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Nycolas 19 janvier 2016 17:23

Encore un autre point de vue. Dans les années 90, je faisais mon service d’objection de conscience. Mon oncle avait pas mal d’exemplaires de hara kiri chez lui, et je connaissais Charlie Hebdo sans le lire, rebuté par la laideur criarde des dessins qui heurtaient mon sens du beau. Par ailleurs, je ne trouvais pas que ces journaux apportaient quoi que ce soit en terme de réflexion, et j’étais bien conscient que c’était de l’irrévérence pure et gratuite, « assumée » mais dans une attitude sciemment irresponsable et bête et méchante, qui étaient les termes par lesquels ces journaux se revendiquaient eux-mêmes.

Lorsque j’ai entamé mon service d’objection de conscience, j’ai naturellement côtoyé d’autres objecteurs, et si je ne me faisais guère d’illusion sur le fait que ces gens là représentent un moralité ou encore moins une intellectualité supérieure, je n’ai pas été déçu de voir qu’ils lisaient Charlie Hebdo comme on lit le journal du diocèse.

Un jour, l’un d’entre eux, probablement nourri à ce sein infantile, éternellement immature, remarque que je porte des chaussures à coque (bon marché, en l’occurrence) et me dit « tes chaussures, elles font pas très objecteur ».

Dans cette remarque imbécile, tout est résumé. L’humour piètre de Charlie, la caricature qui, loin d’élever l’esprit hors des dogmes et des idées reçues, participe à l’y enfouir. Mes chaussures lui évoquaient des « rangers » de militaire, alors que les punks en portent... Bon, il faut admettre que je ne m’identifiais pas plus aux punks qu’à cette frange d’idéalistes devenant objecteur non parce que c’était leur conviction profonde, mais parce que c’était cool.

Charlie ne m’a jamais fait rire, mais ne m’a jamais fait pleurer. Leur humour n’est ni drôle ni triste, et rire de leurs blagues relève plus du réflexe comme un pet ou un éternuement, et tout ce que je leur accorde, c’est le mérite d’exister. Il faut bien que des gens, quelque part, s’attaquent à tous les tabous. Il faut des bouffons à toute société plus royaliste que le roi.

Je l’avais dit il y a un an : les bien-pensants ont récupéré Charlie, et leurs blagues d’ados attardés qui ne faisaient rire qu’eux et leur clique avant, les autres n’en entendant jamais parler, parviennent jusqu’à d’autres qui, forts de leurs esprits étroits et réactionnaires, font la grimace, ou hurlent qu’ils ne savaient pas que Charlie, c’était ça...

Charlie, ça a toujours été ça, et même si je n’aimais pas et n’aime toujours pas, et même s’il y a eu l’épisode Val-Fourest, je leur rends grâce d’être demeurés dans leur impertinence, toujours la même. Celle qui me fait pouffer de rire une fois sur 10, et m’indiffère tout le reste du temps. Leur humour est lui-même un rot à la face de la bien-pensance, et c’est ce qu’il a toujours été, et en ce sens, la laideur de la chose peut tout à fait satisfaire l’éternel ado qui sommeille en chacun de nous, seulement ce torchon n’a jamais rien apporté réellement à la pensée. Leur seul mérite, y compris pour ce dessin qui choque jusque dans ces colonnes, est leur subversivité, qui est réelle. Je ne vais pas perdre mon temps à analyser ce dessin qui n’en vaut pas la peine, mais il n’en est pas moins vrai que notre époque qui sacralise outrancièrement les enfants oublie souvent que tout criminel de guerre, meurtrier en série, tout violeur, tout pédocriminel, tout bourreau, tout trafiquant d’être humain et tout BHL de la planète a un jour été un joyeux et probablement adorable bambin ayant pu attraper la varicelle, ayant été soigné et aimé par ses proches pour pouvoir devenir l’ignoble adulte qu’il est devenu.

Le mérite de la subversivité par la provocation à la charlie/hara kiri est de bouleverser les codes, les idées fausses et préconçues, les dogmes, les certitudes, y compris les idéaux. Seulement, ils l’ont dit eux-mêmes, il est difficile d’être aimés par des cons, mais pour être aimé par des cons, il faut l’avoir voulu, avoir montré des signes de compatibilité avec la connerie, et ça, ils l’ont fait.

Comme l’illustre la remarque d’un objecteur concernant mes chaussures, Charlie n’a jamais élevé la pensée, il l’a toujours maintenue sous la ceinture et parfois au raz du sol, comme quoi la bouffonnerie assumée comme irresponsable n’aboutit en tout et pour tout qu’à une culture de l’idiotie et de l’irresponsabilité. En cela, il faut aussi faire notre auto-critique. Charlie Hebdo n’est pas qu’un « ovni journalistique » comme certains veulent bien le dire, c’est aussi un des signes, à la fois cause et conséquence, de la médiocrité de notre temps, qui est cultivée en temps réel par les médias incluant la télé.

De là, s’étonner que Charlie soit médiocre en soi, et produise de la médiocrité est... un signe de médiocrité.


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