Ce texte est réussi,
merci à son auteur. La littérature a cette vertu de nous mettre « à
la place de » pour faire sentir de plus près le mystère de la
nature humaine. Il ne s’agit pas ici de croire mais d’éprouver, de
se soumettre par la lecture à l’épreuve (et à la preuve) de la
sensation.
De toute façon, ce
co-pilote énigmatique est déjà devenu un personnage de fiction, un
coupable idéal ; il est traité comme tel par les médias, les
procureurs et enquêteurs, et par l’opinion publique manipulée.
Comme à l’ordinaire, un roman- feuilleton ultra-médiatisé nous est
servi comme biberon officiel, bâti sur des indices cachés (le
prétendu « secret de l’enquête » et le prétendu
« secret médical » : ils ont bon dos). Avec de
l’invérifiable, on nous fait penser ce qu’il est utile que nous
pensions.
Dans ces conditions, la
littérature - la vraie - a tous ses droits. La vérité romanesque
vaut bien celle des bonimenteurs de télévision ; elle vaut
même davantage. Le romancier veut faire vivre un personnage, le
pouvoir médiatique veut enfumer, nuance. Faire accroire, faire
avaler, tout cela dans un but qui n’est jamais désintéressé.
Dans quel but ? Se
poser la question c’est déjà y répondre.
Il est évident que deux
interprétations de ce drame seraient nuisibles aux dominants :
De ces deux
interprétations, la plus redoutée par le système n’est pas celle
du terrorisme. Le pouvoir politique nous a montré récemment qu’il
savait très bien exploiter la sidération populaire face aux crimes
dits terroristes. Qu’est-ce qui reste ? Faites la déduction
vous-mêmes.
Le système marchand
ultra-libéral mondialisé développe fièrement sous nos yeux sa
machine à sous de dernière génération : le transport low
cost. Il s’agit de transporter des pauvres en exploitant des
travailleurs précaires, et en affichant un mépris ricaneur pour
toutes les législations du travail et de la sécurité. Quant aux
transportés, n’en parlons pas : rien n’est compris dans le pris
du billet, à part le mouvement de l’avion, on a vu jusqu’où. Ces
compagnies hors-la-loi sont fières de gagner beaucoup d’argent de
cette façon, et elles ont des raisons de l’être, vu qu’elles sont
l’emblème du système global qui veut que le grand nombre (les
pauvres) enrichisse perpétuellement le petit nombre (les riches)
grâce au trucage des échanges appelé « commerce ».
Cet accident est un
scandale, oui. Mais ce n’est pas la faute d’un co-pilote endormi ou
dépressif.
En truquant le jeu, des
compagnies-voyous ont réussi à ce que leurs pilotes apparaissent
comme travailleurs indépendants ! Quand ils ne sont pas en vol,
ils ne gagnent rien. Leur temps de repos n’est pas rémunéré, ni
leur hôtel payé. Pour leur formation, ils ont d’abord dû payer
30.000 euros. N’étant pas des salariés, ils n’ont aucune protection
sociale. Leur santé est à leur charge. L’arrêt-maladie ne leur donne
droit à aucune indemnité, sauf s’ils ont cotisé à une assurance
privée entièrement à leur charge.
Dans ces conditions, le
pilote (comme les autres employés) va au bout de ses forces. Même
fatigué ou malade, il va au travail. Et s’il s’endort sur son siège,
on sait pourquoi. Et si son souffle de dormeur est enregistré dans
la boîte noire, on n’a pas à s’en étonner. Une grande saleté est
passée sur lui, une grosse broyeuse mécanique, qui s’appelle le
libéralisme avancé. Voilà le coupable !