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Accueil du site > Culture & Loisirs > L’été léger > Chinon, ville d’eau

Chinon, ville d’eau

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Pour mieux passer entre les gouttes.

On peut se tromper de renommée ou bien croire que ce vin divin,célébré par Rabelais et tant d’autres, a, de tout temps, été l’emblème de cette magnifique ville, lovée en bord de Vienne. Pourtant, au loin, un gros nuage menaçant, venu d’un monstre hideux, est là pour nous rappeler que l’eau est ici ce qui fit la gloire de la cité et risque à tout moment d’en provoquer son malheur. Certains me diront que je pousse le bouchon trop loin ; c’est faire peu de cas des légendes passées …

Il fut donc un temps ou le vin de Chinon n’était pas encore de ce monde. Une époque forcément moins radieuse, tant ce nectar donne de joie au cœur et de couleur aux joues. Il arrive parfois, si vous en abusez, de souffrir de la goutte, mais là encore, nous ne sortons pas de notre sujet. Si cette histoire est d’eau, elle peut aimablement venir couper votre vin pour cette si bonne trempée qui faisait jadis le délice de nos mariniers et de votre serviteur.

Tout commença donc par une grande soif. À Chinon, de nos jours, la chose peut paraître étonnante. Plus personne ne risque de s’y retrouver le gosier sec mais en 462, les habitants de la cité étaient au plus mal. Ils avaient trouvé refuge dans le Castrum tandis que les troupes du général romain Égidius venaient leur chercher noise en faisant, accessoirement, grand et sournois siège dans le même temps.

Le Romain n’est pas seulement fou, il est souvent fourbe : l’armée avait coupé les conduites d’alimentation en eau. Dans le château, on mourait de soif : ce qui arrive bien plus vite que de faim. Les braves Chinonais avaient la langue qui gonflait : ils se savaient condamnés au plus terrible des trépas et se jurèrent, s’ils en réchappaient, de produire dans le futur du vin pour que jamais leurs descendants n’encourent pareille torture.

Mais pour l’heure, il fallait survivre alors qu’ils se trouvaient à la dernière extrémité. Fort heureusement, l’époque était riche en ermites bienveillants. Non loin de Chinon, vivait le reclus Mexme, toujours en mortifications et en prières, quoique sensible à la détresse de ses voisins. Il pria toute un nuit et,au petit matin, rejoignit la cité martyre. Il rassembla les survivants et leur déclara : « Que ceux d’entre vous qui ont des vases et autres récipients les mettent dehors et invoquent le Maître des cieux car aujourd’hui, le Très Grand nous dispensera ses bienfaits ! »

Quand on est au désespoir, les oracles sont toujours écoutés. Il arrive même parfois qu’ils se réalisent. Le ciel se chargea dans l’instant de nuages lourds et menaçants. La colère divine tomba sur les Romains, l’orage éclata et remplit les récipients. Les gens de Chinon burent jusqu’à plus soif, habitude qui curieusement leur est restée depuis ! Les assiégeants prirent un bain de siège, ils furent si épouvantés et trempés qu’ils abandonnèrent la place pour aller se faire pendre ailleurs (pour mieux sécher).

De ce jour béni de Dieu, Saint Mexme devint l’image tutélaire de la ville, son protecteur et le fondateur d’un oratoire qui est devenu de nos jours un beau centre culturel. Les Chinonais tinrent parole et se mirent à planter la vigne avec le talent que l’on sait. Parfois, hélas, l’orage qui ce jour-là les sauva, vient détruire une partie de la récolte. Les desseins du Très Grand sont souvent impénétrables.

Cette fois, nous sommes quelques années plus tard, en 550. Radegonde, reine des Francs, est en visite à Chinon à la rencontre d’un autre ermite (la mode n’en était pas encore passée), un Anglais qui vivait en reclus dans une grotte. Jean, pour bien montrer qu’il avait muselé son corps par la puissance de sa foi, dormait sur un lit de pierre. La femme du roi Clothaire 1er, notre bonne Radegonde, aimait à se coucher sur ce lit. L’histoire ne nous dit pas si c’était en compagnie de l’ermite.

C’est sans doute grâce à cette intimité lapidaire qu’elle entra, elle aussi, en relation directe avec le Très Grand. Elle se trouva affublée de pouvoirs surnaturels sans doute limités mais fort commodes. Ainsi, quand elle allait chercher de l’eau au puits, creusé juste devant le refuge du saint homme, n'avait-elle pas besoin de manœuvrer la poulie pour que descende le seau. L’eau montait jusqu’au ras de la margelle par une mystérieuse entremise divine.

Cependant, quoique future sainte, Radegonde n’était pas encore touchée par la grâce. Un jour, elle parla fort mal à une femme aux mœurs légères qui,bien que faisant commerce de ses charmes, avait trouvé bon de venir rendre visite à Jean le reclus qui ne resta pas de pierre devant la détresse de cette femme. Radegonde lui avait battu froid : elle en fut punie dans l’instant car l’eau resta tout au fond du puits. La reine, mortifiée d’avoir ainsi jeté l’opprobre sur la pauvre femme, se confessa sans tarder à l’ermite, livrant à nu son âme afin de retrouver les bonnes grâces du Tout Puissant.

La bonne dame avait un autre tour dans son sac. Quand elle voulait se rendre à l’église Notre-Dame de la rivière, située sur l’autre rive, elle traversait la Vienne sans se mouiller les pieds. Elle imitait ainsi le fils de l’homme tout en intriguant grandement les gens du coin. Ceux-là, toujours méfiants vis-à-vis des manifestations surnaturelles, prétendaient que la Vienne avait été pavée en ce passage royal : les gens sont mesquins !

D’autres, tout au contraire sont prompts à s’incliner et à honorer ce qu’ils ne comprennent pas. Ainsi au lieu dit « La belle Laveuse ! » était, en bord de Vienne, une pierre dans un pré, portant, dit-on, l'empreinte de celle qui allait devenir sainte. Devant tant de mystères liés à l’eau, de nature à vous faire tourner la tête, les gens de Chinon optèrent définitivement pour le vin : on ne peut les en blâmer. Radegonde, bonne fille, facilita, elle aussi, ce penchant puisque l’eau de sa fontaine soulageait les malheureux souffrant de la goutte. Tout est bien dans le meilleur des mondes en ce beau pays de Chinon.

De ce récit dithyrambique, ne retenez qu’une seule vérité : « Il n’est pas meilleur vin que celui sorti d’une barrique. Qu’il soit de Chinon ou bien de Bourgueil, il vous comblera d’aise et vous éloignera de tous les pièges et mirages liés à l’eau et à ses manifestations étranges ! » Et comme aime à l’écrire le grand François, voisin de Chinon : "Une âme folâtre est grande salubrité : le buveur de bonnes mœurs sait s'en souvenir. Un vin exquis, bu tripe creuse , renouvelle les forces. C'est pourquoi il convient, dès potron-minet, de se rincer le museau, de s'humecter les poumons, de se laver les tripes : ainsi vous serez fringants et ingambes. Le vin vous donnera le jour durant des selles fermes et assurées, que le sage Epistémon nomme papales, car elles sont par nature infaillibles. Qui au contraire boit dès le matin de l'eau ou quelque liquide analogue sera ramolli et cul-pendant jusqu'aux ultimes heures vespérales ; et il se couchera en sueur et aura des cauchemars. Et au contraire qui boit du vin aura la conscience tranquille et l'esprit paisible jusqu'au crépuscule ; et ainsi jour après jour et derechef. Et le vin vous donnera pisse saine et rose, veloutée comme bois de cerf. Alors que les buveurs d'eau l'auront trouble et soufrée. Et le vin vous donnera une verge puissante et belle, que vous brandirez à volonté et observerez avec contentement. Alors que les buveurs d'eau l'auront pleine de bulles et de hoquets. »

Vinicolement vôtre.

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4 réactions à cet article    


  • juluch juluch 16 juillet 2016 21:34

    Hic !!!!


    Voila un récit bien humide Nabum !!! smiley

    • C'est Nabum C’est Nabum 16 juillet 2016 22:20

      @juluch

      Je viens de passer trois ours à conter dans cette belle Région

      Je n’ai pas bu que de l’eau

      J’ai honte


    • invino invino 16 juillet 2016 22:45

      Comment croire que vous n’auriez bu que de l’eau et qu’il en serait sorti un discours tant plein de vérité, C’est nabum ? Espérons qu’une fois toute honte bue, vous serez à nouveau assoiffé et reprendrez (plus d’)un verre de chinon.


      • C'est Nabum C’est Nabum 17 juillet 2016 07:36

        @invino

        J’ai bu du Bourgueil jusqu’à plus soif car c’est de ce côté là de la Loire qu’on m’a invité à venir conter

        Mais conviez moi sur l’autre rive et je changerai volontiers ma bouteille

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