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L’Ankou 31 juillet 2012 17:34

« Aujourd’hui, notre niveau de développement cérébral nous permet un apprentissage par l’expérience »

 

Ah, c’est pour ça  ! Il me semblait bien que je trouvais quelque chose de changé depuis ce matin. Je suis bien content d’avoir atteint aujourd’hui ce niveau de développement cérébral. Qu’est-ce que ça change d’hier, dites donc  !

 

Trêve de railleries, j’ai l’impression que n’importe quel organisme vivant dispose de cette capacité, y compris des végétaux et champignons, totalement dépourvus d’encéphale, et qui, pourtant, savent expérimenter leur manière de pousser pour éviter certains obstacles ou contournant une terre empoisonnée ou stérile. Bref, je suis d’accord avec vous, mais ça de date pas « d’aujourd’hui. »

 

« cette expérimentation associée à la logique basée sur la perception et le rejet de la contradiction, nous a fait découvrir certaines règles, certaines lois de la nature immuables et incontournables. »

 

Qu’entendez-vous par « rejet de la contradiction » ? Un scientifique, par exemple, ne rejette pas la contradiction, au contraire : il s’en sert pour démystifier ses croyances, ses présupposés et ses erreurs, et progresser. Du coup, les règles « immuables et incontournables » finissent tôt ou tard par être remises en question, relativisées, délimitées dans leur champ de validité au delà des frontières duquel il faut d’autres règles pour comprendre le monde...

 

« Ce qui implique que toute adhésion à des notions mystiques tiennent de la déraison, en remettant en cause la logique des lois de la nature les plus évidentes. »

 

Ce n’est pas tout à fait exact. C’est même caricatural, et c’est un athée radical qui vous le dit ! Les controverses savantes sur le sexe des anges, l’âme des femmes, la virginité de Marie ou sur la transsubstantiation du Christ sont bien des échanges d’arguments raisonnés, d’où l’usage du syllogisme le plus carthésien n’est pas totalement absent.

 

La raison raisonnante est la même, qu’elle s’attaque aux «  différents niveaux d’essence de l’être  » chères aux philosophe de l’Islam, à la compréhension d’un thème astral, à la composition d’une symphonie ou à des faits quantifiables et vérifiables expérimentalement. Ce qui fait l’opposition entre la science et le mythe, c’est l’objet de l’étude, la méthodologie employée ou l’admissibilité d’une opinion contraire argumentée, mais certainement pas la quantité de « déraison ».

 

« Toute croyance occulte et religion sont donc des dégénérescences de l’esprit, un renoncement aux évidences, un repli mental, un transfert de responsabilité vers une entité supérieur, une infantilisation. »

 

J’ai beau être critique envers vos écrits, je reconnais une grande parenté entre mes finalités, athéistes et anticléricales, et les vôtres. Je considère que la liberté religieuse et le droit de vivre ses croyances ne devraient relèver que d’un droit à l’erreur. Mais je me garderai de qualifier cette erreur de dégénérescence, si tantant que ce soit. Je me contente donc d’y voir des escroqueries, des mystifications, des superstitions, des impostures. Même la question de l’infantilisation ou de la déresponsabilisation ne sont pas si claires que vous le dites. Il a bien fallu que des gens se sentent « responsables » pour entamer la christianisation du Nouveau Monde avec tout ce que cela comportait de risques et d’incertitudes. Il en va de même pour les croisades et autres guerres « saintes », la construction des pyramides, des temples ou des cathédrales… L’inquisition dans toute son horreur aurait-elle eu lieu si des fanatiques ne s’étaient pas sentis l’impérieuse responsabilité de la mener à son terme  ? Ce point mérite au moins d’être précisé ou nuancé, même s’il vous attire ma sympathie.

 

« Le mysticisme est un retour vers l’état primitif. »

 

Il a pourtant bien dû exister une période primitive où le mysticisme n’avait pas nécessairement les formes dures qu’on lui connait. L’homme préhistorique a bien dû constater sur terre la maladie, la mort, les aléas, la chance et la malchance, les risques, l’imprévisible. Levant les yeux, la nuit, il a vu l’ordre et la permanence des astres, leur mouvement, leur régularité, leur prévisibilité. Tournant à nouveau son regard sur la terre, il a pu voir, dans le chaos du monde, des régularités tenter de reproduire l’ordre des cieux  : les saisons, les marées, les migrations animales… Si le cerveau n’a qu’un talent inné, c’est probablement celui de chercher du sens dans ce qu’il perçoit. Que croyez-vous qu’il en ait inféré  ? Pour autant, ce mysticisme premier n’avait pas nécessairement le caractère contraignant des religions monothéistes, parfois pétries d’interdits et de peu de tolérance pour d’autres systèmes de pensée. Ce mysticisme premier pouvait s’accommoder de science expérimentale, de découvertes, de rites et de coutumes en devenir, et d’une vision poétique et artistique du monde. Les oppositions entre ces différentes spécialités ont pu n’intervenir que beaucoup plus tard.

 

« D’après Lévi-Bruhl, les sociétés primitives dites « inférieures », terme utilisé au XIXème, sont les sociétés incluant les cultes totémiques ayant une mentalité prélogique mystique. »

 

On peut récuser l’utilisation de ce terme. Vous le faites à la fin de votre article en rappelant les précautions à prendre dans les lectures des moralistes de la colonisation. Il y a quand même des ethnologues sérieux, depuis Claude Levi-Strauss, et des anthropologues dégagés de ces préjugés «  civilisateurs  », heureusement. On prend conscience, d’ailleurs et grâce à eux, que l’on ne sait pas vraiment, encore maintenant, ce que les sociétés observables de nos jours auraient conservé d’originel. Il peut y en avoir qui, après avoir atteint un «  haut  » niveau de culture et de production culturelle ou scientifique ont pu «  régresser  » vers une conception plus minimaliste de leur histoire et, quant à la maîtrise de leur environnement, des ambitions moindres, également moins destructrices de leur écosystème. Le terme « inférieur » est à bannir, mais guère moins, donc, que celui de « primitif ».

 

« Tout est esprit, la vie et la mort sont étroitement liés. »

 

Sauf qu’on ne se nourrit pas d’esprit mais de matière. Même s’il existe des drogues, on n’échappe pas à la confrontation au réel, aux dangers, à la faim, à la soifs, aux prédateurs, non plus qu’aux relations humaines dans la tribu et avec les tribus voisines…

 

« Leur mental est imperméable à l’expérience ainsi qu’aux opérations discursives. ».

Je contiens ma colère à la lecture de cette phrase péremptoire que rien ne vous permet d’affirmer. Croyez-vous, je l’évoquais, qu’ils n’expérimentent ni la blessure ni la maladie, la faim, ni le froid, ni le désir charnel ni la transmission intergénérationnelle des savoirs, ni les peurs des dangers, ni les angoisses existentielles face à la mort et à l’avenir ? Et à supposer, même, que l’herboristerie médicinale, la récurrence des saisons ou la signification des éclipses n’aient d’explications que «  magiques  », qui vous permet d’affirmer que cette magie n’est pas mise en discours  ?

 

«  Ils fonctionnent sur la loi de participation usant des préliaisons et représentations collectives. Tous les évènements heureux et malheureux sont le fait des esprits, de la magie et surtout de la sorcellerie. »

 

Les mythes, les contes, les légendes, pourtant, qui n’auraient aucune valeur explicative, aucun sens pédagogique, aucune vertu rassurante pour l’usage de l’environnement, l’explication du monde, la prévention des dangers, ou des éléments de survie de la tribu disparaitraient dans l’oubli. On retient peut-être aussi les hauts-faits qui légitiment telle organisation, telle répartition des responsabilités, telle hiérarchie, peut-être. Et ce n’est pas nécessairement la loi du plus fort, d’ailleurs. On n’est jamais le plus fort contre tous les autres. La plupart des mythes ont des vertus concrètes, à commencer par le fait de fournir une grille de lecture pour appréhender un environnement hostile.

 

« Rêves et hallucinations font partie de la même réalité que l’éveil lucide. »

 

Je n’ai pas cette lecture. Il me semble au contraire que les drogues et autres états modifiés de conscience sont bien identifiés comme donnait accès à d’autres visions du monde. C’est une autre réalité, peut-être supérieure ou peut-être pas, mais certainement pas la même réalité. C’est peut-être bien un arrière-monde, où l’on ira chercher des explications à ce qui est incompréhensible ici-bas, mais sans confusion possible. Le réel n’est pas une illusion et aucun culte, chamanique, druidique, panthéiste, païen, polythéiste ou monothéiste, théiste, ni même freudien pour ce que j’en sais, n’irait faire une telle confusion. Ne serait-ce que parce que celui que la société reconnaît comme intercesseur entre ce monde et l’arrière-monde en tire toujours une certaine reconnaissance sociale. Dans certaines tribus, ça n’empêche pas que ses erreurs soient sanctionnées par la mort, d’ailleurs.

 

« La réincarnation est systématique mais progressive. Une fois le squelette totalement débarrassé de la chair, l’esprit est libéré du corps, le même esprit hantant le corps en décomposition et le lieu d’habitation de l’ex-vivant. Un esprit pouvant être à plusieurs endroits simultanément. L’esprit libéré rejoint en un espace sacré, tous les autres esprits en attentes d’un nouveau né à intégrer. »

 

Je ne crois pas que la réincarnation soit un passage obligé de l’histoire des croyances pour chaque peuple. D’ailleurs, si l’on rend un culte aux ancêtres, c’est bien, le plus souvent, parce que l’esprit des morts ne s’incarne pas à tous les coups, voire pas du tout.

 

La remarque vaut pour votre passage suivant sur les morts récents, à raison notamment de leur statut social. Je ne sais pas quelle système de pensée vous généralisez ainsi comme un invariant de toutes les cultures, mais ça me semble excessivement hâtif et péremptoire.

 

Sur le développement de la mémoire, il me semble assez logique que dans une culture qui ne connaît pas l’écrit, il soit vital de mémoriser de nombreuses informations, sur le sens des vents, le parcours des gibiers, la nocivité des plantes, la dangerosité des insectes, les régularités météorologiques, bref, toutes les sciences et les techniques disponibles, qui sont irrémédiablement perdues si elles ne sont pas apprises. La culture orale et expérimentale des chamanes, des druides, des conteurs ou des sorcières, résisteront très longtemps, comme les coutumes, jusqu’à ce qu’on mette en livres les chansons, les connaissances, les sciences, les lois et les titres de propriété, les contrats, les poèmes, les protocoles, les rites et les cultes…

 

L’écrit d’abord, l’imprimé ensuite, vont générer une culture de masse telle que la mémoire sera nécessairement dédramatisée dans ses enjeux vitaux.

 

Et l’on ne dira jamais assez les révolutions intellectuelles et sociales à l’œuvre en ce moment même, depuis le rouleau de cire, le film photographique, dans un monde interconnectée où le langage mais aussi l’image et le son sont capturables, reproductibles et immédiatement disponibles d’un bout à l’autre de la planète.

 

L’outil, l’idée, le savoir-faire, la connaissance sont à la portée de tous, et ce n’est qu’un début. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’on trouve encore des gens pour croire que les changements du monde ne sont dus qu’à la porosité des frontières et qu’il serait possible de faire marche arrière pour retrouver les villages de Pagnol et Giono. Les passéistes semblent ignorer qu’ils ont plus de différence culturelles avec leurs grands parents qu’avec celui qui, comme eux, est connecté au cyberespace, qu’il le fasse de Séoul, de Cambrai ou d’Agadir.


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