Même pas peur
Faire son deuil !
L'aventure saumuroise
Honorer dignement un marinier, parti sur l'autre rive du Styx, demande parfois des comportements qui sortent de la norme des gens qui demeurent à terre. C'est ainsi que la raison n'a plus sa place quand la virée se fait bordée, que le respect pousse à sortir du cadre habituel pour entrer dans le monde interlope des aventures marinières.
Ne pensez pas que nous ayons dépassé les règles de la bienséance ; nous savons nous tenir et rester dignes. Nous avons chanté et raconté la Loire a une famille endeuillée ; nous les avons faits sourire en des circonstances bien pénibles et ce fut notre fierté. C'est ainsi que nous nous sommes laissés prendre au piège de notre propre fantaisie en donnant à ce moment des couleurs presque festives.
Ce fut merveilleux de terminer la soirée entourés des très proches du disparu, écoutant nos complaintes, reprenant avec nous des chansons qui apportaient un rayon de soleil dans la grisaille de cette journée d'adieu. Nous avions rempli la modeste mission que nous nous étions assignée ! Nous aurions pu alors retourner chez nous avec la certitude du devoir accompli.
Il se peut que l'émotion fut telle que nous n'avions plus l'envie de rentrer immédiatement. Nous avions subi une charge émotive forte que nous savions, certes, teintée de distance et d'un faux détachement mais, faire la longue route dans le silence de la mémoire n'était tout simplement pas envisageable. Il nous fallait un exutoire, un moment de folie pour retrouver un peu nos esprits et évacuer ce stress que nous nous étions imposés de la sorte.
Alors, nous avons rejoint la taverne de l'Envers : la brasserie des marins en goguette. Nous voulions nous retrouver pour poursuivre la soirée, chanter encore pour que la musique rejoigne les limbes. Le maître de maison avait été des nôtres ; il devint un hôte merveilleux, incroyable de délicatesse et de prévenance. Il nous prépara de quoi nous sustenter et ouvrit quelques bouteilles : de quoi perdre notre volonté dans cette bordée magnifique.
Que vous dire encore ? Que peut-il être confié quand l'émotion vous conduit sur d'autres chemins ? N'allez pas croire à une bacchanale sans nom ; il y avait de la tenue dans notre gourmandise, de la modération dans notre appétence anxieuse. Nous refaisions le monde ; nous redonnions de la voix pour ne pas laisser mourir l'instant. Nous faisions une dernière offrande à l'ami Sébastien, celle d'une folie magnifique.
La nuit nous a surpris, la nuit nous a vaincus, la nuit nous a fourbus. Nous n'avions plus la force de rentrer : il fallait rester encore dans les effluves marins parmi les balises et cette ambiance si particulière d'un bar à marins. Hélas, il y avait à bord un renégat, un moins que rien qui disparut sans crier gare. Il avait les clefs du rafiot ; il nous laissa à quai, préférant un hôtel luxueux à la dureté d'une banquette incommode et à la fraternité des gueux.
C'est ainsi, il faut accepter que parfois les idéaux de confrérie et d'amitié indestructible tombent avec fracas. Le malandrin revint au petit matin en seigneur, ni falot ni penaud. L'œil vif et la mine reposée ; il avait oublié son forfait et espérait qu'il en était de même pour nous. Lui faire bonne figure ne fut pas chose aisée ; nous voulions lui dire notre déception et ce terrible sentiment d'abandon. Mais comment tancer le faquin ?
Pire encore, il fallait prévenir autour de nous et justifier cette nuit de bordée. Partir pour des obsèques et ne rentrer qu'au matin suivant ! Étrange comportement, odieuse manière fort marinière ! C'est ainsi que l'hommage était consommé, vécu jusqu'au bout de ce que notre ami disparu aurait aimé et peut-être fait lui-même.
Qu'avez-vous à comprendre de ce récit honteux ? Rien qui ne laisse la place au jugement et à la morale. Nous avons agi comme nous le devions : nous avions ajouté de la couleur à ce moment douloureux. Il ne faut pas se poser en donneur de leçons quand on n'a pas connu la force des liens unissant les gens qui vont sur l'eau.
Commémorativement vôtre
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