Anne-Laure Delatte, professeur d’économie à Rouen Business School,
estime que la Grèce n’a plus vraiment le choix : elle doit se préparer au
retour de sa monnaie nationale.
Challenges : La Grèce peut-elle rester dans la zone euro ?
Anne-Laure Delatte : Les Grecs ne vont pas avoir le choix. Pour le
moment, la situation est absurde. Soit la Grèce reste sous perfusion de
l’Europe et le chômage continue d’augmenter, soit l’Union européenne la
contraint à faire défaut dès le 20 mars prochain en refusant le versement des
130 milliards, du coup les investisseurs ne lui prêteront plus et c’est donc la
sortie forcée de l’euro. Les mesures actuelles sont très coûteuses
socialement : réduire le SMIC de 22 % à
500 euros ne pourra pas être supporté longtemps. Si la réduction de 22 % du
SMIC grec était appliquée à la France, notre SMIC passerait de 1.100 euros net
à 880 euros. C’est intenable. Depuis 2009, le ralentissement de l’économie
grecque atteint - 12 %, et on s’attend à une récession de - 6 % en 2013.
Aujourd’hui en Grèce, un jeune sur deux est au chômage. Le peuple ne peut pas
supporter l’austérité pendant dix ans.
Une sortie de l’euro peut-elle être salutaire pour la Grèce ?
Conserver coûte que coûte l’euro entraînera nécessairement une augmentation
du chômage. Or, il existe une solution moins coûteuse sur le plan social, celle
de la dévaluation. Mais pour dévaluer il faut avoir sa propre monnaie, ce qui
achèverait d’exclure la Grèce des marchés financiers d’une part et qui
risquerait aussi de faire sombrer le pays dans l’hyperinflation. Pourtant, même
le Fonds monétaire international a montré que l’austérité ne porte ses fruits
que lorsqu’elle est accompagnée d’une dévaluation. C’est ce qui s’est passé en
Finlande en 1992.
Le retour de la drachme n’appauvrirait-il pas les Grecs ?
A l’automne dernier, la banque japonaise Nomura a tenté d’évaluer ce que
vaudrait la drachme aujourd’hui. Ce serait 60 % de ce qu’elle valait au moment
de l’entrée dans la zone euro. Ce qui compte, si la Grèce récupère son ancienne
monnaie, c’est d’éviter l’hyperinflation et cela dépendra du gouvernement. Une
solution pourrait consister à opérer une « drachmisation » de
l’économie c’est-à-dire à convertir l’ensemble des actifs en drachmes. Ensuite,
il faut empêcher une sortie massive de l’argent du pays. Or, beaucoup de Grecs
ont déjà anticipé la sortie de l’euro. Depuis l’automne, ce ne sont pas moins
de 40 milliards d’euros de capitaux qui sont sortis du pays pour être placés
ailleurs, soit 17 % du PIB. Ces retraits ont bien entendu été effectués pour
mettre à l’abri cet argent de tout risque de dévaluation.
http://www.challenges.fr/monde/20120216.CHA3338/beaucoup-de-grecs-ont-deja-anticipe-la-sortie-de-l-euro.html?google_editors_picks=true