La bête d’Orléans
La rumeur et peut-être plus encore ....
Une étrange récurrence …
Nous avons quitté les amoureux de Péronville, dévorés par une bête monstrueuse. Nous étions en 1548 et la malédiction du baron allait pouvoir circuler dans nos campagnes et nos forêts. Les chroniques ne tarderaient pas tarder à bruisser de rumeurs folles, d'angoisses et de peurs sourdes. En septembre 1586, le blé manquait, le peuple souffrait de la faim et les loups prélevaient leur part de chair fraîche dans les rues mêmes de Chartres.
Les victimes de bêtes inquiétantes reviennent épisodiquement dans les registres. C'est le 30 juin 1653 que la jeune Jeanne Aubert, âgée de 15 ans, est égorgée par un loup furieux qui lui a mangé la joue à 16 heures, alors qu'elle travaillait dans les vignes de son père Claude Aubert. La pauvrette agonisera six heures avant de quitter cette vallée de larmes.
Le 27 août 1680 c'est un enfant de 8 ans, Jean Genevé qui a été dévoré par une bête féroce. Nous sommes à Gallardon ; la peur court dans les campagnes et les fermes isolées. Le 9 novembre 1692, une nouvelle alerte met en branle les habitants qui se lancent dans des battues pour tuer la bête dévoreuse d' enfants.
Les siècles se suivent, les rumeurs vont leur train. La bête revient toujours, réclamant sa part à la misère des temps. Était-elle l'âme damnée du Baron de Péronville, l'expression des superstitions d'un temps qu'on prétend obscur ou bien un phénomène qui ne cessa d'effrayer les ruraux tant que le loup fréquenta les hommes ?
La dernière apparition de la bête n'est pas si éloignée de nous pourtant. Nous sommes en 1806, à nouveau elle occupe les esprits et devient la vedette des veillées. Depuis une année déjà, une bête faisait des ravages, prélevait sa dîme sur les plus fragiles. Quatre enfants de la paroisse de Saint Rémy sur Avre étaient tombés sous ses longues griffes et ses crocs terribles. Plus loin, une jeune bergère, Jeamine, avait été emportée par le fauve qui l'avait dévorée un peu plus loin.
Des hommes, des femmes, des enfants manquaient à l'appel. On lui prêtait bien plus de forfaits qu'une bête seule n'en pouvait commettre. C'est que la peur est mauvaise conseillère et vous fait accroire bien des horreurs. C'est pourtant le sort de la pauvre Jeamine qui provoqua la réaction du peuple : il fallait agir au plus vite !
On organisa des battues, on fit venir les louvetiers, on réclama les services des meilleurs chasseurs de la région. Rien n'y fit, la bête courait toujours. Elle échappait aux balles de plomb ; elle avait sans aucun doute des pouvoirs maléfiques. La peur et la superstition se mêlent aisément dans pareilles circonstances.
C'est un marchand rouennais qui fut sa nouvelle victime. Il traversait à cheval la forêt d'Orléans pour se rendre à la foire de Beaucaire. Sa monture, effrayée par un hurlement sourd et guttural d'une bête, s'était cabrée, le cavalier avait chu, désarçonné, tandis que le brave cheval s'enfuyait au galop. La bête fondit sur le marchand et le lacéra de ses longues griffes acérées. Du pauvre homme, on ne retrouva que les bottes et le chapeau.
Un conteur n'avait de cesse d'évoquer le monstre. Le public écoutait, haletant, les récits toujours dramatiques. La frayeur gagnait tout un chacun tandis que le beau parleur se prenait lui-même à son propre jeu en racontant le dernier épisode macabre duquel il se délectait :
« Le 25 décembre dernier, le jour de la naissance de Notre Seigneur des Cieux, le Diable, une fois encore, avait pris les traits d'une bête ignoble. Près de Beaugency, à l'entrée d'un petit village, vivait une famille de bûcherons : un homme, sa femme et leur fils. Ils étaient tous trois partis dans les bois pour faire leur ouvrage. La bête fondit, tel un éclair, sur la pauvre femme, lui sautant au visage. Son mari et son fils se précipitèrent à sa défense. Leurs cris alertèrent le voisinage. Une bataille furieuse s'ensuivit durant laquelle nombreux furent ceux qui subirent de profondes blessures par les griffes du monstre. Hélas, la pauvre femme ne put être sauvée … »
C'est avec des sanglots dans la voix que le conteur achevait son récit en entonnant une complainte qui était censée édifier le bon peuple. L'homme du verbe présentait alors une gravure qui circulait à l'époque, montrant la bête dans ses œuvres. Il n'y avait pas meilleure manière de se distraire en cette époque lointaine …
COMPLAINTE
sur l’air de Pyrame et Thisbé.
Venez, mes chers amis,
Entendre les récits
De la bête sauvage
Qui court par les champs
Autour d’Orléans,
Fait un très grand carnage.
L’on ne peut que pleurer
En voulant réciter
La peine et la misère
De tous ces pauvres gens
Déchirés par les dents
De cette bête sanguinaire.
Le pauvre malheureux,
Dans ce désordre affreux,
Pleure et se désespère ;
Il cherche ses parents,
Le père ses enfants,
Les enfants père et mère.
Qui pourrait de sang froid
Entrer dans ces bois
Sans une tristesse extrême,
En voyant les débris
De ses plus chers amis
Ou de celle qu’il aime ?
L’animal acharné
Et plein de cruauté,
Dans ces lieux obscurs
Déchire par lambeaux,
Emporte les morceaux
Des pauvres créatures.
Prions le Tout-Puissant
Qu’il nous délivre des dents
De ce monstre horrible,
Et par Sa Sainte Main
Qu’il guérisse soudain
Toutes ces pauvres victimes.
Enfin, un beau jour, la bête d'Orléans disparut pour toujours de la région. C'est du moins ce qu'on aime à croire dans nos contrées. Il ne faudrait pas qu'un Bonimenteur vienne réveiller les angoisses ancestrales. La rumeur est si prompte à faire sa tanière dans nos esprits naïfs !
Bestialement sien.
Source : http://laporteouverte.me/2014/03/03/la-bete-dorleans-2/
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