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Naja Naja 4 décembre 2008 00:29

Je conclurai par le récit du stupéfiant échange que j’ai eu avec une ancienne juge d’instruction, lors du cocktail de fermeture du colloque évoqué dans mon précédent commentaire (il fallait bien ça). Elle débattait de la prescription avec une autre personne et je suis arrivée au moment où elle avançait justement l’argument de l’absence de preuves matérielles après un certain nombre d’années.

"Mais de quelles preuves matérielles parlez-vous au fait ?", lui ai-je demandé.
"Les analyses ADN, les traces de spermes, les éventuelles lésions.."
"Quand il y en a... Vous êtes d’accord pour dire qu’après quelques mois, il ne reste rien de tout cela ?"
"Quelques mois ? Non, pensez-vous, deux semaines tout au plus ! "
"Ah ! Pensez-vous qu’il faille réduire le délai de prescription à deux semaines alors ?"
".... Mais il y aussi la question des reconstitutions des scènes de viols. Si la victime dit « j’ai été violée dans telle ou telle pièce, sur la table de la cuisine et dans le salon » par exemple, il faut pouvoir se rendre sur les lieux et vérifier si la description concorde par exemple."
"Vous réalisez le décalage qu’il y a entre votre discours et notre réalité ? Abusés pendant des années, ce n’est pas comme si l’on pouvait se rappeler précisément qu’on a été violés x fois sur la tables de la cuisine et y fois dans la voiture..."

A ce point, Madame la Juge a radicalement changé de discours. Elle s’est mise à parler déni de survie de la la victime, amnésie post-traumatique, meurtres psychiques. Elle nous a expliqué (merci pour l’info) qu’en réalité, il était parfaitement logique et normal que les victimes de sévices pédosexuels ne puissent se rappeler distinctement des faits, surtout quand les abus avaient été répété pendant plusieurs années. A son avis de juge d’instruction, plus les souvenirs de la victime sont imprécis, partiels et confus, plus celle-ci est crédible. Elle a même ajouté :
"Vous savez, j’ai été juge d’instruction pendant 10 ans. Et en 10 ans, je suis persuadée qu’aucun des plaignants que j’ai reçus ne mentait. Ah si, une seule. C’était une jeune fille de 16 ans amoureuse de son prof de lycée, frustrée d’avoir été éconduite. Elle a craqué et fondu en larmes et en demandant pardon au premier entretien avec moi. Pour toutes les autres, j’ai l’intime conviction qu’elles disaient vrai, mais en l’absence de preuves matérielles j’ai souvent dû prononcer des non lieux. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai arrêter d’exercer ce métier, c’était trop dur pour moi. (!)"

Bref, elle nous a montré par là qu’elle savait pertinement de quoi il retournait et que les arguties qui précédaient n’étaient que la récitation de son petit précis de défense des inepties de la stricte application du droit positif.
Je me suis demandée si allait décider soutenir la pétition contre la prescription. Mais non, son argument final était le même que celui précédemment entendu :
« C’est protéger la victime que de l’empêcher de demander justice »
(... une justice que la justice se sait incompétente à mettre en oeuvre alors ?)

Quand cessera-t-on de vouloir à notre place en prétendant savoir mieux que nous ce que nous sommes et ce dont nous avons besoin ?

Ce que je comprends de ces échanges et de la réflexion que j’ai menée à ce sujet, la question de la prescription met en lumière les difficultés qui se posent à la justice pour le traitement de toute plainte pour viol ou agression sexuelle... mais qu’elle peut confortablement ignorer en l’absence de débat public.
Je conçois que reconnaître que la plupart des pédocriminels sont intouchables du fait du fonctionnement de l’institution judiciaire soit une position inconfortable pour le législateur et le magistrat. Mais si la justice choisit d’ignorer le respect de l’équité par facilité et paresse, c’est bien la preuve qu’il y a un grave problème.
 


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