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Bérenger 3 septembre 2007 11:13

Je crois qu’on n’est jamais informé que sur ce qui nous intéresse, selon les sources qu’on se choisit en fonction de sa propre sensibilité, de ce qu’on a d’abord envie d’entendre, qu’il s’agisse des blogs, des médias parallèles, alternatifs ou de ceux que l’on qualifiera d’officiels.

Je sais des braves gens qui, à longueur de matinée, écoutent leurs semblables réagir « à chaud » sur l’actualité par le truchement de la ligne surtaxée de RMC INFO et du bagou lénifiant de son animateur-journaliste-vedette. Cette radio, ils n’en décrocheraient pour rien au monde car elle est la seule à dire tout haut ce que « tout le monde » pense. Cette radio sévit dans beaucoup de bistrots et de petits commerces. Elle se veut le reflet de l’opinion de la « France d’en bas » sur tout ce qui fâche, sépare, fédère les braves gens, cimente ou détruit leur petit monde. En fait elle n’informe pas, elle fabrique des parts de marché à partir d’une matière pas chère et rentable, l’opinion populaire. Si cette radio informait réellement, dans le sens le plus pointu, le plus documenté, le plus froidement objectif du terme, l’écouterait-on ? Je ne le pense pas, parce que d’après moi, la plupart de nos semblables se foutent de savoir ce qui se passe vraiment dans le monde qui les entoure. Seul les intéresse ce qui touche à leur petite vie, et ce dans quoi ils peuvent trouver matière à projection de leur narcissisme. Pourquoi voulez-vous qu’on s’étende des heures sur la voiture piégée qui a tué deux cents personnes à Tikrit, quand le téléspectateur préfère qu’on lui parle des vacances de son idole du moment dans un coin perdu du New Hampshire ?

A part quelques vieux croûtons liquéfiés du bulbe, personne n’est encore dupe aujourd’hui de la validité de l’info dispensée au JT, n’importe lequel. Sachant quel est le niveau de collusion entre les intervenants, les chaînes qui les emploient et les pouvoirs en place, c’est en connaissance de cause, en toute conscience qu’on se laisse vendre du non-évènement trafiqué, frelaté, mis en scène et complaisant. A ce stade-là, on ne peut même plus parler de propagande idéologique. C’est de la caricature pure et dure, qui a plus à voir avec la série des « Gendarmes » qu’avec le bourrage de crânes. L’ubiquité de tel président jogger, ses attitudes d’acteur calculées comme pour séduire un public plutôt que des administrés ; l’accent mis sur le caractère bon enfant du sport et des sportifs, cette camaraderie de façade dans une sorte de vaste cour de récréation où on se balance des vannes avec l’accent et où on se tape les endosses en s’efforçant de ne pas avoir l’air de trop se prendre au sérieux ; les pauvres qu’on nous montre sous des traits néandertaliens, comme jadis les cirques montraient des négresses callypiges, et qu’on nous présente qui comme une faune parasitaire qui comme des exemples de rédemption (parce qu’ils « acceptent » des stages, « font des formations », « veulent s’en sortir ») ; ces micro-trottoirs où les gens du commun ont des allures si communes, c’est à dire si ordinairement moches, et qui ne semblent capables que de proférer lieux communs et banalités sur les choses communes et banales qui composent l’ordinaire des micro-trottoirs, comme pour pour nous incliner à faire la comparaison entre eux et les people, cette élite médiocrasse éternellement jeune et désinvolte, avec ses filles à la plastique irréprochable et ses minets aux silhouettes élancées. Voyez comme vous êtes, regardez ce qu’ils sont.

Et je m’en tiens là aux exemples les plus significatifs.

Alors oui, s’abstraire de ce monceau d’ordures pour lire des essais, des romans, voir des spectacles dont on ne nous matraque pas les promos, tâter soi-même du réel en le parcourant à pied, tenter d’y comprendre quelque chose avec le recul que confère l’exil, géographique ou intérieur. Faire abstraction de ce qui est dit, commenté, expliqué de source officielle. Car au fond on n’est jamais informé. Apprendre en léger différé qu’il s’est passé quelque chose de terrible à New York un 11 septembre 2001 n’implique pas que l’on sache ce qu’il en est du pourquoi du comment du 11 septembre 2001, comme de l’explosion d’AZF à Toulouse dix jours après. Je sais qu’il s’est passé ceci, mais je ne saurai sans doute jamais pourquoi cela s’est passé. Je ne suis donc jamais véritablement informé. Et le serais-je, cela me donnerait-il davantage de prise sur ces évènements ?

C’est là que s’exprime un conflit entre stoïcisme et indifférence. On peut se dire qu’on s’en fout, que le monde peut tourner sans nous, qu’on ne peut rien y faire, que c’est comme ça, que les gens sont ceci ou cela. Et se replier sur soi, son propre quotidien, là ou on est. Dont on ne sait rien de plus, là encore, sur quoi on n’est pas plus informé. Car la presse locale, à part les accidents de la route, les fêtes patronales, l’Etat-Civil, les petites gloires autochtones du sport et de l’art, que nous dit-elle de ce qu’on aimerait apprendre des questions d’intérêt général tels que le pourquoi du choix de telle compagnie plutôt que de telle autre, fait par une municipalité pour ce qui concerne la distribution de l’eau ou le ramassage des ordures ? Et des implications de pareils choix en termes de coût pour la collectivité ? Pourquoi la ville voisine a t-elle choisi de se doter d’une régie municipale autonome, et pourquoi la nôtre a préféré se joindre à une communauté de communes favorable à des options disons libérales ? Et quand bien même cette presse locale remplirait-elle le rôle que nous aimerions lui voir tenir, qu’est-ce que ça changerait à l’augmentation annuelle de la TEOM ou de l’abonnement forcé à la compagnie des eaux choisie par le conseil municipal de la ville, du village où on est ?

Rien, puisqu’on est désespérément seul à râler dans son coin.

J’ai le sentiment que cette solitude que nous pouvons ressentir devant les évènements ici ou là bas, et la sensation de flou écoeuré que l’on peut retirer à côtoyer l’information sont deux phénomènes liés. Que je sois informé ou désinformé, c’est toujours en vain. Quoi qu’il se passe, que cela me passionne, me fascine, m’indispose ou m’indigne, je suis seul avec ça. S’il peut y avoir échange autour de ce semblant de fragment de réel supposé, ce sera pour meubler, comme on parle de la pluie et du beau temps. Cela n’est porteur d’aucun projet, ne saurait suffire à fédérer autour d’une action. On en parle pour se dire quelque chose mais ça ne va pas plus loin, et on passe bien vite du stoïcisme à l’indifférence.


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