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Thierry 20 novembre 2009 18:04

Bonjour,

Je suis enseignant près de Liernais et je fais partie du comité de soutien.

Je souhaite apporter quelques précisions et donner mon sentiment sur cette affaire.


« L’inspection académique le suspend avec traitement pour quatre mois, par mesure conservatoire  » ; il serait plus exact de dire : « elle le suspend avec traitement pour au moins quatre mois... » car il est toujours suspendu avec maintien du traitement.

Concernant les détails de ce qui s’est passé, voici ce que l’on peut en dire et qui n’a d’ailleurs pas été contesté lors de l’audience du 30 mars.

Jean-Paul travaillait dans une classe à deux niveaux (9 et 10 ans) avec un groupe d’élèves quand des élèves de l’autre groupe lui disent : « M., Xxx a montré son zizi » . Sans se déplacer, Jean-Paul prend un cutter dans son cartable, le montre et dit : « je coupe tout ce qui dépasse ». Puis il range le cutter dans le cartable.

Il n’y a donc pas eu de convocation de l’élève ni à son bureau (le meuble) ni dans son bureau (la salle), ce dernier n’existant d’ailleurs pas.

L’ Éducation nationale n’est pas totalement liée par la décision de justice en ce sens qu’en cas de relaxe il peut très bien y avoir un conseil de discipline et une sanction administrative.


Mon commentaire :

on peut considérer que les paroles prononcées dans les circonstances indiquées n’étaient pas appropriées. Mais de là à convoquer cet enseignant au tribunal pénal pour : « violence aggravée sur mineur ... » (termes de la citation à comparaître) il y a une distance qui sépare le monde des fantasmes et la réalité de la vie d’une classe.

S’il s’agit ici de « violence aggravée », comment qualifier des violences physiques volontaires ? Il y aurait des degrés dans la notion de violence aggravée ? En fait, n’y aurait-il pas au minimum nécessité de pondérer la qualification des faits ?


Une classe, c’est vivant, c’est rempli d’êtres humains qui évoluent dans un espace clos et dont les interactions sont extrêmement nombreuses et complexes. Du point de vue de l’enseignant, il s’agit de dizaines de micro-décisions à prendre quasiment chaque minute. Observer le travail d’un élève, lui donner des indications tout en répondant à la question d’un autre, question posée pour la troisième ou quatrième fois. Écrire quelques mots au tableau tout en surveillant du coin de l’oeil ou de l’oreille les deux qui viennent de se chamailler, de se disputer ou encore de s’insulter sévèrement (dans des termes impossibles à écrire). Des consignes de sécurité répétées et expliquées encore et encore : ne pas courir dans le couloir, ne pas se bousculer en sortant, ne pas chahuter les toilettes et respecter l’intimité des autres... Encourager celui-ci qui n’apprend qu’avec difficulté, recadrer celui-là, sans colère mais fermement, car il n’a pas connu son père, ne s’est pas remis de la mort de sa mère il y a quelques mois, ne comprend pas que personne dans l’école ne soit en mesure de combler son immense vide affectif et le manifeste par des déplacements incessants de sa table à la corbeille, la corbeille à la fenêtre... (Non, je n’exagère pas). Je pourrais aussi évoquer le cas de cet élève (CM2, un an de plus) qui a apporté à l’école un jeu vidéo du type de ceux, « déconseillés » au moins de 18 ans, où il s’agit de gagner un maximum de points en écrasant des piétons lors de courses de voitures dans les rues d’une ville imaginaire … Oui, on peut trouver ça aussi dans une école primaire.


Bien sûr il y a des moments de calme mais il y a aussi, trop souvent, des moments d’agitation, de brouhaha peu propices à une communication efficace et rapide. Je n’en oublie pas pour autant la majorité des élèves qui ont envie d’apprendre (et le font très bien) ou encore ceux qui agissent pour que leur classe soit un lieu agréable à vivre : ranger la bibliothèque, aider les plus petits quand on a fini son travail... Il y a aussi ceux et celles qui écrivent des lettres pleines de petits coeurs roses à l’amour de leur vie. Mise en pratique des leçons de français …


J’invite qui le souhaite et s’intéresse sincèrement à cette question à venir passer ne serait-ce qu’une journée dans une école pour avoir une petite idée de la pression permanente engendrée par la multiplicité des signaux à traiter. Ils sont tous nécessairement très importants puisqu’il s’agit de relations humaines. Il faut cependant les hiérarchiser et les situer dans une trame temporelle non extensible : à 17 heures, on prend le bus.



Alors Jean-Paul aurait pu agir différemment. Mais au fait, qu’aurait-il dû faire ? Réponse en 1 seconde : c’est en moyenne le temps dont nous disposons pour réagir.


L’affirmation selon laquelle il y aurait eu « menace », donc une intention de mutilation, ne sous-entend-elle pas que cette menace aurait eu un caractère sérieux et pris comme tel par les élèves qui sont sensés, à cet âge, faire la différence entre les niveaux de langage ?


J-Paul a toujours dit qu’il n’avait pas vu si le sexe de l’enfant était réellement exhibé. Alors, si l’enseignant n’a rien vu, une vraie menace aurait été de dire une phrase du genre : « la prochaine fois je coupe ». Mais dire simplement : « je coupe ce qui dépasse » si rien ne « dépasse » ne peut être considéré comme une déclaration d’intention de mutiler.


Si au contraire, l’enseignant a vu quelque-chose, il aurait dû punir l’élève et, pour le coup, sévèrement avec déclenchement dune procédure de signalement. Ce qui, c’est mon avis, aurait eu pour conséquence de classer durablement dans l’opinion publique, cet élève comme obsédé sexuel avec toutes les conséquences que cela peut avoir dans un village comme Liernais.


Encore une fois, ce collègue aurait pu réagir différemment et on peut objecter qu’il y avait une « arme ».

Il y avait un cutter. C’est un outil (d’ailleurs en vente libre et que n’importe quel collégien peut acheter dans un super-marché). Fondamentalement, quelle différence cela fait-il avec une paire de ciseaux dont personne ne prétend qu’il s’agit d’une arme en soi ?


Dire que c’est une arme c’est affirmer une intention. De quelle intention s’agirait-il ?


a) intention de mutiler ? personne ne l’a dit et ce, à juste titre. Sinon le tribunal aurait fait preuve de laxisme en ne condamnant en première instance qu’à 500 euros d’amende avec sursis.


b) intention de menacer de mutiler ? Là aussi, personne ne peut prétendre que la menace était réelle et sérieuse. Les enfants eux-mêmes ne l’ont pas cru un seul instant, d’après les rapports établis par la gendarmerie, puisqu’ils ont déclaré, à l’exception d’une élève, ne pas avoir eu peur.


c) l’intention de faire peur à l’élève perturbateur ? C’était raté. D’autant plus que cet élève allait, durant les deux mois précédant la suspension, en « aide personnalisée » ( il s’agit, depuis l’an dernier et suite à la réduction de 2 heures de cours hebdomadaires, d’heures de soutien en petits groupes dont bénéficient quelques élèves en dehors de la classe avec l’accord écrit de leurs parents).


Alors comment peut-on prétendre qu’il y avait « violence aggravée ». Selon le substitut du procureur, la violence peut être caractérisée même sans contact physique avec la personne. L’exemple donné, lors de l’audience était celui d’une mari qui, pendant un divorce conflictuel, avait frappé à coup de barre de fer le capot de la voiture de sa future ex-épouse.


En fait tout est une affaire d’appréciation. Selon que les faits rapportés font remonter des souvenirs amusants ou douloureux chez la personne qui les entend, l’image qu’elle se fera de la scène sera plus proche de la série télévisée « Bones » ou au contraire de « La vie est un long fleuve tranquille ». Les points de vue peuvent vite devenir inconciliables. Ce qui est jugé, ce ne sont pas les faits mais les images suscitées par les faits.

Faut-il condamner Ténardier ou sermoner Maître Jacques ?


Rappelons, que les élèves ont parlé de cette histoire dans leur famille le soir de l’incident. Pour eux ce n’était en effet pas une affaire banale. Mais s’agissait-il seulement de la réaction du maître ? Ont-ils vraiment considéré que montrer (ou faire mine de montrer) son sexe en classe est une chose naturelle ?



Pour les dizaines de collègues travaillant dans cette région, si on peut discuter de la pertinence pédagogique de la réaction de J-Paul, il n’y pas eu faute pénale.


Pour terminer : le lendemain du premier procès, tous les élèves de la classe ont signé une lettre à J-Paul disant : « Maître, on t’écrit pour te dire qu’on t’aime ».


Cette lettre n’est pas dans le rapport de la gendarmerie.


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