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En réponse à :


Alienor Alienor 12 octobre 2007 15:25

@Walden

Merci pour votre réponse très développée. Il y a plusieurs choses très intéressantes dans ce que vous soulevez sur lesquelles je souhaiterais revenir. Lorsque je vous lis, je ne comprends pas que vous défendiez un point de vue aussi différent du mien car il me semble que nos conceptions sont en fait assez proches.

Je crois, dites moi si je me trompe, que vous défendez une position subjectiviste revendiquée. Quant à moi, j’essaye de me placer sur un plan peut-être plus général. J’aurais tendance, subjectivement à être d’accord avec vous (une toile vierge exposée, c’est un peu du foutage de gueule). Cependant j’estime que mes propres goûts ne doivent pas être érigés en critère universel de jugement artistique, et donc j’estime que, même les oeuvres que je n’aime pas ont le droit d’exister, et je défendrais ce droit, pour plusieurs raisons :

- La première et la plus évidente, c’est que je ne suis pas seule au monde, et que certaines personne peuvent apprécier ce travail, donc je ne vois pas de quel droit je me permettrais de les priver de ce plaisir, même s’il est différent du mien.

- La deuxième c’est que mes propre goûts changent, évoluent, et qu’un jour, parce que j’aurais lu tel ou tel livre, parce que j’aurais vu tel ou tel oeuvre, j’apprécierai peut-être ce monochrome. Lorsque j’étais plus jeune par exemple, je détestais le cubisme parce que je trouvais ça moche, mais lorsque j’ai compris le cheminement intellectuel qui y a avait mené, je n’ai pu m’empêcher d’admirer la beauté et l’ingéniosité de l’idée.

J’ai compris aussi qu’il y a plusieurs façon d’aimer une oeuvre d’art : l’une d’elle est instinctive, émotive, subjective et immédiate, à la première seconde on est époustouflé, cette façon d’apprécier une oeuvre est commune à tous les êtres humains. L’autre est plus lente et plus intellectuelle, elle demande une certaine connaissance et de la maturation, la meilleure comparaison que je puisse faire est celle d’un oenologue qui apprécierait les saveurs les plus subtiles d’un vin. On comprend à quoi l’oeuvre fait écho dans l’histoire de l’art et quelles problématiques elle tente de résoudre. C’est le plaisir de l’émotion ou le plaisir intellectuel, et il est fréquent que les deux cohabitent dans une même oeuvre. Aucun n’est supérieur à l’autre d’ailleurs.

Lorsque vous dites « elle apporte, quel qu’il soit, un sens à ce qui en était dépourvu, puis, je l’espère, une vie esthétique », je trouve que vous allez un peu vite en besogne. Qui vous dit que le tableau de Cy Twombly n’en avait pas ? Moi je vois mille sens possible à une toile vierge, et j’aimerais savoir ce que lui même en dit et comment il justifie son oeuvre. Je vous donne un exemple de la signification possible d’une toile blanche (que j’invente, hein, je ne connais pas le discours de Twombly, d’autant que sa toile fait partie d’un ensemble) : Permettez moi de vous citer : « L’art ne pourra jamais atteindre à la perfection de la nature car il est par essence artifice. Il prétend fixer le Beau dans une forme donnée et illusoire, alors que la pure harmonie de la nature réside en son évolution permanente. Or la peinture la plus réussie, la plus magnifique photo où la représentation filmée d’un coucher de soleil ne procurera jamais une émotion aussi vraie que la perception du phénomène lui-même. » Une toile vierge peut très bien signifer ce que vous venez de dire : l’incapacité de l’art à faire mieux que la nature, l’artiste, s’avouant vaincu, décide alors de livrer une toile vierge montrant son incapacité à dépasser la beauté du monde réel. Ce serait une jolie idée, non ? smiley

Sinon, je voudrais revenir sur un point de détail sur lequel je ne suis pas d’accord : « Il n’en va pas de même de »l’oeuvre« d’un contemporain, surtout si elle demeure encore dans le ressort du privé. » De nombreux chef d’oeuvres classiques appartiennent encore à des collections privées. En outre une bonne partie des oeuvres des musées publics sont des legs de collections privées et nous avons des chances de voir un jour l’oeuvre de Cy Twomly au centre Pompidou qui en possède d’ailleurs une toile. De plus il existe de nombreux musées privés, créés par des collectionneurs désireux de faire partager au public leurs collection (le musée Jacquemart-André à Paris par exemple). Enfin, il ne faut pas décourager les collectionneurs privés a réaliser des expositions publiques comme ce fut le cas pour le tableau de Cy Twombly. Ce baiser va instaurer la méfiance des collectionneurs et j’ai peur qu’à cause de cet incident, certaines toiles ne sortent plus jamais du domicile de leur propriétaire qui auront peur qu’elle soient détériorés. Quel dommage, pour nous tous, qu’à cause d’un geste irréfléchi, de nombreuses oeuvres deviennent désormais inaccessibles au regard du commun des mortels.




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