Michel Foucault parlait du ‘’corps disciplinaire’’,
soumis, assujetti pour obéir. Aujourd’hui, dans le travail, c’est la
psyché qui devient force utile, soumise et assujettie. Le management
transforme l’énergie libidinale en énergie rentable. Il transforme
l’angoisse, le plaisir, le stress en forces de travail, productives.
Les symptômes liés au monde du travail se sont donc déplacés.
Aujourd’hui, le symptôme principal est internalisé : c’est le stress.
Dans les années 70, primait la contradiction suivante : les salariés
adhéraient aux objectifs de l’entreprise, mais les refusaient comme
travailleurs. Aujourd’hui, cette contradiction s’est transformée en
paradoxe. Le salarié ne change pas de casquette pour s’opposer à
l’entreprise. Le salarié s’oppose à lui-même. Car
l’entreprise lui donne à la fois des ordres tout en lui proposant des
tickets psy, un coach, un séminaire, pour apprendre à gérer son stress, à
mieux vivre son travail. Implicitement, ce discours signifie
que c’est le salarié qui se vit comme responsable de son malaise, qu’il
n’a qu’à effectuer un travail sur lui, et que ça l’aidera à supporter la
situation. Ce discours permet de faire l’impasse sur les
transformations des organisations, du management, des relations, et le
stress qu’elles génèrent. Et le salarié, face à cette injonction paradoxale, ne comprend plus ce qui lui est demandé.
Il se retrouve dans une plainte permanente, car c’est le seul moyen
qu’il lui reste pour s’exprimer : il ne peut plus critiquer le
management, il ne peut s’en prendre qu’à lui, et son travail n’a plus de sens pour lui.
Pour différentes raisons. Il peut simplement ne plus rien comprendre au
but de son activité. Il peut aussi ne pas être d’accord avec ce qui lui
est demandé. Enfin, il peut estimer être évalué avec des outils qui
n’ont pas de sens pour, qui ne mesurent pas sa performance d’après lui,
par rapport à des critères qui ne correspondent pas à la réalité du
travail. Et ça le rend fou.
Prenez l’exemple des entretiens d’évaluation. Le
salarié doit toujours avoir des résultats au-delà des attentes. Il doit
faire mieux que mieux. L’idéal, l’excellence, c’est-à-dire ce qui est
hors du commun, devient la norme. On parle aujourd’hui d’ ‘’excellence
durable’’. Alors, forcément, certains cadres se dopent. On leur demande
du ‘’zéro défaut’’, de la ‘’qualité totale’’, de faire plus avec moins…
Ca n’a plus de sens.
Et ce n’est pas en réunissant les salariés en séminaires pour parler du stress que ça va les aider. C’est
en leur donnant les outils théoriques et pratiques qui leur permettent
de comprendre ce qu’il se passe : le décalage entre les objectifs et les
moyens, etc. Il faut permettre aux travailleurs d’être des sujets, de
donner du sens à leurs symptômes pour ne plus les subir. Il faut
discuter des conflits vécus, pour le comprendre, et envisager les
transformations des organisations nécessaires.
Il y a une vraie bataille idéologique derrière ce thème du stress au travail. D’ailleurs, il
vaudrait mieux parler de ‘’violence’’ que de ‘’souffrance’’ au travail :
cela permettrait de passer du discours de la victime à celui du
contestataire.