Se jeter à l’eau - 2 -
Pousser le bouchon trop loin !
Seul au milieu de la Loire.
Nous sommes face à ce bidon et à notre destin. Plus moyen de reculer, Yvan a emporté la décision. Pour lui, rien de plus normal que de se retrouver au milieu de l'eau en pleine nuit. Il y est comme dans son jardin, il connaît chaque mètre de la rivière, chaque arbre et chaque piège. Ce ne doit être qu'une formalité pour ceux qui l'accompagnent puisqu'il est là …
En attendant, il faut se harnacher de latex. Quand on n'a jamais vu de près ou de loin une combinaison de plongée, on se trouve vite confronté à des situations cocasses qui peuvent vite tourner à la farce ou au ridicule. C'est à croire que nous fîmes exprès de collectionner toutes les erreurs possibles. Ne pensez pas qu'en la circonstance j'exagère. Hélas, tout ceci n'est que pure vérité.
Le premier qui enfila sa double peau souple et moulante se retrouva avec la fermeture éclair sur le ventre. Yvan, bon prince lui conseilla de retourner sa veste ce qu'il fit promptement, le rouge aux joues. Hélas dans son empressement, il fit tant et si bien qu'il se retrouva avec la combinaison à l'envers. Nouveau dépeçage avec moult contorsions pour enfin être vêtu comme il faut.
Croyez-vous que les autres tinrent compte du spectacle qui venait d'avoir lieu sous leurs yeux amusés. Chacun commit l'une des maladresses du premier, devant s'y reprendre à deux fois pour enfiler ce vêtement si moulant. L'une commit même l'erreur de garder ses chaussures et de se trouver en fort mauvaise posture au moment de quitter ce vêtement si serré qu'elle avait mis à l'envers …
Ce qui devait prendre quelques minutes finit par occuper une bonne demi-heure de rires et de confusion. Heureusement, peu de personnes assistèrent à cette mascarade des Bidochon en vacances. Elles se seraient ensuite gaussées du désastre esthétique qui s'offrait à elles . Les outrages de l'âge éclatèrent au grand jour, nos corps replets, un peu rebondis avec quelques proéminences ici ou là, furent parfaitement mis en relief par ce latex juste au corps. Conserver sa dignité dans ces conditions n'était pas une mince affaire …
Yvan fit semblant de ne rien voir. Nul commentaire, nous lui en saurons gré ! Il savait, le diable que le pire était à venir, il devait en sourire sous cape ! Il nous fit monter dans sa camionnette en nous demandant de porter deux gilets de sauvetage chacun. Nous étions fort surpris de la chose mais avions compris désormais qu'il ne servait à rien de se poser des questions …
Nous arrivâmes tout près de l'une des embouchures de la Vauvise. Nous devions nous harnacher avec ces deux gilets. Le premier, enfilé façon couche -culotte entre les jambes, le second de manière beaucoup plus traditionnelle. Une fois encore, certains eurent quelques problèmes de repérage dans l'espace, la géométrie appliquée au réel n'est jamais matière spontanée …
Cette fois, nous comprîmes par l'évidence que le ridicule ne tue pas. Nous avions l'air de pantins grotesques, de bibendums partiellement dégonflés. Nous avançâmes ainsi jusqu'à notre lieu de mise à l'eau. Un groupe de jeunes gens avait installé tentes et barbecue pour une nuit de libation (les bouteilles, nombreuses étaient au frais dans la petite rivière très fraîche). Ils crurent voir de drôles d'éléphants roses avancer sur leurs pattes de derrière. Je doute qu'ils s'en soient remis …
Puis nous nous plongeâmes dans les flots. Il fallut trouver manière confortable de flotter dans un tel équipage. Bien vite chacun trouva sa posture pour se laisser aller sur le dos, les jambes en avant. Tous filaient bon train sauf votre serviteur qui, en dépit des lois immuables de la physique, ne tirait pas parti de son presque quintal pour dériver à la même cadence. Il faut dire que j'avais mal mis le gilet supérieur qui me passait par dessus la tête. De tous, j'étais sans doute le plus grotesque, entre otarie encapuchonnée et morse à l'agonie !
Malgré tout, cette lente descente au fil de l'eau, à la seule vitesse du courant, fut une nouvelle merveille. Une communion totale avec la rivière. La nuit tombait, le silence se faisait. Nous étions seuls sur la rivière. Chaque mouvement d'eau, chaque obstacle sur l'onde était un petit moment d'inquiétude. Nous étions totalement concentrés sur la vie secrète du fleuve sauvage.
Je n'ai pas l'intention de transposer en mots ces sensations intimes, cette relation secrète à la rivière, à la nuit et aux peurs enfantines qui reviennent à la surface. Les émerveillements et les craintes se mêlèrent en une alchimie étrange qui fit de ce moment, une pure merveille. Yvan était l'enchanteur de notre séjour. J'espère que vous serez nombreux, un jour ou l'autre à vivre ces instants hors du temps. La Loire est décidément le plus grand théâtre à ciel ouvert de notre région.
Et quand il me fallut passer le pont, seul, bien loin de mes camarades, au cœur de la nuit noire parmi les mouvements d'eau hostiles, je compris que jamais, au grand jamais, il ne faut mésestimer cette rivière. Elle peut être aussi calme et douce qu'elle peut se faire soudain forte et piègeuse. Elle ne se donne jamais, elle se prête simplement à notre admiration.
Dérivement vôtre.
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