Il y a, en effet, intercalé dans le roman une composition que l’écrivain a
nommée « Le Grand Inquisiteur ». Ivan imagine que le Christ revient parmi les
hommes et qu’un Inquisiteur espagnol le juge et le condamne, sous le prétexte
que les hommes sont trop faibles et trop mesquins pour vivre selon ses
préceptes. Le Sauveur veut obtenir des hommes un amour librement consenti, mais
pour le troupeau humain, il n’y a pas de fardeau plus grand que celui de la
liberté. Le Grand Inquisiteur a « corrigé » l’oeuvre du Christ : à la foi dans la
liberté et dans l’amour, il a substitué la puissance, le miracle et l’autorité,
asservissant les rebelles et leur assurant, en compensation, une existence calme
et exempte de privations. Si le Christ venait reprendre sa mission, le calme et
la quiétude seraient rompus : c’est pourquoi il sera condamné comme hérétique.
Le Christ ne répond pas au discours terrible et lucide de l’Inquisiteur, mais
s’approche en silence du vieillard et l’embrasse sur ses lèvres exsangues de
nonagénaire ; celui-ci, bouleversé, lui ouvre la porte de la prison.
Dans
cette légende fabuleuse réside l’essence des Frères Karamazov : la démonstration
de l’amour qu’elle sous-tend, de cet amour qui emplit le coeur du moine Zosime
et celui de son discisple Aliocha, ce, dans une démonstration d’ordre mystique
qui donne à ce grand roman sa tonalité exceptionnelle.