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Jean Platon Borda (---.---.9.42) 26 septembre 2005 15:29

Le SPRINT ELECTORAL

Au début de Juillet 2005, j’écrivis un article qui n’eut pas l’heur de plaire aux éditeurs. Ceux-ci estimaient en ce temps-là qu’il ne glorifiait pas assez le CEP. Il ne le glorifiait certes pas, mais il ne l’éreintait pas non plus. Il reposait sur quatre points fondamentaux qui, malheureusemnt, demeurent d’actualité.

1.- Les Inscriptions d’électeurs. Un calcul arythmétique élémentaire nous avait conduit à la conclusion que des inscriptions vraiment inclusives nous ameneraient inévitablement en Décembre 2005. 450 bureaux pour environ 4.5 millions d’électeurs, cela fait 10000 par bureau. Chaque électeur prenant 6 à 8 minutes pour remplir les formalités, en une journée de 8 heures soit 480 minutes, un bureau ne peut enregistrer que 60 électeurs. En combien de jours un bureau va-t-il inscrire 10000 électeurs ? 10000/60 = 166.66, soit environ 170 jours, soit à peu près 5 mois et demi. De la mi-juillet où l’on comptait 300000 inscrits, nous voici à la fin de décembre. L’enthousiasme verbal des membres du CEP ne pouvait tenir l’arythmétique en échec : cela se constate malheureusement aujourd’hui.

Au 20 Septembre 2005, le CEP se gargarise de l’exploit d’avoir inscrit 2.5 millions d’électeurs sur les 4 à 5 millions. On est content ; on s’achemine allègrement vers des élections honnêtes et démocratiques, et surtout inclusives et participatives. De ce CEP imprévoyant et aussi - il faut le reconnaître - gêné à nombre d’entournures, j’avais critiqué et je continue de fustiger l’optimisme irresponsable qui, dans un créole pédant « de français moderne », parle « d’acheminer l’offre de la carte électorale à portée des électeurs potentiels ou de livrer la marchandise au marché des demandes ». Pourtant l’organisme électoral avoue que plus de la moitié des sections communales sont dépourvues de bureaux d’enregistrement. L’évocation des « MOBILES » ne fait qu’introduire la note d’hypocrisie à la partition de la naïveté. Parce que, d’abord, la raison première de l’ostracisme qui frappait ces localités renvoyait à leur inaccessibilité. Par quelle magie sont-elles devenues brusquement perméables ? Parce que, ensuite, on connaît peu de cas efficients de ces déplacements de matériels. Ils arrivent sur les lieux vers 11 heures du matin pour repartir vers 12 ou 13 heures au constat d’un ciel chargé et sous la menaces des crues ou des ravines qui risquent de couper les chemins du retour à la ville. Bref, les 2/3 des sections communales sont exclues des prochaines élections. Et l’on se demande si ce n’est pas délibéré. Car, l’impression qui prédomine, c’est que le CEP lui-même est exclu. Il effectue un sprint éperdu pour ratrapper les décisions abracadabrantes des instances ... tutrices. Des renvois, des prolongations, des improvisations époustoufflantes... pour se ressouder, rien qu’un moment, aux réalités du terroir haitien et couvrir d’un vernis de décence cette forme de démission fôlatre qui nous a valu une formule d’inscription électorale qui répugne aux pays les plus avancés de la planète TERRE. Ne sommes-nous pas finalement contents d’aller bientôt voter avec des reçus ... électoraux : les cartes, avec nos jolies photos, peuvent nous arriver après les joutes. N’est-il pas permis de tout faire aux Haitiens, les parias de la terre, les cobayes de la mondialisation ! ! ! Bref ! ! !

2.- La gauche a beau jeu. Elle a porté Aristide au pouvoir. On l’aide volontiers à installer au Palais un nouvel échantillon sorti de sa boîte de Pandore. Certains vont jusqu’à constater que là où elle est faible, il n’y a pas de bureau... Pourquoi faire ? Le paysan haitien est conservateur. Il appartient traditionnellement à la clientèle de droite. On ne lui a pas installé de bureau d’inscription. Il est tenu dans les ténèbres extérieures. On va organiser des élections sans la gent paysanne du pays haitien. L’Autre dirait à 50 ans de distance : « Ils sont devenus fous » Quant au prolétariat urbain, il est largement enregistré. Pour bien s’en assurer, on a planifié des fêtes dans les quartiers populeux de la plupart des villes du pays. A une réunion avec le CEP, j’ai entendu un leader de la gauche conseiller vivement au CEP, confronté au déficit sur les listes électorales paysannes, de continuer la pratique des journées électorales. Il savait bien que celles-ci ne visaient point les sections communales, déclarées inaccessibles et dépourvues de toutes les commodités de la civilisation. On avait saisi les sous-entendus de sa démarche. IL avait poussé le cynisme trop loin... La tentative de manipulation était trop évidente. Coq trô fen pa bat ! Le CEP s’est abstenu. Tant mieux !

3.- A bout de souffle, sous la pression du pouvoir et le forceps de l’international, le CEP accouche d’un calendrier électoral. Un calendrier qui n’est en fait qu’une sèche succession de dates, sans créneau ni ventillation. Totale imprévoyance ! Dans la matinée du 5 Septembre, une voix du CEP apprend à la classe politique que c’est ce 5 que commence la période de dépôt de candidatures. Ah ! Tiens ! ! ! Et les candidats, comme des élèves en retard sur la route de l’école, de se lancer dans le marathon de la quête des extraits, des certificats et des récépissés... Au 21 Septembre 2005, on est encore au stade d’installer les BECs appelés à recevoir, du 12 Septembre au 26, dépôts pour les candidats aux Municipales et Locales. Eux aussi vont devoir courir à toutes jambes, contraints de sauter les haies ou les fourches caudines des déclarations d’impôts exorbitantes. En tout cas, un calendrier est sorti : un véritable miroir aux alouettes vers lequel les candidats, ivres d’ambitions et oubliant tout, sont venus se mirer et se blesser aux éclats de cette glace fragile qui n’a d’autre destin que de se briser. Elections en deux étapes à trois temps : les coureurs auront-ils assez de poumons et de souffle pour accomplir de telles performances olympiques ?

4.- Des élections qui devraient, dans l’espérance première de tous, nous conduire au bout du tunnel, menacent de nous enfoncer dans une crise bien plus profonde. Les haitiens n’ont plus le courage de prendre leur destin en main, à l’exemple de nos aïeux. Tous les candidats qui ruent dans les brancards de la compétition improbable sont convaincus que les élections, tel que programmées, ne peuvent pas être la panacée à nos maux séculaires. Au lendemain de ces joutes, nous allons continuer à nous entredéchirer sur les barricades de nos préjugés, de nos conflits sociaux, de nos antinomies nationales. Au lendemain, les vaincus s’évertueront à miner la légitimité des gouvernants, et les gouvernants à opprimer les libertés des opposants. Le mal est sans remède, si auparavant nous n’avons pas posé en toute honnêteté les problèmes réels de ce pays, dans des Etats Généraux, ou dans une Conférence Nationale ou dans un Dialogue National, pour l’émergence d’un Nouveau Contrat Social. Ces élections précipitées et opaques nous réservent des malheurs immenses. si au préalable nous ne sommes pas déterminés à faire comme l’Amérique de 1776, la France de 1789, les pays d’Afrique (Bénin, Sénégal, Afrique du Sud...) qui ont surmonté les turpitudes de leur histoire au prix d’un dialogue fraternel franc et sincère. Je ne parle pas forcément de ce dialogue national financé de l’Exérieur et dont les échos parcimonieux nous parviennent, aux pas lourds de sexagénaire, des coulisses feutrées du palais national, au gré des indiscrétions avares des commissions d’initiative ou des comités de pilotage... Je ne parle pas forcément de ce contrat social inondé de la poussière de ces Caravanes de l’Espoir qui sillonnaient nos routes cahotiques en de riches convois de voitures climatisées... Je parle de rassembler les représentants de tous les secteurs du pays en un forum de vérité, où l’on pourrait ensemble et une fois pour toutes vider nos contentieux séculaires, colmater les clivages, initier un processus réel et honnête de réconciliation nationale, élaborer une doctrine de salut public et un programme de régénération nationale imposable à tous et pour une période d’au moins 50 ans. Il faut prendre le temps de se regarder dans les yeux, de se dire les vérités, afin de se donner la main sur les routes de l’avenir. Autrement, nous aurons choisi de laisser des élections bâclées et nos 55 candidats-présidents émietter davantage la société haitienne et nous pousser dans l’abîme. A bon entendeur, salut !

Jean-Platon BODAR - 21 Septembre 2005. E-mail:jean [email protected]


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