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Forest Ent Forest Ent 18 mai 2008 14:26

Ce n’est effectivement pas un sujet facile. Je dois honnêtement rappeler que je n’y connais rien. Mon métier ne touche la finance et l’économie que de manière très indirecte. Mais je pense aussi que les formations scientifiques permettent mieux de comprendre certaines choses compliquées que celles des journalistes.

Et puis sur AV on n’a pas de pression des annonceurs. J’ai été surpris de voir combien peu de journaux avaient repris l’info du "canard" sur l’huile de moteur dans celle de tournesol. En fait, je n’ai vu que le "figaro". La pub agro-alimentaire a son effet. C’est pareil en finance : il n’y a aucune analyse fiable dans "les échos" ou "la tribune". Par contre, les faits élémentaires cités sont en général exacts.

Cette crise est différente des précédentes, parce que c’est non seulement une crise de surendettement comme en 1930, mais également une crise des produits dérivés, qui étaient marginaux à l’époque.

tout ce pognon, il vient d’où ?

Ce ne sont que des broutilles à l’égard des vrais enjeux. Pour l’instant, les provisions des banques peuvent être couvertes par du cash libre. Il vient surtout d’acteurs institutionnels qui ont accumulé des excédents de dollar et les convertissent, des "fonds souverains" de Chine, du Golfe, ... Mais ça ne durera pas éternellement. Il doit y avoir au plus 2 T$ de dollars "libres" sur la planète et c’est très insuffisant. Si tous les pays qui ont accumulé des créances sur les US sous forme de monnaie les échangent contre du capital US, ça n’éponge largement pas la dette excessive US (au moins 20 T$). De plus, si elles le font rapidement en même temps, ça tue le marché, le dollar, et annule leur valeur.

de toutes ces pertes liées à la crise financière, combien sont dues à des annulations de profits potentiels enregistrés dans les périodes précédentes mais jamais réalisés ?

Difficile à dire. Les "pertes" dont vous parlez sont en pratique des "provisions pour dépréciation d’actifs". Elles sont tout aussi subjectives que les "profits potentiels enregistrés".

Je sais que vous pensez, comme M Verhille, qu’il existe une certaine valeur objective d’un bien, qui permettrait ce genre d’évaluation. Même si c’était vrai pour une bulle boursière, dans le cas des subprimes, en cas de forclosure, les banques se retrouvent avec de l’immobilier réel sur les bras. Combien vaut-il et combien doivent-elles provisionner de perte là-dessus ? L’IFRS dit qu’il faut évaluer à la valeur de marché ("fair value"), seulement il n’y a pas de marché, ou si erratique ... La "fair value" suppose qu’il existe un marché liquide. En période de crise, elle ne fait qu’exacerber le phénomène, et ramener toute valeur à 0, ce qui est excessif.

Mais venons-en à l’originalité de la situation. Aucune banque n’est plus titulaire directement de l’entièreté d’une seule créance. Les créances sont regroupées en paquets, qui sont à leur tour découpés en tranches revendues pour être incluses dans d’autres paquets, etc ... Presque tous les risques de défaut de paiement d’un débiteur sont ainsi revendus sur toute la place. Toutes les grandes banques mondiales sont ainsi totalement et inextricablement liées entre elles par un partage général de tous les risques, partage dans lequel des acteurs plus petits prennent des parts plus petites.

Mais en plus les banques peuvent "parier" sur ces risques plus que le risque lui-même. On arrive ainsi à une situation paradoxale où, comme les paris sur les actions représentent plusieurs fois la valeur des actions, les paris sur les défauts de paiement (appelés CDS pour credit default swap) représentent plusieurs fois la valeur des créances. Or là-dessus les banques ne se rémunèrent qu’à la marge : l’ensemble du système a un effet de levier important.

Ce système a été vu longtemps comme vertueux. En effet, les risques étant mutualisés sur toute la planète, aucun risque individuel ne menace le système. Celui-ci n’est plus vulnérable qu’au "risque systémique", dont beaucoup d’acteurs pensaient qu’il n’existait plus, en particulier les neocons.

Mais ce système pas nécessairement aberrant a été vérolé par le comportement du seul pays qui en avait les moyens. Les US y ont introduit une proportion significative de dette aberrante et ils n’en ont pas évalué honnêtement le risque en usant d’arguments d’autorité du style "on sait ce qu’on fait, on est les meilleurs". Ils ont été suivis par l’essentiel du monde anglo-saxon, à moins que ce ne soit finalement une invention anglaise.

Ce que l’on constate actuellement, c’est que l’ensemble du système financier est contaminé. Personne n’échappe au risque puisqu’il est dilué partout (ABS, CDS, LBO, ...). Et personne ne peut l’évaluer sainement, car il n’y a plus d’acheteur. Donc les banques peuvent provisionner indifféremment 5, 50, 500, 5000, personne n’en sait rien. Le système est gelé. Ce qui empêche l’évaluation saine est que personne ne peut démontrer ce que sera l’économie réelle une fois la bulle résorbée. Le système essaie de survivre sans trop de casse avec des dépréciations symboliques en attendant que les choses se clarifient. Les états essaient de les y aider en leur prêtant tout le cash nécessaire pour passer chaque fin de mois.

La limite arrive, comme on l’a vu pour Bear Sterns, quand une banque n’arrive plus à payer ses "appels de marge", c’est à dire ses acomptes pour pertes réelles futures. La réaction US a été claire : si une grande banque tombe, tout le système des dérivés disparait, car une seule grande banque porte en encours de dérivés plus que la dette mondiale. Donc l’état US a repris au nom du contribuable les créances douteuses de Bear Sterns, JP Morgan n’en ayant bien évidemment pas voulu. La nationalisation des pertes a commencé.

Jusqu’où le contribuable pourra-t-il aller ? Je n’en sais rien. Je pense que les gouvernements non plus. Pour l’instant tout le monde prie pour que ça se tasse, c’est à dire que l’économie réelle survive à la finance. Si elle y arrive, elle aura du mérite, car amha la finance a fait ce qu’elle pouvait pour enlever tout sens et toute logique au business.


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