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Jeux de Meung ...

Fable des Petits Instants

De drôles d'animaux.

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Le Bonimenteur peut s'autoriser bien des largesses avec l'Histoire. Il n'y a pas de raison de s'en priver quand celle-ci est aussi incertaine qu'improbable, invérifiable ou bien sujette à caution. Au pays des légendes chacun peut apporter son grain de sel. Je pense qu'en la circonstance, le vin de Loire tiendra davantage le premier rôle que les petits cristaux de chlorure de sodium !

Tout a commencé, il y a bien longtemps de cela, en un pays marécageux et hostile. À quelques lieues en aval de Cenabum, une zone hostile, noyée par une rivière lente et envahissante était peuplée de bêtes inquiétantes et de très peu d'hommes. Parmi ceux-ci, un ermite ligérien, un de ceux qui avaient bâti le monastère de Micy.

L'homme qui se nommait Lyphard, flanqué de son compagnon Urbice, vivait désormais loin de l'agitation de Micy. Il avait souhaité s'isoler pour se remettre de la bataille dantesque contre le dragon de Béraire à laquelle il avait lui aussi participé. La postérité avait choisi Mesmin ; Lyphard devait à nouveau accomplir un exploit rien que pour lui.

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Dans le marécage, un animal énorme et terrifiant jouait parfaitement son rôle et effrayait les rares autochtones qui tentaient de survivre dans les miasmes. Un lézard gigantesque, un serpent monstrueux ? la terreur était si grande que l'imprécision s'explique aisément. Nul ne songeait à se risquer de trop près pour vérifier les sources. C'est d'ailleurs là qu'une source proposait une eau pure et bénéfique où personne n'osait se désaltérer, tant la proximité de la bête rendait sa fréquentation impossible.

Dieu s'amuse fréquemment à placer au même endroit le mal et bien et c'est aux hommes de faire en sorte que le Diable ne gagne pas la partie. L'Eglise se plaît à noircir les cultes anciens pour y substituer la nouvelle foi. Lyphard se résolut à faire triompher le bien et sa religion et c'est Urbice qui s'y employa, plus par obéissance que par courage.

Lyphard, en bon maître spirituel, exigea de son disciple d'aller affronter la bête. Urbice obéit en manquant de faire dans ses braies à moins que ce ne fut sous sa robe de bure. Mais, voyant le monstrueux animal, il prit ses jambes à son cou et revint tout penaud auprès de son guide. Lyphard éleva le ton, l'encouragea à surmonter sa peur et, pour l'aider, lui indiqua comment vaincre, tout en lui promettant de prier de toute son âme pour la réussite de son entreprise.

Urbice fit comme le saint homme lui avait soufflé. Il planta un bâton noueux à proximité de la bête. Le serpent s'y enroula et voulut mordre ce qu'il avait pris pour une proie. Il s'y serait cassé les dents s'il en avait eu. Il se contenta de s'étouffer pour débarrasser le pays et faire la gloire du conseilleur.

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La région fut alors assainie. La rivière lente et paresseuse fut canalisée ; elle devint « Les Mauves » : ce merveilleux cours d'eau aux teintes violettes. Autour de la sépulture de Lyphard, on bâtit une abbaye puis un village : Magdunum, la marche fortifiée. C'est qu'on y dressa une forteresse qui fut à l'origine de bien des hauts faits.

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La Légende et l'Histoire, toujours la même rengaine, alimentent les rêveurs et les menteurs. Il faut savoir faire la part des choses et se garder de douter de ce qui peut paraître surprenant. Ainsi, cette forteresse devint-elle, plus tard, la prison et le lieu de torture de François Villon, et aussi d'un certain Jean de Meung, l'un des créateurs du Roman de la Rose.

Il fallait une origine fabuleuse pour expliquer une telle lignée. C'est vers la mythologie grecque qu'on alla puiser une histoire à dormir debout. Il y était question d'un âne et d'un buveur de vin invétéré. Autant d'éléments qui vont à merveille à notre belle région. Ainsi, les meugduniens furent des ânes, quand leurs voisins de Beaugency étaient des chats et les Orléanais des chiens. L'anthropomorphisme aimait à se prélasser en bord de Loire ….

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C'est donc le satyre Silène, grand buveur d'eau, un jour trompé par le roi Midas qui fit couler du vin à la place de la source où il aimait se désaltérer. Silène y prit goût et devint un fieffé ivrogne. C'est sans doute pour ça qu'on lui confia l'éducation de Dionysos. Silène était très laid, le nez court et plat, la lèvre épaisse, le ventre gros et le regard d'un animal. On le voyait, la plupart du temps, chevauchant un âne sur lequel il se tenait difficilement, tant il avait bu.

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Notre satyre, rond comme un queue de pelle, vint un jour devant la forteresse de Meung sur Loire. Mal reçu par des habitants qui ne souhaitaient pas offrir leur bon vin de Cléry à quelqu'un qui ne saurait pas l'apprécier, Silène s'emporta et tonna tant et si bien qu'il transforma en baudets ceux qui voulaient le voir jeûner.

Les gens d'ici se virent ainsi gratifiés du doux patronymes d'ânes. Soyons sérieux : c'est plus certainement parce que le pays ne manquait pas de moulins et que c'étaient les ânes qui portaient le grain au meunier. Mon maître, Gaston Couté, a vu lui-même le jour dans l'un de ces trente-huit moulins qu'on comptait en bord des Mauves au moment de sa naissance.

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La vérité vraie est pourtant bien plus glorieuse pour cette belle ville. Nous sommes en 1338, la famine sévit à Orléans, la cité de l'évêque qui possède désormais le château. Les gens d'ici ne sont pas insensibles à la souffrance de leurs grands voisins. Ils leur envoient une caravane d'ânes bâtés, chargés de farine.

C'est en voyant arriver cette caravane humanitaire que les chiens d'Orléans, toujours aussi mal avisés quand il s'agit de juger plus humbles qu'eux s'écrièrent : « Allons au pain, voici les ânes de Meung ! »
 Les Magdunois allaient être affublés de ce surnom peu glorieux alors que noble et généreuse avait été leur initiative.

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Heureusement, un muletier plus malin que les bourgeois répliqua du tac au tac : « Des Ânes… il en passe à Meung mais point n’en reste. ». L'honneur était sauf et c'est piteuse et reconnaissante que la capitale ligérienne ouvrit ses portes et reçut le précieux présent. On peut d'ailleurs s'interroger sur le choix des ânes pour livrer le secours ; la Loire devait être au plus bas en cette période de vaches maigres.

Voilà, nous avons survolé l'histoire, ne prenant pas de gants avec la chronologie. Ne vous en offusquez pas ; s'il y a un âne ici : c'est bien celui qui ose raconter de telles sornettes. Quant à les croire, je ne vous en demande pas tant.

Anthropomorphiquement vôtre.

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2 réactions à cet article    


  • Jean J. MOUROT Jean J. MOUROT 27 février 2015 14:55

    Voilà un exemple de ces lectures que Chalot nous recommande ici-même ...
    Cela nous change de l’actualité et de bien des braiements dans ce forum !

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