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Bruno Moldave (---.---.232.122) 10 janvier 2006 18:20

Ce qui est rigolo dans le débat DADVSI est que chacun voit midi à sa porte.

Soit dit en passant, je ne « veux » pas particulièrement de licence globale, optionnelle ou pas : je constate simplement que les députés, suivant en cela la recommandation initiale du Conseil Economique et Social, ont avalisé cette proposition. Je pense qu’une taxe obligatoire n’aurait aucun avenir politique (je ne vois pas d’ailleurs quelles forces sont en sa faveur ?) Je trouve que c’est une solution pragmatique face à cette monstruosité juridique et culturelle qu’est la directive EUCD.

Sans cette directive, je me dis souvent que la meilleure solution serait sans doute de ne rien voter du tout et de laisser le marché de la musique se réorganiser au plus vite sur des offres en téléchargement à forte valeur ajoutée, en utilisant le P2P comme caisse de résonnance et repère marketing. Mais je n’en suis pas du tout certain. Et je pense de toutes manières que la bonne solution est celle qui laissera tout le monde un peu insatisfait.

La licence globale, si j’ai bien compris, permet de faire en sorte que le P2P soit légalisé et non bridé et de limiter les dommages collatéraux de DADVSI aux libertés publiques.

Quand à « mon lobby »... eh bien, pour ma part, je ne suis ni parolier, ni compositeur, ni interpète, ni cinéaste.

Si j’avais un lobby à l’assemblée, je lui ferais voter des crédits pour qu’on repeigne mes volets et mon couloir à ma place, mais c’est un autre sujet. Je vous assure que je n’ai rien fait pour qu’on taxe les CD vierges : j’étais en vacances quand ça s’est fait.

Ceci dit, c’est hallucinant la paranoïa que ce sujet déclenche : vous me prêtez assez d’influence et d’argent pour aller vendre mes convictions à l’assemblée :

« votre lobby dispose d’assez d’argent pour les manipuler astucieusement, comme il peut noyauter quelques députés. »

dites vous...

Je pense que le lobby favorable à la licence globale (l’Alliance Public Artistes et quelques autres à ma connaissance) dispose d’assez peu d’argent en lobbyisme en comparaison des majors (qui en dépensent au moins plusieurs dizaines de millions de dollars à l’échelon mondial).

Et je crois qu’il n’y a pas encore de corruption active de députés en France sur ce sujet, ni par les majors, ni par les anti-majors. (Au Canada, par contre, une députée, Sam Bulte, est accusée d’avoir fait financer sa campagne par les majors en l’échange de positions restrictives sur le droit d’auteur.) Je pense qu’il y a des contacts entre les députés et les camps en présence, mais ça fait partie du jeu, je suppose !

Je met donc votre déclaration sur le compte de l’emportement, mais cet emportement est très significatif : on le retrouve dans tous les débats sur la propriété intellectuelle.

« Il n’y a pratiquement pas de contrôle sur l’agent provenant de la taxe sur les CD et DVD vierges. »

Là vous avez totalement raison. D’ailleurs les députés en ont été très mécontents lorsque Tasca a fait voter la taxe CD vierges. A mon avis, il est anormal que des sommes pareilles ne soient jamais affectées par les débats budgétaires !

« Hé bien moi je parie qu’une taxe mensuelle volontaire aurait, après les temps de démarrage, un taux de »volontariat« faible, ce que obligerait à une traque anti-fraude importante. Les plus gros téléchargeurs sont les plus démunis, jeunes ou chômeurs, ce sont ceux là que vous voulez taxer et que vous croyez qu’ils le feront allègrement. Ceux qui gagnent bien leur vie n’ont pas le temps de manipuler et ranger des fichiers, ils préfèrent acheter, sauf à se faire gruger par des produits anti-copie. »

Comment répondre à ça ? C’est votre conviction contre la mienne. La mienne est que bien des téléchargeurs non seulement aimeraient être à l’abri des menaces des majors, mais surtout aimeraient savoir qu’une partie de ce qu’ils paient pour téléchargeer, écouter ou partager des œuvres revienne à leurs créateurs. J’ai aussi une foi sans borne dans la créativité marketing des fournisseurs d’accès pour nous vendre des suppléments dont on a pas besoin... Du coup, le poids d’un contrôle (qui s’exerce déjà, je le rappelle, CF. les procès en cours aujourd’hui, « pour l’exemple ») ne porterait que sur une minorité de la population. Si la « riposte graduée » passait du même coup, ceci permettrait de limiter les conséquences d’un contrôle, qui échapperait aux majors (mais là je rêve).

Le contrôle s’exerce déjà, rappelé-je. DADVSI veut encore le faciliter (j’espère qu’il n’y parviendra pas). Mais ce qui distingue la situation de terrorisme judiciaire des majors avec licence globale d’une situation de terrorisme judiciaire des majors sans licence globale, c’est que, dans le premier cas, les internautes ont une alternative (celle d’une assurance anti-majors) qu’elle n’ont pas dans le second.

« A vous écouter, le téléchargeur très occasionnel paiera autant que le plus assidu. »

Et bien oui ! Tout comme le téléphage qui passe 6 heures par jour devant son petit écran paie la même redevance que celui qui ne regarde que la météo de la semaine à venir. Idem pour les abonnés au cable ou au gymnase club, ou l’acheteur d’un forfait ski... En économie, les abonnements sont aussi anciens que la vente au détail : ils apparaissent sitôt qu’il coûte trop cher de surveiller le détail des transactions de chacun. En économie et en fiscalité, il n’y a pas de taxe ou de tarification « juste » en soi : elle est toujours un compromis entre une réalité économique, une logique de valeur « travail » et une logique de valeur marchande. Vous savez, il y a des compositeurs qui ne comprennent pas pourquoi leur disque, qui leur a demandé tant d’années d’effort, est vendu au même prix qu’une compilation de pets d’éléphants sur boîte à rythme.

Plus intéressante est votre remarque : « Je crois que le téléchargement en p2p a été »monté en épingle« et n’a pas l’importance que vous lui prêtez. Je pense en particulier que les prêts quasi-gratuits de CD en médiathèque sont porteurs d’autant de copies privées, avec en plus une meilleure diversité. N’oubliez pas non plus qu’un échange de disque dur de 300 Go rempli de mp3 rend dérisoire les quelques Go qu’un internautes peut péniblement télécharger avec le p2p. »

C’est très très vrai. C’est d’ailleurs pour cela que les théoriciens (Fisher de Harvard) de la licence légale songeaient aussi à élargir l’assiette de la redevance copie privée aux supports mémoires (sans pouvoir la rendre optionnelle, dans ce cas !!).

Mais vous avez pleinement raison : le P2P n’est qu’un des nombreux avatars de la révolution de l’économie de l’art. Quoi qu’il arrive, les œuvres circuleront. Les disques de plusieurs térabits sont pour début 2007 ou 2010 au plus tard. On se trimbalera avec sur soi l’équivalent de 10 ans de cinéma sur les écrans... Et l’on pourra sans doute (si les DRM ne sont pas trop invasifs) s’échanger cela avec plus ou moins d’aisance. Le premier réseau de P2P, ce sont les gens.

L’intérêt de la licence globale est selon moi, dans le contexte EUCD, qu’elle permet de ne pas criminaliser le P2P et donc toutes ses utilisations « non musicales et non cinématographiques » : téléphonie, visiophonie décentralisée (type wigi), voire webradio et webTV décentralisées (eh oui, c’est une des promesses de cette technologie).

C’est pour cela que ce qui compte, bien au-delà du bricolage juridique, ce sont les termes philosophiques du nouveau contrat social que le public doit signer avec les créateurs. Nous sommes bien d’accord : quelles que soient les lois, les œuvres circuleront. Mais selon que ces modalités de circulation sont reconnues ou non, clandestines ou au grand jour, le contrat passé ne sera pas le même. La licence globale est pour moi une solution de compromis correcte, car elle crée un flux de revenu dont les indépendants, s’ils se débrouillent bien, pourront profiter d’une manière ou d’une autre pour concurrencer les majors. La licence globale c’est « Paie et partage ».

En revanche, le tout DRM donnera probablement un petit coup de fouet à la petite et moyenne contrefaçon marchande (contre quelques euros, un écolier laissera un autre écolier copier son disque dur de morceaux « craqués » par son grand frère par exemple). Le tout DRM c’est « cache toi pour partager ».

« Je retiens de votre message que vous convenez de la complexité du système de licence globale que vous préconisez. Une telle usine à gaz, basée sur »la bonne volonté« prendrait l’eau de toute part et serait vite ingérable et soumis à l’arbitraire. »

Vous avez mal compris, mais ça ne m’étonne pas : le mot « complexe » irrite tous les esprits qui croient encore que tout ce qui est juste est simple. Alors que tout ce qui est humain est par définition complexe. Je crois que techniquement, la licence globale est très simple à organiser. La répartition de la taxe copie privée sur les CD est bien une usine à gaz (parfaitement obscure, couteuse et mal foutue, aux dires du rapport de l’assemblée nationale de l’an 2000). Celle de la licence globale serait une centrale thermique élémentaire .

Ce qui est complexe, ce n’est pas la technique mise en œuvre, c’est le processus de négociation et d’évolution des esprits qu’il demande. Il demande à chacune des parties en présence (les auditeurs, les majors, les créateurs) de sortir de ce qu’ils croient être leur logique « de bon sens » et de faire un pas vers l’autre pour conclure un pacte.


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