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En réponse à :


JC. Moreau JC. Moreau 31 janvier 2010 15:33

@ L’auteur,

 

Pardonnez mon insistance mais je ne crois pas avoir déformé votre propos.

 

CONCERNANT VOTRE CONCLUSION SUR LES AVANTAGES DU DIVORCE

 

Quels sont vos deux principaux arguments pour disqualifier par avance toute réforme législative contre les « mariages gris » ? D’une part, vous insistez sur le fait que la preuve des intentions frauduleuses d’un candidat au mariage est difficile à produire : « Mais il est bien difficile de déterminer la frontière de la sincérité d’un amour. La plupart des couples "sincèrement amoureux" auraient bien du mal à définir leur amour, leur raison de s’aimer, la nature de leur sincérité ». Et d’autre part, vous affirmez qu’en tout état de cause, la tromperie est « la règle des relations amoureuses et même, plus généralement, des relations humaines ».


À la suite de quoi vous concluez, occultant la question de la tromperie pour ne retenir que l’hypothèse de « l’erreur personnelle » du conjoint abusé – ce qui revient à tolérer la duplicité de l’un au nom de la naïveté de l’autre... –, que : « Le divorce et la possibilité de remariage sont des éléments modérateurs en cas d’erreur personnelle [ et que ] L’État ne doit pas s’ingérer dans cette affaire. Les dispositifs de la loi du 26 novembre 2003 sont déjà suffisamment lourds pour donner des outils répressifs adaptés aux mariages de complaisance, qu’ils soient « gris » ou blancs ».

 

Or votre raisonnement sur le divorce me paraît tout à fait discutable, ne serait-ce que parce qu’il n’existe pas de « divorce pour le droit à l’erreur » dans les textes législatifs. Et ce pour une raison simple, le divorce a pour but de sanctionner un événement conjugal postérieur à la conclusion du mariage :  soit l’usure de la vie conjugale ( c’est-à-dire les divorces par consentement mutuel, par acceptation du principe de la rupture du mariage ou pour cause d’altération définitive du lien conjugal ), soit un manquement aux obligations conjugales (c’est-à-dire le divorce pour faute). La procédure de divorce se distingue en cela de la procédure d’annulation, qui vise à sanctionner un vice antérieur à la formation du mariage (même si ce vice n’est découvert, nécessairement, qu’après la célébration du mariage), et notamment « l’erreur sur les qualités essentielles du conjoint ».

 

Ainsi sans même parler de la question spécifique des « mariages gris », votre préférence pour le divorce atteste à mon sens d’une certaine confusion entre deux procédures foncièrement différentes, tant du point de vue de leur raison d’être que de leurs effets.


Il me semble d’ailleurs important de rappeler que la consécration du divorce par consentement mutuel et la reconnaissance de la nullité du mariage pour « erreur sur les qualités essentielles du conjoint » résultent d’une seule et même loi promulguée en 1975. Preuve que dans l’esprit du législateur, la divorce et la nullité du mariage avaient chacun une fonction spécifique. D’ailleurs afin d’encourager les tribunaux à privilégier l’annulation du mariage (l’esprit de la réforme de 1975 était de dépénaliser la dissolution du lien conjugal), la loi prévoyait initialement que le juge pourrait rétablir d’office la véritable qualification des faits et prononcer la nullité lorsqu’une action en divorce serait intentée par erreur (Rapport fait devant l’Assemblée nationale au nom de la Commission des lois par M. Donnez sur le projet de loi portant réforme du divorce – Rap. A.N. n° 1681. T.1. p.39).

 

SUR L’AFFAIRE DU MARIAGE ANNULÉ POUR CAUSE DE MENSONGE SUR LA VIRGINITÉ

 

Ensuite quelques développements sur l’infirmation de l’annulation du mariage par la Cour d’appel de Douai. À mon sens, cette décision s’est montrée moins soucieuse de garantir les principes du droit français que de flatter l’opinion publique.

 

Il faut en effet rappeler qu’en appel, dans sa demande reconventionnelle, la jeune femme entendait faire reconnaître qu’elle avait commis une erreur sur les qualités essentielles de son conjoint. Elle soutenait ainsi que ce dernier « n’avait pas la volonté d’accepter voire la capacité de concevoir l’obligation de respect ( …) entre époux. » Pour preuve de son erreur, elle rappelait que dès le début de leur union, l’époux avait manifesté à son égard « une violence morale et physique en divulguant auprès des tiers son état intime et en la faisant reconduire chez ses parents  ».


L’argument était d’autant plus fort que le devoir de respect entre les conjoints a été expressément consacré en 2006, et surtout il avait l’avantage de viser très précisément ce que l’on pouvait légitimement reprocher au mari. La Cour d’appel tenait là une occasion inespérée de renverser la physionomie du procès, de procéder à une véritable réprobation du comportement de l’époux sans avoir à « sacrifier » l’épouse en maintenant la validité du mariage. Mais les juges de Douai ont laissé passer cette chance de rendre une justice véritablement exemplaire. La Cour d’appel a en effet considéré que si les violences invoquées étaient « susceptibles de constituer des manquements aux obligations du mariage » – comprendre une cause potentielle de divorce pour faute –, elles ne permettaient pas en revanche d’établir l’existence d’une erreur sur les qualités essentielles, d’autant qu’il n’existait selon elle « aucune pièce de nature à établir que [le mari] n’aurait pas eu la volonté de s’unir effectivement et durablement  ». 


Les arguments ici avancés par la Cour d’appel pour refuser la nullité demandée par l’épouse ne manquent pas de susciter le malaise. Car la volonté de s’unir est peu de chose si elle n’est pas suivie d’une adhésion effective à l’état matrimonial et aux obligations qui en découlent. Or, le comportement du mari attestait moins d’une acceptation des obligations conjugales que d’une recherche de cette puissance maritale fort heureusement abolie par le droit français. On pouvait donc sérieusement s’interroger sur la qualité d’un conjoint qui ne respecterait sa femme qu’autant qu’elle se conformerait à ses exigences (être vierge avant le mariage), a fortiori lorsque l’on part du principe que l’absence de la virginité espérée par le mari n’est pas censée avoir de conséquences sur la vie matrimoniale (argument phare de la décision de la Cour d’appel de Douai).

 

Mais non content d’avoir manqué l’occasion de donner une véritable consistance à l’obligation de respect entre époux, la Cour d’appel de Douai a également échoué à rendre une décision réellement protectrice pour toutes les femmes et jeunes filles confrontées à des situations similaires. Car le divorce, précisément, n’est pas la panacée. Et ce en dépit des conclusions du juriste Jean Hauser sur l’affaire en question : « Quant au sort de l’union ainsi consolidée on ne gémira pas trop longtemps sur le couple (...) puisqu’on divorce maintenant en moins de six mois en France et que, compte tenu des affirmations des parties, elles peuvent divorcer par consentement mutuel sans invoquer aucune cause, ce qui leur aurait évité de mettre sur la place publique des éléments de l’intimité de l’épouse » ( J. Hauser, De l’erreur sur les qualités essentielles ( suite) : le  mariage n’est pas un simple montage, Revue Trimestrielle de Droit Civil 2009 p. 98 ).


Cette remarque de J. Hauser résume à elle seule l’absence de perspective qui a caractérisé la plupart des réactions concernant l’annulation de ce mariage. En effet, elle manquait d’envisager l’hypothèse où le mari, comte tenu de la position nouvelle de son épouse au cours du second procès, pouvait fort bien décider de faire durer la procédure par esprit de représailles en refusant de donner son consentement au divorce. De même, elle manquait d’envisager celle où l’épouse, compte tenu des affirmations de la Cour d’appel quant au caractère répréhensible du comportement du mari, pourrait décider d’engager une procédure de divorce pour faute, dont les délais sont autrement plus importants et l’issue toujours incertaine.

 

Tout ceci pour dire que si l’infirmation de l’annulation du mariage a satisfait les belles âmes, elle n’a pas contribué à fournir une jurisprudence réellement utile aux femmes qu’elle prétendait défendre en prévision de situations identiques. Car censée protéger les femmes issues de la communauté musulmane, la décision de justice rendue en leur nom les aura seulement convaincu qu’en matière de mariage, elles n’auront pas le même droit à l’erreur que les autres. Paradoxalement, elles pourront toujours invoquer les fautes religieuses de leur époux tant que cela sert le ministère public dans sa traque aux mariages fictifs (cf. jurisprudence de 2005 dans mon premier commentaire), mais elles ne pourront invoquer ses excès religieux au titre d’une erreur sur les qualités essentielles lorsqu’il sera seulement question de les protéger d’une union malheureuse… Pire encore, elles savent désormais que, dans une situation identique à celle de la jeune femme concernée par le jugement lillois, il leur faudra s’en remettre à la bonne volonté de leur époux (pour obtenir une divorce par consentement mutuel ou sur demande acceptée) ou attendre une faute conjugale de sa part pour obtenir le divorce. À moins qu’elles ne doivent se résoudre à commettre cette faute pour provoquer la demande de divorce.

 

EN GUISE DE CONCLUSION

 

Je comprends tout à fait votre attachement au respect de la vie privée, et partage également votre méfiance quant aux velléités de l’État. Néanmoins je considère qu’il est important de faire la part des choses entre la défiance légitime que nous inspire une politique gouvernementale (la réforme de 2006 est d’ailleurs bien plus intrusive que celle de 2003) et le vécu réel des personnes concernées par les « mariages gris », et plus généralement des personnes abusées dans le cadre d’un mariage, pour lesquels le divorce n’est pas nécessairement la solution la plus appropriée.

 

 


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