Concert de louanges
Traitement de choc
La musique plus forte que la maladie ou l'âge.
Après une expérience désastreuse auprès de gens si peu respectables qu'ils en oublient de respecter les autres, j'avais besoin de retrouver le plaisir du partage, de la musique qui s'écoute et des histoires qu'on veut croire. Une maison de retraite et un centre spécialisé dans la maladie d'Alzheimer accueillaient mes camarades musiciens. La nature même du public avait incité l'animatrice à ne pas demander le parleur.
Je passai outre cette crainte et vins dans les bagages de mes amis, promettant de ne pas dire de contes, pour ne pas lasser un public enclin à décrocher rapidement . Naturellement, cette présence était totalement bénévole ; il n'y avait pas lieu de s'inquiéter d'une augmentation de la prestation. Ainsi, je fus accepté dans ce royaume de la vieillesse ...
Le conteur renvoyé à ses histoires, c'est le clown qui prit le relais. J'accueillais les arrivants en une tenue qui les faisait immédiatement réagir. Les pieds nus, le béret et la vêture approximative provoquaient un sourire immédiat d'autant plus que j'allais vers chacun pour le conduire jusqu'à sa place en guide inhabituel et incongru.
Puis le spectacle put commencer quand les « Fougères », les « Bleuets », les « Genets », les « Coquelicots », les « Raboliotes » et les « Begonias » furent enfin tous arrivés. Public sage, public discipliné pour lequel il n'est pas à craindre la moindre sonnerie de portable. Voilà un avantage non négligeable que d'évoluer devant nos anciens : ils sont concentrés sur l'instant qu'ils vivent sans interférence numérique.
Que viennent-ils écouter ? Je ne suis pas certain que tous le sachent, que tous aient conscience de ce qui se passe vraiment. Il y a du mouvement et de la musique, du monde autour d'eux, un changement dans la succession lancinante d'un temps qui s'étire indéfiniment. Cela suffit à leur donner un petit air de fête, un joli sourire qui vient illuminer des yeux toujours capables de pétiller.
J'en fait des tonnes, j'en rajoute dans l'accent campagnard, les pitreries et les propos sans queue ni tête. Là où d'autres, plus exigeants, s'offusqueraient de ce pitre insupportable, je constate un frémissement, un bonheur d'être ainsi dans la farce, de retrouver un peu de folie dans un monde qui, hélas, en manque cruellement. Ça fonctionne d'autant mieux que mes amis les musiciens se mettent au diapason et leur offrent des airs qui ont peuplé leur jeunesse.
Les mains frappent au rythme de la mélodie, les têtes se balancent. J'ose une valse avec une pensionnaire encore un peu valide. Les soignants s'inquiètent un peu ! Ne va-t-elle pas faire un malaise en cours de route ? Ils sont encore plus préoccupés lorsque je viens m'asseoir auprès d'un groupe pour faire une sarabande … Qu'importe, les pensionnaires sont heureux !
Finalement, je raconte de petites histoires. Ils écoutent, ils suivent mes bonimenteries. Je ne me lance pas dans de longues fables ; ces petites présentations drolatiques sont pourtant l'occasion de rires et de réactions. Ainsi, ils sont capables d'entrer dans l'imaginaire, de sentir encore le souffle de la tendre ironie. Ils sont aussi attentifs à mes propos de guingois qu'aux chansons de mes camarades. C'est gagné !
La séance se termine. Il y a de vrais applaudissements, une sympathie non feinte qui se ressent et qui réchauffe le cœur de ces pauvres divas que nous sommes, nous les saltimbanques d'occasion. Oui, les pensionnaires ont aimé et le font savoir. Le temps a passé vite ; l'après-midi leur a offert un petit moment différent, un coin de ciel bleu sans nuage.
De vieilles dames jouent les midinettes. Elles gloussent, elles restent encore à l'affût d'une remarque supplémentaire, d'un petit clin d'œil qui va les émoustiller. Je ne les prive pas de ce plaisir innocent. Elles en sont ravies …
Ce public merveilleux m'a redonné joie et plaisir. Il n'était ni blasé ni irrespectueux comme ces tristes personnages qui ne nous avaient pas accordé le moindre regard. Je voulais remercier les pensionnaires de ces deux maisons de retraite et de santé ; c'est moi qui n'allais pas bien et ce sont eux qui m'ont redonné du tonus. Je les embrasse tous pour ce formidable cadeau qu'ils m'ont offert.
Reconnaissancement leur.
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