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Accueil du site > Culture & Loisirs > L’été léger > Bref, j’ai regardé « Bref »

Bref, j’ai regardé « Bref »

A la rentrée 2011, j’ai commencé à regarder Bref.

J’ai trouvé ça marrant.

C’est un programme Canal+ branchouille, une "pastille" comme ils disent, à consommer rapidement, formaté pour faire l'événement.

Donc normalement ça aurait pu être énervat.

Mais là, non, ça m’a plu. J’ai tout de suite senti que ça allait avoir du succès.

Depuis, j’ai regardé tous les numéros.

J’étais même sûr que ça allait faire le buzz et ça a fait le buzz. Il y a des millions de fans sur Facebook qui font des commentaires, sur tous les réseaux sociaux, sur Twitter, sur Tumblr, tout le monde en parle. Ils ont même fait la couverture des Inrocks.

Tout le monde en parle, donc j'en parle, donc tout le monde en parle encore plus, donc j'en parle, donc... 

Bref, chaque jour, je regardais sur le site de la chaîne pour voir s’il y avait un nouvel épisode.

Quand il y avait un nouvel épisode, j’appelais ma copine et je lui disais : « Hé, viens voir, y a un nouveau Bref. »

A certaines périodes, il y avait un épisode tous les jours, d'autres fois, il fallait attendre une semaine et je me disais : "Alors, qu'est-ce qu'ils foutent ?"

Le héros, il a des potes, des copines, il va à des soirées où il s'emmerde, c'est mal rangé chez lui, il se fait chier à son taf, il fait des nuits blanches, il oublie ses rendez-vous et il nous raconte sa vie. Bref, il est comme tout le monde.

On regardait ça en couple, on trouvait ça marrant, on s’y reconnaissait.. « T’as vu, on dirait toi/on aurait ton pote/on croirait entendre ta copine. »

 Je venais d’avoir trente ans, donc je me suis tout de suite identifié au personnage. Il est sympa, l'air assez rond, souvent souriant, un peu roublard, un peu rusé, parfois naïf, plutôt "nature". Bref, il est moyen mais dans la moyenne, il est bien.

Un jour, j'ai dit à ma copine que j'aimais bien le héros. On était en train de regarder l'épisode où il a un plan-cul régulier... Ma copine m'a regardé, je l'ai regardée, elle m'a regardé, je l'ai regardée, elle m'a regardé. J'ai dit : "Non, mais pas cet épisode-là en particulier, hein. En général, quoi... Comme quand il n'arrive pas à monter une armoire Ikéa". Elle a dit que ça, c'était vrai, que j'étais pas fichu de réparer l'étagère ni de changer un joint. J'étais trop fort, j'avais réussi à changer de sujet. 

*

Je trouvais ça bien qu’on connaisse jamais le nom du héros, comme ça, tout le monde peut s’identifier à lui.

En vrai, le créateur de la série, Kyan Khojandi, il est né à Reims. Il a dit dans le Parisien qu'il fréquentait les bourgeois du centre-ville à l'école de musique, des gens normaux là où il habitait, il prenait le bus pour ses cours de hip-hop. Il voyait des mondes différents qui avaient comme dénmominateur commun l'ennui.

Bref, il s'emmerdait.

Il a aussi fait une pub pour Norauto et il sait jouer le thème de Mario Bros au violon. Bref, il a ce ton décalé et ironique dans l'air du temps.

Le héros de la série, il est comme nous, il a des galères, des potes, des parents divorcés, des voisins, des collègues insupportables, des rêves et des regrets, il est tout le temps sur son téléphone et sur Facebook. Bref, c'est un trentenaire citadin européen moyen.

Il est souvent sur Facebook.

En fait, il est tout le temps sur Facebook. Et devant des sites de culs aussi. 

La différence avec plein de gens, c’est que, quand même, le héros se tape pas mal de filles, c’est un sacré winner. C’est pas pareil pour tout le monde. 

Il baise pas mal. 

Beaucoup.

Enormément : Marla la blonde nunuche mais sensible -un peu salope, un peu maman / Emilie la brune craquante mais un peu glaçante / cette fille-là / d'autres en soirée.

C'est grâce à son pote Kheiron, dont on découvre à la fin qu'il n'est pas celui qu'on croit, et qui est en tout cas le conseiller-cul du héros.

D'ailleurs, je sais pas si vous avez remarqué, mais tous les héros, même ceux qui sont un peu losers, c'est quand même des gros tombeurs et au lit, ils assurent toujours. C'est ça un vrai héros aujourd'hui.

Aussi, j’ai trouvé ça bien vu, quand il va au supermarché et qu’il sait pas dire non pour du saucisson en promo. J’aurais fait comme lui à sa place.

Quand il est bloqué dans l’ascenseur et qu’il a envie de pisser / quand il est à une soirée et qu’il drague cette fille / quand il passe un entretien d’embauche et qu’il fait semblant de savoir parler anglais / quand sa copine travaille dans un sex-shop, on se dit que ça s'invente pas, et que c'est comme dans la vraie vie.

J’ai adoré l’épisode où tout le monde s’appelle Eric Dampierre et celui où il raconte qu’il a grandi dans les années 80.

Bref, on ne s'en lasse pas. Les acteurs nous ressemblent, les scénarios sont bien ficelés, la réalisation est souvent virtuose, ils utilisent tout le temps des smartphones, et ils font plein de gags avec les quiproquos aux téléphones, bref, on se laisse prendre.

D'ailleurs, Bref, c'est comme si la vie, c'était juste notre timeline Facebook. On aurait que les galères du quotidien et tout le monde pourrait tout savoir de notre vie. Donc en fait, c'est déjà comme ça dans la réalité. 

*

Au début, c’est surtout comme du comique de stand-up, quand le type te raconte les anecdotes de la vie de tous les jours, vu que c’est ça que le comédien principal a fait à ses débuts sur scène. « Vous avez remarqué, on se croit toujours super fort, mais quand on se fait bousculer dans la rue, on demande pardon au mec. »

On se complait à regarder ça pour rire de sa petite vie morose et vaguement enjouée. 

Quand je voyais une affiche pour un comique dans le métro et qu’il avait joué dans Bref, je disais à mes potes : « T’as vu, c’est Baptiste, le mec de Bref ». J'avais du coup l'impression d'être branché, d'être un initié à l'envers du décor. 

D'ailleurs, quand on regarde une série, on veut être le premier à en parler aux autres et quand on s'aperçoit que tout le monde fait pareil, on est vachement vexé de ne pas être original.

J’ai trouvé que Bref, c’était vachement bien adapté au format Internet, avec toutes ses vidéos qui durent 1mn30 ou 2mn et qui racontent la vie de tous les jours. Comme Norman et tous les mecs qui font du webman show.

Les mecs parlent avec des phrases simples, sujet, verbe, complément, comme ça tout le monde comprend. Il y a sans cesse des accumulations pour faire drôle, du comique de situations, de gestes, de phrases, bref il y a tout ce qu’il faut pour faire rire les gens.

Le premier épisode était à peine sorti que c’était déjà pastiché et parodié dans tous les sens sur les vidéos Youtube. Le coup des images qui défilent à toute allure pour faire une coupure, c’est devenu un style, comme le ralenti qui tourne dans Matrix.

Bref, tout le monde fait du Bref.

*

Ca parle pas mal de cul aussi et ça c’est bien.

Je l'ai déjà dit, non ?

Mais le mec baise pas mal.

Beaucoup.

Enormément.

Ils ont même fait un épisode spécial où ils superposent les èpisodes avec le plan-cul régulier du héros. Mieux que Youporn.

Dans Bref, il n'y a pas que le boulot, les soirées, les galères, la vie du quotidien, il y a aussi les moments imperceptibles et intenses dont aime tant parler la littérature et le cinéma minimalistes.

Ils ont fait un épisode vachement poétique, où le héros pense à des choses et ça le fait sourire. Il est à l’arrière d’une voiture, avec la pluie et les lumières de la ville sur la vitre, et ça, c’est vachement poétique comme au cinéma.

Ils ont fait un épisode où ils ne font que décrire une photo de soirée et décortiquer les relations entre participants, et ça, c’est fort pour confronter le cinéma et la photographie. 

C'est comme un mix entre le mix, le sample et le clip. C'est un remix perpétuel.

Il y a même eu un Bref spécial sur le chien de The Artist, mais ils ne l’ont pas laissé sur le site.

Avec mes potes, on se disait que les mecs de Bref, ils ne tiendraient pas longtemps avec cette formule. Pourtant, ils ont tenu toute une saison et ils ont fait 82 épisodes. 

Pour renouveler le genre, ils ont même inventé de changer de personnage, en mettant en héroïnes une vieille/Marla le plan cul/Baptiste le super-flippant... Et le dernier épisode, on navigue d'un esprit à l'autre, entre tous les gens dans un square, comme si tout le monde faisait partie de Bref / comme si on était omniscient pour connaître la vie de tout le monde.

*

On se dit que dans c’est infini, que tu pourrais explorer la vie de tous les personnages, qu’on saurait tout de la vie de Kheiron, du père du héros ou de « cette fille » et ça serait sans fin. Une série sans héros fixe, qui démultiplierait les points de vue en un jeu de miroirs infinis. 

Bref, ce serait super avant-gardiste.

Récemment, j’ai remarqué qu’ils voulaient faire des épisodes plus sérieux, avec du mélodrame, une histoire qui se suit, des larmes, des couples qui se séparent et se réconcilient, qui se disputent, qui se séparent, qui se rappellent, qui s’aiment à nouveau et qui se quittent à nouveau. A la fin, d'ailleurs, le héros fait une crise / plaque tout / court / fait une dépression.

Bref, ils veulent faire du vrai cinéma français.

Parce que dans le cinéma français, quand tu fais du comique, tu n’es pas pris au sérieux, alors que quand tu fais du vrai drame profond, là tu rafles plein de récompenses.

Bref, je me suis vite dit que Bref, ils feraient un jour un long-métrage, parce que c’est plus sérieux qu’un programme court et que tous les comiques qui ont du succès sur Canal finissent par faire du cinéma français, vu que c’est Canal+ qui finance en grande partie le cinéma français.

D'ailleurs, dans la dernière scène du dernier épisode, le héros dit qu'il arrive au cinéma. Si c'est pas un message...

*

Que Bref, ça correspond bien à notre génération de gens pressés incapables de se concentrer plus de trois minutes sur un programme ou un boulot. J'ai vu sur un site américain que ça s'appelle un cognitive disorder. Tu ne fais marcher que ta mémoire immédiate et tu ne peux rien retenir sur le long terme.

Les mecs qui disent "bref" tout le temps, on dirait qu'ils veulent aller à l'essentiel mais en fait, ils veulent en finir vite avec ce dont ils parlent, du coup, tu comprends rien parce qu'ils prennent pas le temps de t'exposer ce qu'ils veulent dire. C'est comme un type qui bâcle tout le temps tout, il ne fait rien de bien, il s'agite dans tous les sens mais à la fin, il fait que brasser de l'air. C'est un peu comme nous, les trentenaires pressés, qui voulont jouir de tout tout de suite.

C'est comme quand tu lis une tribune sur Agoravox en diagonale, juste le début et la fin sérieusement et que tu mets un commentaire qui n'a presque rien à voir avec la tribune et que tu aurais pu mettre sur n'importe quelle autre tribune.

Bref, il faut que tout aille vite. 

D'ailleurs, comme j’en avais marre de me taper 2mn de pubs pour 2mn de programme sur le site de Canal, j’ai mis Adblock sur mon navigateur, comme ça, j’ai plus la pub interminable. Ca va plus vite. 

J’ai remarqué un truc, c’est que dans Bref, le héros parle de lui au passé et dit que dans la vie, on naît, on meurt et entre les deux il se passe des trucs.

C’est comme si le héros était déjà mort ou qu’il revoyait toute sa vie au moment de mourir, en accéléré, depuis sa conception. Du coup, ça donne un côte super-flippant à la série, comme si c’était des mémoires d’outre-tombe, un fantôme qui venait nous parler de sa vie passée ; et ça, je suis sûr que vous n'y aviez pas pensé. 

Bref, j'ai regardé Bref


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11 réactions à cet article    


  • nounourse nounourse 16 juillet 2012 11:08

    Très bel exercice de style !
    En vous lisant , on croit entendre le son bref ....


    • Thorgal 16 juillet 2012 11:41

      Je ne mate pas la téloche, peux pas dire quoi que ce soit sur Bref. Par contre, si vraiment tu t’identifies au héros, y a un problème, les épisodes de Bref devrait surtout montrer un type et sa copine en train de mater la téloche qui leur montre un type et sa copine en train de les mater ... ooouuuh, presque existentiel là !


      • Al West 16 juillet 2012 16:12

        Une mise en abyme (+), en somme ! smiley


      • Acid World Acid World 16 juillet 2012 13:41

        En fait c’est comme de la téléréalité express quoi... Perte de temps.


        • sam turlupine sam turlupine 16 juillet 2012 16:48

          Un article qui aurait gagné à être plus bref...


          • Hubu Hubu 16 juillet 2012 18:55

            Bref : la série CANAL souvent pas drôle !!

            1 épisode sur 5 est amusant et encore !!!!


            • Laconique Laconique 16 juillet 2012 19:28

              Ma joie de ne pas me reconnaître dans ce portrait est infinie.


              • Zord Zord 17 juillet 2012 10:09

                J’ai trouvé excellent pendant 10 épisodes.

                Après c’était plutôt BOF que BREF, parce que bon, les pauvres scénaristes n’arrivaient plus à sortir du contenu intéressant pendant leur séance de brainstorming.

                Donc comme c’était devenu BOF, il se mit à nous montrer le héros qui se tapent des mannequins, là c’est devenu carrément BEAUF

                Enfin vers la fin, alors que je ne regardais déjà plus qu’un épisode sur 5 parce que rien d’autres à faire, ils ont voulu rajouter du scénario dans cette série pour BOBO, et là, bon comme on pouvait s’en douter, du scénario dans des épisodes d’une minutes 30 ça ne passe pas du tout, c’était BERK !

                BREF, c’était un juste un gros BUZZ...


                • rahsaan 17 juillet 2012 13:03

                  Héhé, c’est pas mal vu et c’est bien ;)


                • rahsaan 17 juillet 2012 13:04

                  Bien dit*.


                  • alice au pays des merveilles alice au pays des merveilles 17 juillet 2012 15:58

                    BREF, les préados et les ados adorent ; .........j’ai passé l’âge..........

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