrice principale du film, ne soit pas passée loin du prix d'interprétation. Déjà remarquée entre autres grâce à son court métrage Gasman (Prix du Jury du meilleur court à Cannes en 1998), la cinéaste Lynne Ramsay frappe très fort avec ce thriller qui vous glace le sang tout en dynamitant au passage quelques tabous. Le meilleur film d’enfant diabolique ?

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La culture de l'enfant-monstre

Avant d'aborder le cas We need to talk about Kevin, une petite mise en perspective s’impose. Rappelez-vous, c'était en 1976 : Richard Donner marquait les esprits en signant le film d'horreur La Malédiction, dans lequel un couple donnait naissance à un enfant, Damien, qui s'avérait être rien moins que le fils du Diable. Trente-cinq ans après ce classique du cinéma d’horreur qui a par ailleurs donné lieu à deux suites plus inégales, le sujet de l'enfant diabolique est toujours d'actualité. Pourtant, les bondieuseries n'ont plus le vent en poupe. La culture de l'enfant-roi a pris ses droits sur l'Amérique, et accessoirement sur tout l'Occident, et la notion d'autorité parentale a largement été mise à mal. Mais à l’heure où les psychiatres donnent leur avis sur le moindre dérapage, où les fessées sont devenues synonymes de pédophilie et où chacun a la possibilité d’être coaché pour devenir un bon parent, l'exploration du mal-être au sein de la famille n'a plus besoin de se cacher derrière un argument surnaturel. C'est donc sans surprise que les films d'enfants-monstres abordent aujourd'hui frontalement les tourments de la famille moderne, la frontière de plus en plus floue entre autorité et abus parentaux aux yeux des autres, le sentiment de culpabilité des parents qui n'entrent pas dans le moule des mères et pères parfaits tels qu'ils sont définis par la société.

A y regarder de plus près, le thème de La Malédiction avait déjà été revisité en 2007 dans le très bon Joshua, premier long métrage de George Ratliff dans lequel Sam Rockwell et Vera Farmiga incarnaient deux parents terrorisés par un fils machiavélique. Dénué de tout élément fantastique, ce mélange de thriller et de drame psychologique auscultait déjà les relations familiales à travers le point de vue d'un père découvrant la perversité de son fils, mais aussi – et c'était peut-être là le pire – l’absence d’amour de son épouse et de lui-même envers leurs enfants. L'année d'après, Esther de Jaume Collet-Sera revenait vers la tradition du film d'horreur à travers les mésaventures d'un couple dont la fille adoptive, véritable démon manipulateur, cachait un terrible secret. En 2009, le film britannique The Children, de Tom Shankland, reprenait lui aussi le canevas classique du film de genre pour mettre en scène une tuerie sanguinaire orchestrée par de charmantes têtes blondes possédées par des esprits. Pourtant, même dans Esther et The Children, les personnages des parents apparaissaient d'emblée dépassés par leur tâche de mère et de père, une faille dans laquelle les enfants maléfiques allaient bien entendu s'engouffrer.

L'amour en plus

Là où We need to talk about Kevin se distingue radicalement des films précédemment cités, c'est non seulement dans son absence de touche surnaturelle, caractéristique qu'il partage avec Joshua, mais aussi par sa structure narrative et le choix de son point de vue, autant d’éléments qui invitent constamment le spectateur à s'interroger sur les images qui lui sont dévoilées. Reposant sur une construction narrative brisant la chronologie des événements, We need to talk about Kevin débute dans le présent, alors qu'Eva (Tilda Swinton), rejetée par tout son voisinage, tente péniblement de survivre à une tragédie qui ne nous sera révélée qu'à la fin de l'histoire. Pauvre en dialogues, We need to talk about Kevin mélange les séquences douloureuses du présent, marquées par une esthétique terne et réaliste, avec les souvenirs fragmentés de sa vie de famille.

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Centrés sur sa relation malade entre Eva et son fils Kevin (Ezra Miller), que l'on découvre bébé, enfant puis adolescent, ces réminiscences sont empreintes d'une terreur sourde et insidieuse. Le film commence fort en dynamitant le tabou de ces mères qui s'aperçoivent dès les premières semaines de vie de leur progéniture que l'amour maternel n'est ni instinctif, ni automatique, que mère et enfant ne se choisissent pas l'un l'autre. Un propos qu’Elisabeth Badinter n’aurait pas renié. Toutefois, sachant que les images de l'enfance de Kevin ne sont que des souvenirs d'Eva, représentent-ils la réalité de leur relation ou s'agit-il d'une reconstruction a posteriori prenant naissance dans son esprit confus ? La présence d'ellipses dans le récit suggère que la mère occulte peut-être des éléments, ce qui nous amène à nous demander si We need to talk about Kevin n'est pas, en plus d'une histoire d'enfant monstrueux, une histoire d'enfant maltraité. Tandis qu'Eva et Kevin apparaissent littéralement enfermés dans le cadre, le père Franklin (John C. Reilly) et la petite sœur Celia (Ashley Gerasimovich) entrent et sortent librement du champ, comme pour souligner que le drame qui se joue au sein du foyer leur échappe. Si l'on n'en voudra pas à la petite fille de passer à côté, l'attitude de Franklin s'avère nettement plus contestable. Ainsi, lorsque surviennent les faits les plus alarmants, ce père d'apparence équilibrée brille surtout par son aveuglement, voire son absence. Si maltraitance il y a, We need to talk about Kevin brise un autre tabou en soulignant le rôle majeur du conjoint.

Face-à-face d'acteurs

Jouant sur une bande son déstabilisante, composée de titres dont les notes optimistes se mêlent à des arrangements inquiétants, We need to talk about Kevin repose sur un climat anxiogène évoluant au fil des émotions d'Eva. Lynne Ramsay filme les regards intenses de la mère et du films pour en faire les protagonistes d’une guerre psychologique jamais clairement déclarée mais pourtant d'une violence inouïe. Face à une Tilda Swinton habitée, et dont la composition bouleversante vaut à elle seule le déplacement, les jeunes acteurs interprétant Kevin font du personnage l'une des attractions majeures du film. Jasper Newell, alias Kevin enfant, fait littéralement froid dans le dos, une interprétation dont Ezra Miller (Kevin adolescent) prend le relai avec un incroyable charisme, jouant sur une palette de regards glaçants à souhait. Remarqué dans City Island, comédie dramatique de Raymond de Felitta où il jouait le fils d'Andy Garcia, Ezra Miller s'impose comme un acteur à suivre de près dans la jeune génération d'aujourd'hui. En tout cas, son face-à-face avec Tilda Swinton, grande dame du cinéma actuel, restera à coup sûr dans les mémoires.

Troublant, ambigu, fascinant jusqu’à la dernière minute, We need to talk about Kevin ne nous apportera pas toutes les réponses et c’est là sa plus grande force. On en ressort les tripes nouées, des questions plein la tête, à la fois ému et horrifié par cette relation mère-fils toxique et d’une rare cruauté.

Voir la bande-annonce de We need to talk about Kevin :

Documents joints à cet article

We Need to Talk about Kevin : la culture de l'enfant-monstre

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7 réactions à cet article    


  • Montagnais .. FRIDA Montagnais 29 septembre 2011 15:46

    « Culture de l’enfant monstre ».. Quel beau titre !


    Et même quel bel article pour les derniers dévots cinéphiles.

    On s’attendait à un essai sur l’anthropologie et la métamorphose de l’enfant contemporain en monstre, par addiction aux écrans, à la télévision, au spectron et par la suppression de tous les chemins d’accès à la culture..

    Nos enfants s’ectoplasmisent. Quel sujet ! ça aurait été beau.

    Mais, que nenni.. C’est en technicienne avertie que vous faites la réclame d’un film dont on nous rebat les oreilles à gros calibres télévisuels depuis déjà un bon moment.

    « la cinéaste Lynne Ramsay frappe très fort avec ce thriller qui vous glace le sang tout en dynamitant au passage quelques tabous »

    C’est vous qui allez fort.. « glace le sang ».. Vous y croyez vous ? Qui ?

    Et de quels tabous s’agit-il ? Faut se méfier de la définition de tabou dans la novlangue bobo..

    Quant à dynamiter, quelle excessive image, si-emphatique, si inappropriée. C4, Semtex, Mélinite ? 

    Mais j’irai pas chercher plus loin, n’étant pas technicien du cinéma, ni du plastique, et même cinéphobe.

    « C’est la fin ! Cette semaine dans les salles, Harry Potter et les Reliques de la Mort .. »

    Quelle affaire ! 

    Je vous salue quand même, j’ai poussé la porte par inadvertance.

    • Elodie Leroy Elodie Leroy 29 septembre 2011 16:13

      Quel beau message ! smiley

      Si vous êtes cinéphobe, qu’est-ce qui vous a fait pousser la porte ? Le titre ? Navrée de vous avoir déçu : le traitement du sujet dans mon article est directement lié au contenu du film.

      Cela dit, il est dommage que vous n’ayiez pas l’ouverture d’esprit d’aller jeter un coup d’oeil au film. En effet, sachant que vous vous attendiez à un propos sur l’addiction des enfants à la télévision et aux écrans, il n’aurait été inintéressant d’avoir votre opinion sur ce que montre (ou ne montre pas) le film.

      Sans rancune.

      E


    • Traroth Traroth 29 septembre 2011 17:52

      Les écrans ne permettraient donc pas l’accès à la culture ? Vous êtes peut-être sincère en le disant, mais c’est quand même complètement faux !


    • Bovinus Bovinus 29 septembre 2011 17:53

      @ l’auteur

      Il se trouve que moi aussi, j’ai « poussé la porte par inadvertance ». C’est donc le titre qui doit être un peu trop racoleur.

      « Cela dit, il est dommage que vous n’ayiez pas l’ouverture d’esprit d’aller jeter un coup d’oeil au film. »

      Je n’irai pas voir ce film, ni aucun autre d’ailleurs, dans un proche avenir. C’est donc que je dois avoir l’esprit étroit, forcément.

      Non. C’est juste que je n’ai pas deux heures et neuf euros à perdre.


    • Traroth Traroth 29 septembre 2011 17:51

      A ma connaissance, Tilda Swinton est la première femme à réussir à s’imposer dans le monde du cinéma en jouant exclusivement des rôles de « méchantes ». Un parcours intéressant...


      • Morgane Lafée 30 septembre 2011 14:25

        C’est pas faux, mais elle a diversifié son registre entre temps. Je n’ai pas vu Burn After Reading ni Amore, mais je me souviens d’elle dans L’Etrange Histoire de Benjamin Button, où elle interprétait avec une certaine grâce une amante de passage. En tout cas, c’est une actrice qui a une vraie profondeur.


      • Morgane Lafée 30 septembre 2011 14:32

        Ou peut-être que c’est vous qui ne savez pas lire puisque ce dont parle le film est clairement dit dans ce texte : une relation mère-fils, un fils monstrueux. Sinon, vous pouvez consulter le synopsis sur Allociné, mais ce sera un synopsis officiel rédigé par le distributeur.

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