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BA 15 février 2011 22:05
Pourquoi la survie à long terme de l’euro est improbable.

Dans un long entretien à La Tribune, Niall Ferguson, professeur d’histoire à l’université de Harvard, porte un regard pessimiste sur l’Europe.

La Tribune : La crise de la dette souveraine semble s’être calmée en Europe, et pourtant vous restez pessimiste. Pourquoi ?

Niall Ferguson : Il y a déjà dix ans, j’avais annoncé que la zone euro serait une entité instable parce qu’une union monétaire sans une union fiscale n’est pas durable. Cette analyse a été validée par la crise. Actuellement, je crois que la situation reste très fragile, et peut aisément se résumer par une question : l’électeur chrétien démocrate allemand est-il prêt à accepter un changement institutionnel conduisant à des transferts de revenus de l’Allemagne vers la périphérie de l’Europe ? La réponse est non ! Jusqu’à la réunification du pays, il était admis que l’Allemagne était le financier du processus d’intégration européenne. Elle devait fournir la première contribution au budget européen : pour la génération d’Helmut Kohl, il s’agissait d’une sorte de réparation après la deuxième guerre mondiale. Les nouvelles générations allemandes ne ressentent pas la même obligation. Ce qui pose un problème majeur, parce que s’il n’y a plus personne pour faire des chèques, le processus d’intégration européenne ne peut pas continuer. En fait, il pourrait même aller à rebours. Donc le premier problème est cet obstacle politique, Angela Merkel ne peut pas ou ne veut pas expliquer aux citoyens allemands ordinaires pourquoi ils doivent continuer à financer ce processus. Il y aurait pourtant une réponse très simple : si les Allemands refusent de continuer à payer, les banques des Landers allemands vont couler. Car il ne s’agit pas d’une crise de la dette souveraine, mais d’une crise bancaire, dont l’épicentre se situe en Allemagne. Mais ce raisonnement échappe complètement à l’opinion allemande, qui pense qu’elle travaille dure et doit payer pour ses voisins paresseux.

Pourquoi dites vous que la construction européenne peut même aller à rebours ?

Nous vivons une période de désintégration économique, qui est très profonde et structurelle. Si vous regardez les coûts unitaires du travail, depuis la création de la zone euro en 1999, vous constatez une divergence, et non une convergence, ce qui est très problématique. Dans la période précédente, on aurait résolu le problème avec des dévaluations dans les pays trop chers. Aujourd’hui, le seul ajustement possible passerait par des réductions nominales de salaires aux travailleurs Grecs, Irlandais, Portugais ou Espagnols, ce qui semble très difficile. 

Vous voyez un risque d’éclatement de la zone euro ?

Ce risque est réel et je pense que ce serait une grande erreur de croire que simplement parce que l’Euro existe maintenant, il sera toujours là dans 10 ans. Le manque de volonté politique en Allemagne, et la désintégration structurelle à l’œuvre dans la zone euro, sont les deux facteurs qui rendent la survie à long terme de l’euro improbable. Parallèlement, du point de vue allemand, l’euro est un mal nécessaire, parce que sans lui, ils auraient les mêmes problèmes que la suisse d’une monnaie trop forte. Le meilleur argument pour la survie de la zone euro est qu’elle sert très efficacement les intérêts de l’industrie allemande.

Vous voulez dire à cause de son taux de change ?

Exactement ! Rappelez vous de la signification de la zone euro : il s’agit d’un accord qui donnait aux pays excessivement endettés comme la Belgique ou l’Italie les taux d’intérêt bas allemands, l’Allemagne bénéficiant en retour d’un taux de change plus faible. C’était le deal ! Mais le problème aujourd’hui, est qu’en l’absence de transferts du centre vers la périphérie sans une véritable intégration du marché du travail, le seul moyen de maintenir la zone euro dans sa forme actuelle passe par la déflation dans les pays périphériques, ou alors il faudrait que la banque centrale européenne introduise des assouplissements quantitatifs, du type QE2 et se montre beaucoup plus agressive dans la monétisation de la dette. 

Ca vous parait possible ?

La solution la plus simple pour résoudre la crise de la zone euro serait que Trichet se transforme en Bernanke, et adopte le QE2 et achète des obligations, et affaiblisse un peu l’euro. Les chinois pourraient répondre favorablement à cela en achetant encore plus de la dette des Pigs. L’autre solution, plus dure, serait de demander aux Grecs ou au Irlandais de transformer leur déficit de 10 % du PIB en un excédent de 5 % du PIB, et c’est impossible ! D’autant qu’il y a un facteur qu’il ne faut jamais sous estimer en période d’après crise, ce sont les conséquences politiques. 

Jusqu’à présent, on est plutôt parvenu à les éviter...

Oui, mais il s’agit d’une combustion lente ! Les gens ont souvent du mal à réaliser que l’histoire ne se déroule pas au rythme d’un match de football. Les événements vont à leur rythme, mais déjà nous voyons dans de nombreux pays européens des tournants politiques majeurs, brisant de façon irréversible le consensus qui existait entre les chrétiens et sociaux démocrates depuis l’après guerre. Je suis convaincu que le populisme va devenir de plus en plus puissant en europe. Or il est difficile de croire que les populistes seront de vibrants défenseurs du projet européen, car leur fonds de commerce c’est le nationalisme et la xénophobie.

Quand on regarde l’Histoire, quelle est la meilleure solution pour sortir d’une crise de la dette ? Et combien de temps cela peut prendre ?

Il y a bien eu un pays qui avait une dette dépassant 200 % de son PIB, qui n’a pas fait défaut, et qui n’a pas connu l’inflation. Il s’agit de la Grande Bretagne après la bataille de Waterloo. Entre 1815 et 1914, la dette britannique a été réduite, grâce à une croissance forte, grâce à des excédents du budget primaire et grâce enfin à des taux d’intérêts bas. La Grande Bretagne pouvait, c’est vrai, compter sur deux avantages : la révolution industrielle et l’apport de son empire colonial. Malheureusement c’est le seul cas que je connaisse. Et en dehors de cette exception, tous les pays ayant accumulé des dettes trop importantes au regard de leur PIB ont été conduits au défaut ou à l’inflation, selon que la dette était libellée dans leur propre monnaie ou dans une devise étrangère. Nous voyons donc bien ce qui risque de se passer : les pays qui ne peuvent pas imprimer de la monnaie vont faire défaut, comme l’Irlande, la Grèce et peut-être d’autres ? Les autres, qui peuvent créer de la monnaie, à commencer par les Etats-Unis, connaitront l’inflation et des dépréciations monétaires. C’est ça la leçon de l’histoire.


Propos recueillis par Eric Chol et François Lenglet - 15/02/2011

http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20110215trib00060 1439/pourquoi-la-survie-a-long-terme-de-l-euro-est-improbable.html

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