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Accueil du site > Culture & Loisirs > Parodie > Les fonds baptismaux

Les fonds baptismaux

Bonimenterie du Girouet

Pousser le bouchon trop loin

Il était une fois un bateau de Loire qui allait sa vie de bateau sans histoire après avoir connu les étapes habituelles d'une embarcation de bois. Un marinier avait confié sa construction à un charpentier naval qui avait fait plutôt du bon travail. Son client reconnaissant, l'en avait remercié comme il se doit, en lui donnant le prix de sa peine et de bonnes bourrades dans le dos.

Quand le bateau fut baptisé, Monsieur le curé vint dire quelques prières, de belles incantations qui ne mangent pas de pain et s'accompagnent de belles rasades d'eau bénite. Un bouquet de fleurs, un joli discours, une tendre marraine et une bouteille qu'on brise sur la coque, ainsi en fut-il pour « Sirius ». Il était prudent d'appliquer l'ensemble du rituel ; le souvenir récent du Titanic, parti à l'aventure sans avoir connu ce moment sacré, avait incité tous les nouveaux armateurs à respecter ce passage obligé.

Quand le propriétaire eut cessé d'aimer son bateau, il le revendit à une bonne personne qui se trouva malheureusement bien vite dépassée par les contraintes liées à l'entretien d'une embarcation sur la Loire. Il faut chaque jour, en effet, observer les mouvements du fleuve, écoper plus souvent qu'à son tour, surveiller les amarres et veiller au grain. Bien vite, le beau bateau devint fardeau. Le nouveau propriétaire passa la main et revendit à son tour « Sirius »

Cette fois, le nouvel acquéreur avait de grandes ambitions pour son navire. Il voyait dans son achat une revanche personnelle, l'envie de prouver sa réussite et de faire un petit pied de nez à ses voisins de quai. Pour consommer ce bonheur mesquin, il jugeait absolument nécessaire de changer le nom du bateau pour qu'il ne comporte aucune ambiguïté. Après un baptême spectaculaire, il serait bien clair aux yeux de chacun, que l'embarcation avait changé de confrérie.

Le ban et l'arrière -ban furent convoqués pour célébrer la chose. Un baptême en bonnet d'uniforme ecclésiastique, un nouveau nom, sans respecter l'ancien ni même le sacrement précédent. C'était une naissance, un nouveau livret de bord où serait effacé le passé. « Sirius » n'avait jamais existé ; désormais « Belle Cavalière » prendrait sa place.

Loin de l'agitation, les vieux mariniers, les sages et les moqueurs riaient sous cape. Tout ce cirque pour se donner de l'importance, pour faire parler de soi, voilà bien des manières qui ne sont guère marinières. Les superstitieux tenaient quant à eux, un autre discours, lourd de menaces et d'inquiétudes.

Débaptiser un bateau, c'est chose malsaine. Il faut bonne raison et transformation radicale. Il est absolument vital de respecter une procédure qui tient de la magie, ce que le fier propriétaire ignorait tout simplement. Puisque rien n'avait été fait dans les règles de la tradition, le mauvais œil allait inévitablement s'abattre sur l'embarcation ….

A ce propos on peut lire dans la littérature maritime cette étrange recommandation « Lorsque vous baptisez votre bateau en lui donnant un nom, vous lui attribuez en même temps un Macoui : serpent qui suit votre bateau durant toute sa vie. Vous l’avez sûrement déjà vu sans vous en rendre compte : il est dans le sillage.
 
Chaque bateau ne doit posséder qu'un seul serpent. Or le vôtre a déjà un Macoui du fait de son premier baptême et, si vous ne le tuez pas, vous allez lui en attribuer un second. Chaque Macoui revendiquera alors le bateau et luttera sans relâche, contre son rival pour en conserver l'exclusivité . Cette bagarre mystérieuse et invisible ne manquera pas de créer de redoutables dommages à votre embarcation.

Pour tuer l'ancien nom et par conséquent, son serpent, il faudra suivre le bateau à débaptiser au moyen d'une seconde embarcation. A trois reprises, il faut couper par l'arrière, la route du premier et, à chaque passage, tirer un coup de feu dans le sillage.
 Au bout du troisième passage, le Macoui trépassera, c'est le cas de le dire . Surtout ne pas employer de balles à blanc, le serpent se rirait de votre naïveté ! »

Le marinier trop fier, désireux de n'en faire qu'à sa tête, ne se soucia guère de ces conseils archaïques. Cependant la cérémonie réalisée à grand tapage, à peine terminée, le bateau allait connaître sa première alerte. Une amarre avait cédé, le courant grondait et la pauvre « Belle Cavalière » avait bien failli être désarçonnée. Par la suite, les petits incidents se multiplièrent, des avaries mineures certes, toujours causes de soucis et de tracas malgré tout . Mais puisque les choses n'avaient pas été faites selon le rite naval, il n'y avait pas lieu d'en être surpris.

Sur le quai, rieurs et moqueurs avaient cessé de se gausser. Chacun se préoccupait de la suite. L'ombre d'une malédiction pesait désormais sur la pauvre « Belle Cavalière » et son propriétaire tout aussi ignorant de la tradition que maladroit. Les gens de mer ou de rivière aiment à respecter ces principes immuables : interdits qu'il n'est pas question de transgresser, mots prohibés sur l'eau, gestes à ne pas faire.

C'est ainsi, hélas, que « Belle Cavalière » infortunée redevint lumineuse comme l'étoile Sirius en un ultime clin d'œil du destin. Un braséro installé sur le pont, un choc malvenu et le drame arriva. Le bateau finit dans les flammes en un brasier fatal. « Celle qui montait à cru finit par être cuite », se moquait les rieurs toujours prompts à trouver le mot qui blesse. Heureusement, il n'y eut pas de pertes humaines. C'était bien la seule raison de se réjouir en cette pauvre histoire.

De ce jour pourtant, chacun sur la Loire comprit le message ! Désormais nul ici ne s'aventure à débaptiser un bateau pour quelque motif que ce soit. Ce qu'un jet d'eau bénite a fait, personne ne le raye d'un trait de plume. Celui qui achète un bateau se contente du patronyme ou bien se lance lui-même dans une construction nouvelle.

Les croyances ont la vie dure, la navigation est chose assez périlleuse pour ne pas venir tenter le diable. Ne jetons pas la pierre à ces pauvres marins, dont bien des croyances ne se fondent jamais sur la raison et ne plaisantons pas à leur propos . Alors, si vous avez l'intention d'appeler votre coque de noix « La corde et le Lapin ! », passez votre chemin ; votre présence sera jugée indésirable sur nos quais de Loire !

Le nom est chose sacrée. Qu'importe qui l'a gravé, qui l'a oint ; c'est par respect pour celui qui l'a donné qu'il doit rester immuable. La chose vaut pour les bateaux comme pour les gens. Comprend qui voudra ! Si mon histoire semble se mordre la queue, elle a pourtant pris grand soin de ne pas choisir un nom déjà pris. Tous, sur la Loire n'ont pas cette sagesse ...

Patronymiquement vôtre. 


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4 réactions à cet article    


  • lahalle 30 novembre 2013 12:37

    Vous voulez sans doute dire :« ... les fonts baptismaux... »


    • C'est Nabum C’est Nabum 30 novembre 2013 12:56

      lahalle


      Merci d eme prendre pour plus niaiseux que je ne suis 

      Un bateau qui coule et il va au fond ...

    • bert bert 30 novembre 2013 22:24

      ah ouaip « le naufrage du minautore » de Turner ....
      http://monelle.over-blog.com/article-poeme-du-jeudi-legendes-de-la-mer-70515238.html

      un tableau qui a inspiré Fursy Tessier des Discret pour la pochette de disque de « la mort du soleil »
      de Sombres Forets
      http://lesdiscrets.com/

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