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Loucath Loucath 8 décembre 2010 14:32

Un témoignage autobiographique parmi tant d’autres : le mien !

 
Mon principal, pendant mes dernières années dans un collège défavorisé (avant mon entrée à Clem), me gâtait : sous prétexte que j’étais la prof de Lettres modernes la plus diplômée et la plus expérimentée, il ne me confiait plusque les classes les plus difficiles... peuplées d’élèves dont on savait que très peu d’entre eux passeraient en seconde parce qu’on y avait concentré des illettrés et de la graine de délinquants...les troisièmes sans options particulières (les latinistes étaient systématiquement confiés à une collègue moins gradée, mais prof de lettres classiques (latin et éventuellement, grec)...)

Au début de ma carrière, mes collègues « expérimentés » m’avaient aussi gentiment laissé les classes pénibles, à programme allégé... et se réservaient les classes dites « Camif » (c’est-à-dire composées d’une majorité d’enfants de profs et d’autres bons élèves sans problèmes)...
Autant dire que pendant de longues années, je n’ai pas eu en classe le « gratin » !
 
Mais on s’attache aux élèves, à la tâche, on y croit tellement que l’on fait tout ce que l’on peut...
... et puis, un jour, insensiblement, on se rend compte que l’on n’a plus le feu sacré... qu’on est usé et désabusé... qu’on perd pied...
On éprouve le sentiment terriblement dévalorisant d’être inutile, de parler dans le vide...
On expérimente sur des élèves cobayes les nouvelles théories des chercheurs en sciences de l’éducation...
On a un inspecteur qui vous « conseille » de faire moins de grammaire et d’orthographe, d’animer vos classes faibles avec plus d’entrain ... 
On voit diminuer l’horaire hebdomadaire de cours au profit de l’accompagnement éducatif. Cela signifie, forcément, beaucoup moins de contenu, de culture, au profit du « savoir-être ».
On se demande si on est encore un transmetteur de savoir ou un animateur...
On abaisse à contrecoeur ses exigences .
On a un chef d’établissement laxiste ...
On voit de plus en plus de parents qui croient les calomnies anti-profs répandues par certains medias.
On voit les conditions de travail, les effectifs, les contraintes extra-enseignement s’alourdir, les réunions et rencontres se multiplier pour essayer de trouver des solutions aux cas des élèves « décrocheurs »… sans efficacité la plupart du temps .
On n’ose plus prendre de sanctions de peur d’en subir soi-même...
On apprend un jour par les élèves eux-mêmes, hilares, la suppression des redoublements.
On n’ose plus demander aux élèves d’apporter TOUT leur matériel indispensable (Ah ! le fameux poids des cartables !)
On ose à peine rappeler aux élèves (ou leur apprendre) que plus de 200 millions de jeunes aimeraient bien être à leur place et qu’ils portent un fardeau autrement plus lourd qu’un sac à bretelles. 
On manque de se faire lapider quand on ose dire que beaucoup de ceux qui sont « en échec scolaire » le sont parce qu’ils ont refusé de faire des efforts, de respecter ce que l’école leur demandait ; quand on ose dire qu’il faut, aussi, qu’ils en acceptent les conséquences et la responsabilité. 
On entend des élèves, des grands frères, des géniteurs qui vous menacent si vous faites votre travail... qui consiste aussi à évaluer, voire sanctionner... 
On lit des des faits divers qui achèvent de vous décourager : encore un prof tabassé par un parent d’élève, encore une enseignante poignardée par un élève à problèmes...
On remarque une tendance à accepter/demander l’irresponsabilité du coupable, que l’on trouve d’abord à l’école mais aussi dans la société dans son ensemble : celui qui poignarde n’est pas responsable, ce sont forcément les autres, ou le « système » qu’il faut mettre en accusation. 
On en a ras le bol de la culpabilisation des victimes et de la victimisation des coupables, ras le bol de la démagogie ambiante qui transforme des jeunes en assistés passifs et rebelles.
On ne peut que constater que l’école, comme ascenseur social est en panne ; que le système scolaire actuel ne fait que reproduire, voire accentuer les inégalités sociales et ne permet pas aux élèves très moyens de s’en sortir.
On éprouve alors un sentiment de vacuité, d’impuissance.  
On apprend qu’il faudra bac + 5 à partir de 2010 pour passer les concours de l’Education Nationale... pour servir d’animateur à des jeunes qu’on va laisser demeurer des « sauvageons », prêts pour la pub TV, toutes les propagandes et pour travailler comme des esclaves afin d’engraisser de gros actionnaires qui vivront, eux, à l’abri de la violence générée par cette société dans leurs ghettos pour riches. 
Bref, on en a marre de subir des pressions de la part de l’administration, des élèves, des parents quand on fait correctement son travail : préparer, corriger, évaluer, avertir, réprimander le cas échéant, sanctionner quand le dialogue et la négociation ont montré leurs limites.
Alors... Il arive que la coupe déborde tant on se sent stigmatisé. Révolte, lassitude...
On déprime.
On rêve de retraite, mais elle est encore loin... On n’a pas de goût particulier pour l’administratif...On se surprend à penser démission ou congé de longue durée...
On fait une CIP (crise d’identité professionnelle) qui dans les cas extrêmes peut conduire à une TS (tentative de suicide) ;
On finirait par tomber réellement malade. Car, n’en déplaise aux psychiatres de la MGEN, la situation dans les zones difficiles est une condition pathogène. J’ai encore envie de hurler quand je les entends dire que les dépressions d’enseignants sont essentiellement dues à des causes exogènes.

J’ai finalement trouvé il y a quelques années, seule, une solution qui actuellement me convient toujours : un assez « bon » lycée général de centre-ville, avec classes préparatoires aux grandes écoles... à trente kms de chez moi. Tu l’as reconnu, bien sûr.  smiley
J’y suis bien et j’y resterai, cré nom de nom !

Je n’oublie jamais, cependant, qu’il n’y a pas L’enseignant, mais LES enseignants... et que pour certains, dans certaines zones difficiles, à proximité de cités sensibles, ce métier est quasiment impossible (voir, oui, le beau film "La Journée de la jupe).

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