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Accueil du site > Culture & Loisirs > Extraits d’ouvrages > Esplanade Avenue, d’Annick Le Scoëzec Masson

Esplanade Avenue, d’Annick Le Scoëzec Masson

  Un roman, récit d’une quête personnelle sur fond d’énigme, dont l’action se passe à deux époques et sur deux continents : Paris et la forêt de Brocéliande à la fin du XIXe, La Nouvelle-Orléans au début et à la fin du XXe…

Pourquoi Gwen avait-il entrepris ce voyage à La Nouvelle-Orléans avec sa compagne ? Était-ce le besoin de conjurer le passage du siècle (on était à la veille de l’an 2000), de confronter ses choix d’artiste en proie au désenchantement en se laissant prendre au filet d’un ailleurs radical ? à qui confesser qu’il cherchait surtout à s’acquitter d’une étrange dette et, peut-être, à se sauver lui-même en suivant les pas d’un autre, peintre 1900, dont la trace semblait perdue ?

En faisant dialoguer les deux fins de siècles, dans un jeu de miroirs qui restitue par fragments le Paris de la Belle Époque, Esplanade Avenue ne propose pas seulement une fresque historique bigarrée, un voyage à travers l’espace et le temps (de la Bretagne à la Louisiane, de la France à l’Amérique) ou une réflexion sur la condition faite à la sensibilité contemporaine. Ce roman raconte aussi les chemins d’une possible réconciliation avec les temps présents, malgré leur désarroi et leur ingratitude.

Extraits de l'ouvrage :

      Il avait grandi dans la touffeur des marécages, se battant au corps à corps avec les ouvriers des champs de canne, organisant avec les « dos brûlés », ces petits blancs qui vendaient leur force de travail à la journée, des combats de coqs ou de chiens enragés, livré à des pulsions extrêmes que ne contredisait point un goût marqué pour le négoce, ce qui l’amenait, au milieu de toutes ces turbulences, à troquer des plumes d’oiseaux rares ou des fourrures contre des barils de rhum et de whiskey. Il disparaissait pendant des jours dans le swamp où il se faisait conduire avec mille précautions parce que, disait-on, la nuit, les mauvais génies du marigot sortaient pour vous entraîner dans leurs profondeurs. Il dormait à la dure dans l’ombre humide des baraques de pêcheur, respirant un air oppressant, saturé d’insectes, gonflé de la vapeur douçâtre des eaux stagnantes. Au petit matin, il revenait à la maison, accueilli comme un héros par des bras complices, des pleurs et des cris de soulagement : « Celui-là ! faisait en chœur la gent féminine. Il a le fleuve dans le sang ! »

  Du coup, Miette et Gwen s’étaient contentés de se perdre au Nord du Quartier Français, non loin de la rue des Remparts que la Poste venait de quitter pour une adresse plus amène. De nouveau, ils avaient perçu à quelques rues de leur hôtel, les murs qui ne voulaient plus être des ruines et exhibaient leurs graffitis et leurs lézardes, leurs entassements d’ordures, de débris qui ne venaient plus de l’histoire, mais du néant des poubelles de supermarchés avec, jetés ça et là, les instruments des paradis morbides de ces zones abandonnées à la vadrouille et aux trafics, où les vies ne valaient pas plus que le temps qui passe tandis que, à l’arrière-plan, s’ébauchait le pas traînant, habile ou saccadé, sur le point de danser, d’une ombre au regard curieux et plein de morgue, toujours sur la défensive, brillant d’une invraisemblable ironie.

 - Pour des gens comme moi, avait-il repris avec une grimace, toute déchéance dans une société déchue est bonne à priori. Mais, pour un barbare tel que vous...

 Un flux de sang lui était monté aux joues, suivi d’un accès de toux qui avait couvert l’agitation pendant quelques secondes. Puis, se reprenant :

 - Moi, je vous voyais plutôt dans un environnement qui permettrait à vos sens… de se régénérer. Que diriez-vous d’une escapade en forêt ?

 C’est alors qu’il lui avait parlé du Harvouët, la propriété familiale en lisière de Brocéliande. Le printemps approchait. Les jours s’annonçaient plus cléments. C’était là-bas la saison des camélias. Le lilas, aussi, s’apprêtait à refleurir. « Le paysage, Marvillèse ! Vous n’y avez jamais pensé ? La futaie de Paimpont ou la lande, les tourbières et les ajoncs de l’intérieur, le tapis mauve des bruyères, c’est comme vous voudrez et, pour ne pas perdre la main, je vous offre un cadeau en prime, l’occasion d’un bien touchant portrait. Ma jeune sœur va sur ses dix-huit ans. Une femme, déjà ! »


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