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Histoire géopolitique de la Coupe du Monde : Episode XV - 1994, un Brésil européanisé sort des oubliettes

1994 marque la première Coupe du Monde en Amérique du Nord anglophone, sur le sol des Etats-Unis. La fièvre du soccer n'envahit pas l'oncle Sam passionné de basket, de football américain et de base-ball. Alors que Bill Clinton vient d'enregistrer un succès diplomatique avec les accords d'Oslo en septembre 1993, le Brésil de Romario et Bebeto pense surtout à venger son triple champion du monde F1 disparu le 1er mai 1994, Ayrton Senna. Revenu en équipe d'Argentine, le paria Diego Maradona éblouit pendant deux matches avant d'être exclu pour dopage, tandis que le Colombien Andres Escobar subit la loi des cartels de la drogue à Medellin ... Alors que la France, l'Angleterre, le Portugal, le Danemark, le Pays de Galles et la République Tchèque sont passées à la trappe lors de l'incroyable final du 17 novembre 1993, l'Italie de Roberto Baggio se hisse en finale après un parcours réalisant l'oracle du mentor bouddhiste du Ballon d'Or 1993 : Tu éprouveras de nombreuses difficultés, et tout se décidera à l’ultime seconde. Il ne croyait pas si bien dire, tant que le Roumain le Bulgare Gheorghe Hagi, le Maradona des Carpates, et Hristo Stoïtchkov, le mala leche du Barça, seront avec Romario, et la star de la Juventus au célèbre catogan, les deux grands animateurs de cette World Cup offensive, quatre ans après le bilan trop défensif d'Italia 90 ... 

En 1994, encore marquée au fer rouge par le suicide de Kurt Cobain le 7 avril et par le procès à sensation d’O.J. Simpson pour le meurtre de son ex-épouse le 12 juin (l’ancien joueur s’enfuit en voiture le 17 juin, jour du match d’ouverture …), l’Amérique du président Bill Clinton accueille la World Cup, dix ans après les Jeux Olympiques d’été de Los Angeles. Avocat d’affaires Alan Rothenberg avait été désigné président du comité d’organisation le 26 octobre 1990, secondé par la cheville ouvrière du projet, Scott Parks Le Tellier, qui a présenté le dossier américain à Zurich le 4 juillet 1988 tout en étant responsable du choix des stades. Le tirage au sort des éliminatoires est assuré par Abedi Ayew Pelé pour l’Afrique, Franz Beckenbauer pour l’Europe et Pelé pour l’Amérique du Sud. Le Brésilien sera exclu de la grand-messe du tirage au sort de la phase finale du fait de sa rivalité avec Joao Havelange, président de la FIFA. En ce 16 décembre 1993 au Convention Center de Las Vegas, Sepp Blatter, son secrétaire général depuis 1981, est ridiculisé par l’acteur Robin Williams, aussi en verve que dans Good Morning Viet Nam. Pelé exclu par la FIFA malgré son apport au football en Amérique du Nord via l’odyssée du Cosmos New York, l’instance mondiale fait donc appel à Franz Beckenbauer, Marco Van Basten ou encore Michel Platini, autres très grands noms du ballon rond. La FIFA se montre par contre extrêmement attentive au spectacle que doit offrir la Coupe du Monde aux Etats-Unis, territoire stratégique pour l’expansion du soccer et la création d’un nouveau championnat après la fin de la NASL en 1984 ... Malgré les mesures prises pour limiter le jeu défensif et l’anti-jeu depuis le Mondiale italien de 1990, l’instance suprême va plus loin avec Adidas, fournisseur du ballon officiel, Questra. En 1986 déjà, le ballon Azteca fournissait du polyuthérane. En 1994, Questra va encore plus loin avec une couche de polystyrène favorisant les rebonds défavorables aux gardiens de but. La tendance ira crescendo jusqu’à l’infernal ballon Jabulani en 2010 en Afrique du Sud, cauchemar des portiers ... Pour l’ouverture du Mondial, Diana Ross vient chanter au Soldier Field de Chicago, encore orpheline de Michael Jordan depuis sa retraite en 1993, en ce 17 juin 1994, après que le Président américain Bill Clinton ait souhaité Welcome to America à tous. Dans l’Illinois, l’Allemagne de Jürgen Klinsmann domine 1-0 la Bolivie en ouverture, pays qui avait commis le crime de lèse-majesté de vaincre le Brésil en éliminatoires à la Paz, la plus haute capitale du monde. Mais Romario, rappelé par Carlos Alberto Parreira, avait remis l’Eglise au milieu du village lors d’un doublé au Maracaña face à l’Uruguay le 19 septembre 1993 ... En décembre 1992, l'attaquant du PSV Eindhoven avait en effet sévèrement critiqué le duo Parreira / Zagallo pour ne pas l'avoir aligné en match amical contre l'Allemagne. Je ne peux pas croire que je suis venu de Hollande pour m'asseoir sur le banc. Conséquence, il a été écarté de longs mois et n’est revenu que lors du dernier match des éliminatoires contre l'Uruguay au Maracaña. Pour le roi Pelé, qui tient une chronique dans USA Today, le favori est la Colombie, qui a massacré l’Argentine 5-0 en 1993 durant les éliminatoires de la zone sud-américaine : l’Albiceleste se qualifiera par la petite porte, via un barrage contre l’Australie. Le but mythique de Diego Maradona contre la Grèce (avec ce regard plein de fureur du Pibe del Oro devant les caméras de télévision), en forme de chant du cygne du gamin en or, et l’explosion au plus haut niveau de Gabriel Batistuta seront les seules satisfactions d’une édition qui verra l’Argentine rentrer bredouille. Maradona est vite exclu du Mondial pour contrôle positif à l’éphédrine, décision annoncée à l’hôtel Four Seasons de Dallas par le Mexicain Guillermo Canedo, président du comité d’organisation de l’édition 1986. Car une fois Diego exclu pour dopage par la FIFA après la victoire face au Nigeria à Dallas, l’Argentine illustre à merveille la citation d’Alphonse de Lamartine : Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Le capitaine argentin jure son innocence, lui qui a perdu du poids avec la diète chinoise de son préparateur Daniele Cerrini : Je veux qu’une chose soit claire pour les Argentins : je ne me suis pas drogué. J’ai couru pour l’amour et pour le maillot. Mais Diego Armando Maradona aura changé la face du monde par son but en pleine lucarne contre la Grèce, son dernier avec l’Albiceleste, comme l’explique l’écrivain argentin Martin Caparros : Maradona, c’est LE premier souvenir du football mondialisé. C’est un génie. J’ai vraiment été convaincu qu’il l’était lorsqu’il est allé fêter son but contre la Grèce en 1994, devant la caméra. Ça peut paraître juste une connerie comme ça, mais ça faisait plus de vingt ans que des joueurs de foot célébraient des buts dans des matches télévisés, mais aucun n’avait eu l’intelligence d’aller le fêter avec le véritable public, le public qui est derrière la caméra, et ça, c’est un coup de génie. A partir de là, je crois que toute l’architecture des célébrations de but en a été changée. Le Saoudien Al Owairan se prend pour Maradona avec un but d’extra-terrestre contre le meilleur gardien du tournoi, le Belge Michel Preud’Homme, mais malgré cette copie carbone du but de Diego contre l’Angleterre en 1986, l’original reste incomparablement supérieure à la copie ... En effet, sans son capitaine, l’Albiceleste cède par deux fois contre les voisins des Balkans, la Bulgarie (0-2) puis la Roumanie (2-3), qui avait déjà coupé l’herbe sous le pied du favori colombien au premier tour. Car le Maradona des Carpates, alias le Roumain Gheorghe Hagi, trop heureux du sortir du purgatoire vécu en Série B avec Brescia Calcio, va ramener les Colombiens à la raison d’un lob rappelant celui du Monténégrin Dejan Savicevic en finale de la ligue des Champions à Athènes face au Barça de Cruyff, qui perd ce jour là son titre de Dream Team. Mais Dejan Savicevic est absent de ce Mondial américain, comme toute la merveilleuse génération yougoslaves des Pancev, Suker, Mijatovic, Boban, Prosinecki, Mihajlovic, Katanec, Jarni, Boksic et autres Stojkovic. Parole à ce dernier, alias Pixie, qui retrouvera la Coupe du Monde en 1998 avec le maillot de la Yougoslavie certes, mais en tant que serbe : Le Danemark nous remplace et gagne l’Euro. Avec 1992, 1994 et 1996, on m’a pris trois compétitions. J’ai perdu une partie de ma vie. Personne ne me rendra ce temps perdu. Ce n’est pas de la tristesse, c’est plus que ça. On ne peut rien contre la guerre, la bêtise. Moi, je suis orthodoxe, j’avais des potes de toutes les religions. Les guerres de religion sont incompréhensibles. C’est très difficile quand tu as des fous dans tous les camps. Après sa victoire 5-0 à Buenos Aires le 5 septembre 1993 lors des éliminatoires de la zone Amérique du Sud, la Colombie avait été faite favori de la World Cup par le roi Pelé en personne. Il allait assez vite s’avérer que le Brésilien était meilleur joueur que pronostiqueur, tandis que Diego Maradona prenait le contrepied de son rival pour le titre de Greatest Of All Time du football mondial … Interrogé par la presse sur les chances de victoire colombienne, El Pibe de Oro s’était alors lancé dans une démonstration pleine de certitudes et d’arrogance, faisant notamment référence à l’histoire footballistique des deux pays. L’Argentine est ici, avait-il indiqué avec sa main droite au-dessus de la tête. La Colombie est tout en bas. C'est tout ce qu’il y a à savoir.Même le grand Pelé a pris le train en marche, faisant de la Colombie la favorite pour la Coupe du Monde aux Etats-Unis quelques mois plus tard. Sauf qu’une fois sur le terrain, le poids de l’histoire a en effet volé en éclats. La Colombie a écrasé l'Argentine (5-0) et Diego Maradona est devenu un bouffon aux yeux de tous les fans colombiens. Les conséquences de cette victoire historique ne se sont d'ailleurs pas limitées à cela. De retour au pays, les joueurs colombiens ont pu se rendre compte que plus personne n’avait gardé un peu de mesure et que le statut de la sélection avait changé dans des proportions inattendues. La Colombie retrouve un sentiment collectif d'appartenance et d'ardeur nationaliste que l'on n'avait plus vu depuis la guerre contre le Pérou il y a 60 ans, a écrit le principal journal du pays. Ce n'est qu'une fois la compétition lancée que le mépris et l’insolence de Maradona ont été justifiés. Après des défaites contre la Roumanie (3-1) et les Etats-Unis (2-1), et malgré une ultime victoire 2-0 contre la Suisse de Roy Hodgson, la Colombie a en effet terminé dernière du groupe A. Comment la Colombie avait-elle pu passer à ce point à côté du Mondial ? Jusqu'à ce match contre l'Argentine, nous étions une équipe en pleine confiance et en plein progrès, explique à FourFourTwo Oscar Cortes, défenseur international de l’époque.Mais après cette rencontre, nous avons commencé à décliner. Signe avant-coureur d’un été compliqué : les Colombiens n'avaient remporté aucun de leurs trois matchs de préparation à la Coupe du Monde malgré des oppositions modestes. Certains observateurs affirment encore aujourd’hui que les joueurs étaient si confiants avant ce Mondial 94 que leur préparation s’était limitée à descendre des packs de bières et à visiter des maisons closes. Plus vraisemblablement, les attentes des fans et la pression inhérente ont paralysé une sélection hantée par un réalisme proche du défaitisme. Oscar Cortes, qui n’a porté le maillot colombien qu’à trois reprises, réfute la version d’une confiance excessive. Je n'ai jamais entendu un joueur proclamer que nous allions gagner la Coupe du Monde ou même arriver en finale, raconte-t-il. Mais nous aurions pu passer un ou deux tours de plus, ce qui aurait été assez juste. Il aurait fallu pour cela que le sélectionneur Pacho Maturana n’affiche pas un manque de confiance désarmant. Pour moi, l'important est juste de rivaliser avec nos adversaires pour laisser une marque, une empreinte, a-t-il lâché face à la presse. On a connu des discours plus ambitieux... Ce que les supporters et les médias ne voyaient pas – ou ne voulaient pas voir -, les joueurs ne pouvaient eux pas l’ignorer. A savoir des éléments cadres loin de leur meilleure forme. Le vétéran Carlos Valderrama se remettait péniblement d’une blessure, Faustino Asprilla était épuisé après une longue saison à Parme et Freddy Rincon, encore propriété de Palmeiras, était hors de forme. D'autres éléments de l’équipe avaient eu leur lot de soucis avant le Mondial. Deux jours avant le match face aux États-Unis, l'arrière droit Chonto Herrera a ainsi appris la mort de son frère dans un accident de voiture. Quant à René Higuita, il n’était pas de la partie, la faute à un passage par la case prison pour avoir fréquenté une prostituée mineur (et surtout pour ses liens avec le narco-trafiquant Pablo Escobar, mort en 1993). Battue par le pays organisateur avec un but contre son camp d’Andres Escobar, la Colombie de Francisco Maturana rentre donc à la maison prématurément, malgré son toque précurseur qui inspirera Pep Guardiola plus tard. Andres Escobar est assassiné le 2 juillet 1994, lui l’homonyme du patron du cartel de Medellin, Pablo Escobar, mort en 1993. Avant sa mort, Andres Escobar, défenseur jouant en sélection colombienne depuis 1987, avait eu cette phrase prémonitoire : Dans le football, au contraire des combats de bêtes sauvages, la mort n’existe pas. Personne ne meurt, personne ne se fait tuer. Il n’y a que du plaisir. Dans l’avion du retour vers Bogota, Andres Escobar avait prévenu Faustino Asprilla, le flamboyant attaquant colombien de Parme : Ne sors pas de chez toi pendant quelque temps. Andres Escobar sait que les narcotrafiquants de Medellin ont parié énormément d’argent sur la Colombie, et perdu beaucoup du fait de cette élimination prématurée des Cafeteros … Le cartel de Cali avait fait l’inverse, et menacé les joueurs colombiens avant leurs matches … Le 2 juillet, Alexi Lalas, capitaine de la sélection américaine, apprend comme le reste du monde la mort d’Escobar, abattu à la sortie du bar El Indio à Medellin, où il s’était rendu avec sa fiancée. Andres Escobar avait une eu une altercation avec les frères Gallon, d’influents entrepreneurs de Medellin, sur le parking de la discothèque. Le tueur Humberto Menoz, à la solde des deux frères, aurait crié « Gol » à chacune des douze balles tirées. 100 000 personnes, dont le Président de la République colombienne César Gaviria, se rendront aux obsèques du joueur martyr. Condamné à 43 ans de prison, Munoz sera libéré dès 2005. C’est comme si l’on avait assassiné Andres une deuxième fois, clameront ses proches. Lalas témoigne de cette tragédie qui prend sa source dans le match Etats-Unis / Colombie (2-1) du 22 juin 1994 à Los Angeles : Si je pouvais revenir en arrière et perdre ce match contre la vie d’Andres, je le ferais directement. Mourir pour un match de foot … C’est l’illustration d’une manière de vivre le foot, qu’ici, aux Etats-Unis, on ne pouvait même pas comprendre. Le meurtrier d’Andres Escobar écopera de 43 ans de prison mais a été libéré en 2009. Le baron de la drogue et le défenseur martyr n’auront pas vu Israël et la Palestine signer les accords d’Oslo sous l’égide de Washington, pas plus que le génocide rwandais succéder à celui en vigueur en ex-Yougoslavie, ni François Mitterrand et la reine Elizabeth inaugurer l’Eurostar entre la France et l’Angleterre en mai 1994, avec un clin d’œil jusqu’en 2007 pour les mangeurs de grenouilles arrivant à Londres, à Waterloo Station, du nom de la plus terrible défaite de Napoléon. Le tunnel sous la Manche, tout bon pour Dennis Bergkamp qui va contracter une phobie de l’avion durant le tournoi à Orlando et pourra ainsi rejoindre l’Hexagone en 1998, tant pis pour Français et Anglais qui regardent ce Mondial à la télévision, une première commune depuis 1974 ! Trop confiante, la France a perdu ses deux derniers matches à domicile, contre Israël puis la Bulgarie. Mais Hristo Stoitchkov, le numéro 8 du Barça de Cruyff, y croyait dur comme fer : Cantona est-il meilleur que moi ? Ginola est-il meilleur que Kostadinov ? Papin est-il meilleur que Penev ? T'en as un qui joue à Manchester, l'autre à Marseille. Et alors ? Moi, je joue à Barcelone. Emil est à Porto, putain ! Letchkov à Hambourg, Balakov au Sporting Portugal. On va gagner. Et on l'a fait, 1-2. A l’ultime seconde le 17 novembre 1993, le but d’Emil Kostadinov au Parc des Princes propulse le petit pays des Balkans en phase finale, tandis que la France reste à la maison pour la deuxième fois de rang après avoir manqué l’édition 1990 en Italie : J’avais le choix entre tirer et faire une passe à un coéquipier. Grâce au ciel, j’ai choisi la première option, explique l’ancien joueur du FC Porto. Le commentateur de la télévision bulgare hurle alors une phrase restée dans la mémoire collective, et qui sera réutilisée par Stoitchkov à chaque conférence de presse de la Coupe du monde 94 : Dieu est bulgare ! Journaliste bulgare, Nikolay Krastev explique l’ambiance morose après ce match : Au Parc des Princes, il y avait une salle avec des tables dressées et du champagne, pour fêter la victoire. Quand je suis repassé à la fin, ils avaient tout enlevé. Dans les tribunes, deux personnes sur trois pleuraient. Hristo Stoïtchkov, dont le prénom signifie Christ, sera élu Ballon d’Or fin 1994, profitant de l’absence de Romario pour cause de règlement dépassé du côté de France Football, après la jurisprudence Maradona de 1986. Diego recevra un trophée de la part de l’hebdomadaire français début janvier 1995, en forme de pardon a posteriori. Hristo Stoïtchkov devra son élection, dont il rêvait depuis son enfance à Plovdiv - ayant vu Kevin Keegan le gagner en 1978, à son titre de meilleur buteur du tournoi américain, partagé avec le Russe Oleg Salenko, auteur d’un quintuplé face au Cameroun. Ce jour là, le vieux lion Roger Milla rugit une dernière fois, avec un but sauvant l’honneur des Lions Indomptables, écrasés 6-1 à San Francisco par la Russie. La saison suivante, le Russe Salenko retrouve le Bulgare Stoïtchkov lors d’un match FC Valence / FC Barcelone : Je l’ai croisé en Liga alors que je jouais à Valence et lui à Barcelone. Stoïtchkov m’a dit : « Tu peux me remercier de ne pas avoir mis plus de buts ». Je lui ai répondu : « Non, c’est à toi de me remercier de ne pas avoir joué davantage de matches ». On s’est regardés et on a souri. Le Brésil, lui, joue pour la mémoire d’Ayrton Senna son as du volant, également triple en champion du monde en quête d’une quatrième couronne mondiale. L’archange est décédé le 1er mai dans le cockpit de sa Williams-Renault FW16 après un crash dans le virage de Tamburello, sur l’autodrome Enzo e Dino Ferrari d’Imola. L’hôpital de Bologne apprend l’horrible nouvelle au monde entier, dix ans avant de déclarer la mort clinique d’un autre sportif romantique, le cycliste italien Marco Pantani. Ce dernier se révèle lors d’un Giro qui précède de quelques jours cette Coupe du Monde 1994 qui n’intéresse pas vraiment l’Amérique. Occupée par le procès de l’ancienne star du football américain O.J. Simpson et la victoire des Houston Rockets d’Hakeem Olajuwon sur les New York Knicks de Patrick Ewing dans une NBA orpheline d’His Airness Michael Jordan, l’oncle Sam ignore superbement le soccer, malgré le show Robin Williams face à Sepp Blatter lors du tirage au sort en décembre 1993 à Las Vegas. James Brown était venu donner un concert dans le Nevada, mais rien n’y fait, l’Amérique reste globalement allergique au ballon rond ... Mais l’oncle Sam le prend avec humour, comme l’indique Aaron Dessner, membre du groupe de rock The National : le soccer, c’est quand même le seul domaine où tu vois des Latinos, des Africains ou des Polonais corriger des Américains. Ce qui n’est pas si mal, non ? Quand il prend en main en 1991 la sélection américaine humiliée l’année précédente en Italie au Mondiale 1990 (trois défaites, dont un 5-1 d’entrée face à la Tchécoslovaquie), Bora Milutinovic convoque à Mission Viejo, près de Los Angeles, les éléments les plus prometteurs des facs américaines, avant d’infliger à son groupe la bagatelle de 96 matches amicaux pour préparer la World Cup : Thomas Dooley, fils d’un G.I. et d’une mère allemande, des Latinos parlant espagnol plus qu’anglais, le défenseur Alexi Lalas, fan de guitare d’origine grecque qui jouait encore au hockey sur glace trois ans plus tôt à Rutgers University, le gardien Tony Meola ou encore l’attaquant Eric Wynalda … La plupart d’entre eux ne verront jamais l’Europe en clubs, même si Dooley jouera à Leverkusen en Bundesliga et Lalas à Padoue dans le Calcio. L’ignorance de l’Amérique pour le soccer est donc sans limite … En témoigne cette question d’un journaliste américain à la star allemande Lothar Mätthaus, capitaine des champions du monde sortants, à son arrivée à l’aéroport de Chicago : Qui êtes-vous ? L’Allemagne sera mise K.O. au Giants Stadium d’East Rutherford, près de New York, par un épouvantail venu de Bulgarie : Hristo Stoïtchkov. Après les matches, on sortait jusqu’à 4 heures du mat’. Et la journée, on passait notre temps dans la piscine, à jouer aux cartes, boire des bières et bouffer des saucisses. On était libres. Du pur Stoïtchkov dans le texte. Meilleur buteur du tournoi marqué par la canicule (comme au Mexique en 1970 et 1986 les matches sont joués en pleine journée pour que les télévisions européennes diffusent les matches en prime time, avec 45 degrés Celsius et non Fahrenheit à Dallas lors d’Allemagne / Corée du Sud), le numéro 8 du Barça voit son compère en Catalogne emporter le trophée au Rose Bowl de Pasadena : Romario, muet en finale comme son rival Roberto Baggio, est sacré champion du monde en Californie, près de cette Silicon Valley et de Hollywood, moteurs de l’Amérique avec Wall Street et les grandes universités de la côte Est (Columbia, Yale, Princeton, Harvard, MIT). Dans le remake de la finale de 1970, le plus célèbre bouddhiste d’Italie manque le nirvana par un tir au but qui s’envole dans le ciel de la Cité des Anges … Baggio laisse ainsi le titre mondial à Romario, qui lui succèdera au palmarès du joueur FIFA de l’année, tout comme Stoïtchkov lui prendra le Ballon d’Or en fin d’année. Les deux joueurs du Barça soulagent la plaie béante de la défaite 4-0 au stade olympique d’Athènes, la Dream Team de Johan Cruyff ayant été hachée menue par l’AC Milan de Fabio Capello. Cruyff, lui, a refusé de coacher les Oranje¸ expliquant a posteriori sa décision avec une punchline digne de sa légende : En 1994, la sélection néerlandaise manquait d’agressivité. Comment pourrait-elle en avoir avec des joueurs leaders comme Bergkamp et Rijkaard qui n’en ont pas ? Impossible. Tu ne peux pas commander un steak dans un restaurant de poissons. Il est vrai que sans Marco Van Basten et Ruud Gullit, le jeu n’en valait pas la chandelle pour Cruyff. Mais avec Argentine – Roumanie en huitième de finale (où Hagi profite d’une Albiceleste orpheline de Maradona suspendu pour dopage), Brésil / Pays-Bas sera le plus beau match de cette édition fertile en buts. Avec l’inoubliable image de Mazinho, Bebeto et Romario berçant un bébé, celui de Bebeto en l’occurrence, prénommé Mateus en hommage au joueur du Bayern Munich. En voilà au moins qui connaît le nom du capitaine de l’équipe d’Allemagne ! Bebeto qui résuma parfaitement l’esprit de cette Seleçao de Dunga vouée aux gémonies par Socrates et tous les esthètes du jogo bonito : Un même sang coule dans nos veines. Il faut dire que l’enlèvement du père de Romario et l’agression de la femme de Bebeto, avant le tournoi américain, avait soudé le groupe, qui rendra hommage à feu Ayrton Senna dans leur tour d’honneur après la victoire à Los Angeles. Paradoxalement, ces évènements tragiques ont formé le tandem Romario / Bebeto. Car au moment de prendre l’avion pour les Etats-Unis, Romario ne voulait pas s’asseoir aux côtés de Bebeto, menaçant de ne pas monter dans l’appareil ! Cette Coupe du monde est globalement une réussite avec seulement trois 0-0 (dont la finale) et présente surtout un record d'affluence jamais égalé depuis : 3 587 538 spectateurs, soit une moyenne de 68 991 par match, dans les stades gigantesques d’outre-Atlantique ! Le sélectionneur brésilien Carlos Alberto Parreira avait une approche pragmatique. Ce n'était un secret pour personne qu'il enviait la discipline et l'organisation tactique des meilleures équipes européennes. Mais jusqu'à 1994, il ne s’était guère couvert de gloire, avec comme seul titre majeur le championnat brésilien de 1984 remporté avec Fluminense. Le capitaine Brésilien Carlos Dunga l’embrasse la Coupe du Monde au Rose Bowl de Pasadena, se tourne vers la marée de photographes et soulève le trophée en hurlant : C'est pour vous, bâtards de traîtres ! Que dites-vous maintenant ? Ce Brésil cuvée 1994 était très critiqué, notamment par Socrates, symbole du jogo bonito des années 80, si esthétique mais jamais gagnant en 1982 et 1986. La Seleçao de Tele Santana avait été battue par l'Italie puis par la France. Même si les tactiques de Parreira étaient détestées au pays, la plupart des Brésiliens est descendue dans les rues pour faire la fête et les joueurs ont été accueillis comme des héros avec un défilé dans les rues de Rio. C'était une victoire en Coupe du Monde, après tout... Johan Cruyff, alors entraîneur de Barcelone, déclarait à l'époque : Le secret du football est de garder le contrôle du ballon et seul le Brésil le fait. Il est certain qu'il pourrait jouer plus offensivement et avec plus de beauté mais il y a des moments où le spectacle doit être sacrifié. Même Romario a adopté ce point de vue pragmatique. Parreira devait gagner la Coupe du Monde donc il a formé l'équipe comme il le voulait. Ce n'est pas forcément le football que les fans ou moi aimions mais ça a fait l'affaire.


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3 réactions à cet article    


  • Axel_Borg Axel_Borg 17 février 2019 08:10

    Romario fut le meilleur joueur de cette édition 1994 avec seulement trois 0-0 dont la finale Brésil / Italie à Pasadena.

    Mais Gheorghe Hagi, Hristo Stoïtchkov, Paolo Maldini, Michel Preud’Homme, Jürgen Klinsmann, Thomas Ravelli, Carlos Dunga, Bebeto, Dennis Bergkamp, Gabriel Batistuta et bien entendu Roberto Baggio ne doivent pas être oubliés de cette World Cup américaine qui aura débouché sur la création de la MLS.

    Les Ricains retrouveront, après les échecs de 1986 et 2010 (conséquence sur la FIFA cette fois), le Mondial en 2026 avec leurs voisins mexicain et canadien.

    Mais chez l’oncle Sam, basket (NBA), foot américain (NFL), hockey sur glace (NHL), golf (PGA) et baseball (World Series) restent largement devant le soccer d’un point de vue culturel et médiatique ...


    • machin 17 février 2019 08:42

      Voilà bien quelque chose d’indispensable aux sciences de la vie.

      Dans le même genre :

      Nouveau musée du foot aux Mesneux :

      https://www.youtube.com/watch?v=EzMGQcDRLXg

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