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Accueil du site > Culture & Loisirs > Étonnant > Ce fleuve qui se défie de ses ponts

Ce fleuve qui se défie de ses ponts

La nouvelle arche d'alliance.

 

Les ponts de la Loire

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Il était une fois un fleuve impétueux qui n'aimait pas qu'on l'enjambe. La chose est particulière et ne supporte guère de comparaisons. La Loire puisque c'est d'elle, naturellement qu'il s'agit, protège jalousement ce qu'elle pense être sa virginité. Le bien est précieux en pays d'ici et j'ai même connu une bergère qui, pourtant, plus d'une fois traversa le fleuve sans perdre sa fleur au grand dam des mariniers d'alors !

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Mais laissons la à ses blancs moutons et préoccupons-nous de nos ponts et de leurs arches et de toutes les manières que nos ponts entreprirent pour passer de l'autre côté. De petits pas en pilastres, de pieux jetés au fond du lit, de bardeaux enfoncés à grands coups de sonnettes, la construction repose sur un étrange équilibre, instable et sable, eau et terre, ciel et eau.

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Le pont pose parfois son tablier, il refuse de porter plus loin cette responsabilité coupable de laisser franchir une dame qui n'aime pas qu'on la force. Le temps reste suspendu sur des filins aux ruptures fatales, des ponts qui larguent les amarres de leurs câbles, par un grand froid ou une troupe qui avance au pas. Nous sommes le 16 janvier 1985 à 7h40, un cycliste, qui fut heureusement champion de cyclo-cross s'offrit la plus belle frayeur de sa vie à deux roues.

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Les piles perdent aussi la face quand le temps se joue de leurs assises. Que les hommes inconséquents tirent trop de sable en amont ou en aval, menaçant jusqu'à ce qu'elles ne cèdent des piles aux ancrages qui s'affaissent et se dérobent. Le 9 avril 1978 à 9 h 30, la deuxième arche du pont Wilson s'affaissa à son tour ! Elle ne faisait qu'imiter en cela bien de ses camarades qui subirent les assauts des crues historiques comme le 2 juin 1856.

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Et quand la Loire, le froid ou le sable ne se mêlent pas d'interrompre le passage, les hommes du haut de leur importance se chargent de la chose. L'artificier use, ça va de soi, d'artifices explosifs pour sournoisement mettre le feu aux poudres ou bien le fil rouge avec la bobine bleue. Le 18 juin 1940, l'armée française interrompt le cours des passages, fait grand bruit et peu de cas de la vie des usagers avant que de se sauver plus loin, ayant toujours pris la sage précaution d'agir du bon côté. Elle imitait sa devancière, tout aussi brillante qui le 6 décembre 1870 avait mis le feu tout simplement !

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L'aviateur est plus retors. Il voit les choses de fort haut et largue son mépris et sa charge destructrice au petit malheur la déveine. C'est un champ de ruines qui explose sous ses ailes et s'il y a beaucoup de gerbes, rares sont celles qui sont d'eau. Quand le pilote est américain, le feu tombe sur les villes de Loire, de si haut, que le pont échappe le plus souvent à ce tapis rouge de bombes et de sang ligérien. Nous sommes dans les premiers jours de juin 1944.

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Puis, un pilote isolé, le 6 juin 1944, un anglais moins craintif, passe par là, au ras du fleuve, il vise et d'une seule munition, fait tomber ce qui réchappa à la furia américaine. La ville était en ruine, son pont n'est plus qu'un souvenir et traverser le fleuve redevient une préoccupation complexe. Il est des corps qui ne trouveront sépulture que sur la rive d'en face ! Le gué fait alors son « coming-out » comme disent ceux qui ne parlent pas notre langue.

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Car ainsi va la vie et la mort des gens de Loire, c'est le fleuve qui décide de beaucoup des instants de leur destinée. La paroisse est en face, le cimetière de ce côté ci, la fille à marier sur l'autre rive et la mairie sur celle-ci. Le pont faisait alliance, quand il tombe il manque cruellement ! Depuis toujours, il est trait discontinu d'union, enjambée sublime par dessus une fille sauvage.

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La vie des hommes et des femmes de ce pays est marquée par cette frontière aqueuse. Il ne viendrait à l'esprit de personne de danser sur un de nos ponts. Nous avons trop de respect et de crainte, de superstition et de croyances pour oser ce blasphème à la fille Liger. Nous savons aussi qu'en bien des endroits, le diable en personne attend celui qui veut traverser.

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Quand on fait le pont, ici, on se s'amuse guère, ce n'est pas du bon temps qu'on prend, c'est le lien vital qu'on essaie de renouer, pour un temps en suspens, un instant d'éternité qui relie les rives qui souvent ne se regardent même pas.

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Pontifiantement vôtre.


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2 réactions à cet article    


  • Djinnzz Djinnzz 22 août 2012 20:43

    « Mais laissons la à ses blancs moutons » -> On parle de moi ? ;)


    Blague à part, c’est très intéressant de voyager à travers ces photos d’époque. Du bon travail ! ;)

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