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Bruno Moldave 6 mars 2006 18:35

DADVSI, SACEM et licence globale : Pourquoi tant de trouille

A peine rentré d’insouciantes vacances, je retrouve le Landerneau musical plus en zizanie encore qu’il y a deux mois ! J’avais il y a peu osé un article, http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=5933, intitulé « SACEM et licence globale : Petitgirard/Lemesle, pourquoi tant de haine ? » qui réagissait à un billet anti-licence globale de deux membres de l’Etat-Major de la SACEM.

Il me faut ici remercier Agoravox : le média citoyen a fonctionné, puisque un des intéressés, M. Petitgirard, m’a répondu, et de manière assez prolixe. C’est le signe que la blogosphère et les « médias ouverts » commencent à prendre un véritable essor, puisque le quidam y obtient des réponses du notable qu’il interpelle. Ceci m’incite à récidiver ! C’est par respect pour Agoravox que je fais ici ma « réponse à la réponse ». N’hésitez pas à vous reporter à l’article original si cela vous paraît abscons.

« Qu’il est facile d’asséner autant d’affirmations en utilisant les chiffres pour leur faire dire ce que l’on veut. », commence M ; Petitgirard : j’avais en effet souligné que seuls 19% des revenus de la SACEM dépendent du disque. Même si le disque était réduit à néant par la LGO (ce qui est peu probable même à moyen terme...) la SACEM compenserait cette perte largement par les revenus de la licence.

Ce début de réponse de M. Petitgirard est la seule remarque qui m’ait un tant soit peu mis en colère : les internautes écrivent avec les chiffres disponibles sur Internet. S’ils sont disponibles, c’est pour qu’ils soient lus, et donc interprétés. M. Petitgirard doit en tirer les leçons qui s’imposent : sur Internet, chacun s’expose à être « interprété » par l’autre, et la SACEM n’y fait pas exception. S’il juge mes analyses incomplètes, c’est peut être que les chiffres publiés par la SACEM sont eux-mêmes très, très incomplets. Ce manque de transparence chronique est d’ailleurs coutumièrement dénoncé, les critiques les plus récentes provenant de la Commission de contrôle des sociétés de perception et de répartition de droits. Les paroles de sociétaires mécontents de la qualité de l’information qui leur est transmise par l’état major ne sont pas rares sur Internet (http://saceml.deepsound.net/lettre_sacem.html), et il faut relire, si besoin était, le livre enquête « main basse sur la musique » de Irène Inchauspé et Rémi Godeau (CR de lecture sur « m-la-music » ici : http://www.m-la-music.net/article.php3?id_article=411), pour constater les énormes progrès que la SACEM a encore à accomplir pour être véritablement au service de chaque auteur et compositeur, et pas uniquement de ses principaux administrateurs, organisateurs et cadres dirigeants, que président de la Commission de contrôle Jean Pierre Guillard juge largement surpayés.

« Indiquer par exemple que 60.000 sociétaires ne touchent rien et que la Sacem est bien contente de prendre leur cotisation... Mais cher Monsieur, l’enregistrement des œuvres de ces compositeurs dans les bases de données avec la documentation que cela représente coûte beaucoup plus que leur cotisation. »

Le modèle d’affaire de la SACEM est de retenir une partie des sommes des droits d’auteurs qu’elle collecte pour financer son fonctionnement. La perception de droits d’inscription est déjà une entorse à ce modèle : ils n’ont pas du tout vocation à couvrir les frais que représentent l’inscription de leur nom et de leurs œuvres au catalogue. Il est mille fois normal que l’enregistrement administratif coûte davantage que ce que versent les auteurs. Ce sont les œuvres qui sont censées rapporter.

« Prendre la somme globale répartie de 578 millions et la diviser par 109.000 sociétaires, c’est tellement stupide que je ne commente pas. Cela a déjà existé dans le passé, on sait où.. Au passage vous oubliez le reversement aux sociétés étrangères, les éditeurs... »
Ici, M. Petitgirard répondait à une de mes remarques : « Macroéconomiquement, » disais-je, « la composition et l’écriture de paroles n’est pas financée par les droits d’auteurs. Si les 578 M€ distribués par la SACEM en 2004 avaient été répartis uniformément sur ses 109 000 sociétaires, cela rapporterait 5300 euros à chacun, soit quatre mois de SMIC ». Je n’ai en aucun cas suggéré que ce serait la meilleure manière de répartir les revenus !

Je rappelais que macroéconomiquement, même si toutes les sommes allaient aux auteurs et compositeurs français, cel ne suffirait pas à les faire vivre. Or, M. Petitgirard plaidait, dans un article précédent que «  Le droit d’auteur constitue presque toujours l’unique revenu des auteurs et des compositeurs [...] qui ne bénéficient, à la différence des artistes interprètes, d’aucune indemnité au titre du chômage [...] La grande notoriété de certaines têtes d’affiche ne doit pas faire oublier l’extrême précarité dans laquelle vit la majorité des auteurs ». Qu’est-ce que ceci sous entend ... qu’un auteur qui se respecte ne doit vivre que de ses droits d’auteurs, et passer sa journée à composer et écrire ? Auquel cas, il y en a bien peu, et M. Petitgirard n’en fait pas partie. Et qu’entend-il par précarité ? De quelle « majorité des auteurs » M. Petitgirard parle-t-il donc ? Des 96000 qui touchent moins que le SMIC en droits ? Ou peut-être veut il dire qu’une majorité des 3000 auteurs gagnant davantage que le SMIC a une situation très précaire. Ce qui signifie que les plus riches sont immensément riches ? M. Petitgirard ne répond pas à la question clef : de quoi vivent les auteurs ? Et plus fondamentalement : quand il pense « aux auteurs », à qui pense-t-il ?

Qu’est-ce qu’un compositeur ou un auteur ? Est-ce quelqu’un qui passe sa journée à composer des jingles pour la télévision ? Ou le fils du compositeur d’un « tube » unique qui passera toute sa vie à en gérer les droits (je pense souvent à la famille de Henri Martinet, compositeur oublié de « petit papa Noël »...) ? Ou le compositeur acharné de musique orchestrale, qui vit d’enseignement musical ou de petits cachetons d’interprètes, mais réussit bon an mal an à faire jouer une ou deux de des compositions par an devant un public très averti (c’est à peu près le cas de tous les compositeurs contemporains...) ? La réponse c’est : un peu de tout. Mais la vraie question c’est : quel type d’auteur et compositeur cherche-t-on à favoriser ?

De quoi vivent vraiment les auteurs aujourd’hui ? J’aimerais que les députés aient la réponse mais aucune étude sérieuse n’a été publiée, alors que la SACEM aurait les moyens d’en commander une (ce qu’elle a peut être fait, mais sans la publier)... Toujours est-il que le droit d’auteur ne peut mathématiquement faire vivre tous les auteurs.

Je n’ai pas oublié non plus qu’une très grosse part des 578 millions d’euros que répartit chaque année la SACEM partent vers l’étranger. On ne peut que formuler des hypothèses, tant le rapport annuel Sacem est flou sur ce point. Je table sur un petit 60%, en me disant que la musique française représente, grâce à la loi sur les quotas, 40% de ce qui se diffuse, le reste étant largement anglo-saxon. Il resterait donc 231 millions ? Eh bien cela fait encore moins à se répartir sur 109000 personnes.

Je n’ai pas non plus oublié les éditeurs ! Comment oublier ces acteurs au rôle assez incertain et parfois si décrié ! Mais là encore, le rapport de la SACEM ne précise pas grand chose. On ne peut que supposer qu’une grande majorité des auteurs et compositeurs qui « touchent » sont sous contrat d’édition... lesquels contrats s’arrogent le plus souvent en France 50% des droits ! Ceci signifie-t-il que sur ces 231 millions, seuls 115 arrivent dans la poche des auteurs et compositeurs ? Je trouve que nos députés ont droit à cette information.

Le droit d’auteur, ce ne serait donc que 115 millions d’euros ? Eh bien, pour vous donner un ordre d’idée macroéconomique de ce que représente cette somme (et pas collectiviste !), ceci signifie le salaire net annuel de 5000 personnes payées au salaire moyen français. Ou moins de un SMIC pour chacun des 109000 comptes...

Voici donc un fait : le droit d’auteur n’est pas la source principale de revenu de la grande majorité des auteurs et compositeurs inscrits à la SACEM. C’est au mieux, pour la grande masse, un revenu d’appoint.


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