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Jean-Pierre Jean-Pierre 21 août 2011 17:50
J’ai vu des films de Raoul Ruiz vers la fin des années soixante-dix, le début des années quatre-vingt.
Nous avions la chance d’avoir à Nantes, à cette époque, une annexe de la Cinémathèque de Paris. C’était un lieu de découverte du cinéma qui sortait de la marchandise cinématographique à laquelle sont condamnés les gens de mon espèce.
Raoul Ruiz était présent à la projection. Il y avait à voir « l’hypothèse du tableau volé », « dialogue d’exilés », et peut-être « colloque de chiens ».
Les films étaient un bonheur de beauté, de lucidité, d’humour.
C’était une écriture cinématographique, pas une collection d’idées, un discours, de la littérature ou des bavardages.
Les échanges avec Raoul Ruiz, à la suite de la projection étaient simples, généreux, intelligents.
Je me souviens juste d’un reproche qui lui avait été fait, de délaisser « le peuple ». Il a simplement expliqué qu’il ne pouvait pas faire parler des paysans bretons de par son origine chilienne, qu’au Chili il aurait pu faire un film avec des paysans chiliens. En France, il ne pouvait rencontrer les gens que par le cinéma, par ce qu’il connaissait, par des éléments plus universels.
Il était étonnant que cette réflexion sur l’engagement au côté du « peuple » est été faite, le film « dialogue d’exilés » étant une belle illustration cinématographique du rapport entre les petites gens et les intellectuels en France.
Si je ne trompe pas, le personnage expliquait comment les Chiliens en exil se rencontraient, quelle que soit leur origine sociale, et comment, peu à peu, les intellectuels s’intégraient à l’élite culturelle française, et comment les gens issus de couches sociales « inférieures », selon la culture dominante, glissaient dans la galère. Alors le Chili ne comptait plus et les intellectuels n’avaient plus aucun rapport avec les prolos.
Il nous avait fait part de sa faim de filmer. Il avait raconté que travaillant pour la télévision française, il récupérait les chutes de pellicules, les restes de bobines, il les collait bout à bout, et après le travail, avec son équipe, ils continuaient à filmer l’histoire d’un homme qui volait. Cet homme sortait par la fenêtre de son bureau du premier étage et volait dans Paris. La caméra était montée sur le toit d’une camionnette. Nous avons pu voir un bout du travail en cours. A-t-il abouti  ?
J’ai perdu de vue Raoul Ruiz après « les trois couronnes du matelot », « le territoire » et « la ville des pirates ». Le Cinéma « le Versailles » a disparu, où Henri Alekan nous avait parlé de l’image du film « Le territoire ». La cinémathèque de Nantes a mis la clé sous la porte. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est une fenêtre sur le monde qui s’est fermée pour moi.
D’autres fenêtres se sont ouvertes, dans d’autres domaines, mais depuis quelque temps les gens comme moi sont refoulés dans des camps, sans barbelés, sans tortures, presque sans capos, mais tout aussi déshumanisants.
Le cinéaste de cette époque-là disait beaucoup de choses, posait beaucoup de questions, son cinéma était un véritable dialogue, une maison ouverte aux passants, le genre qu’on ne trouve pas dans les supermarchés, ou dans les épiceries fines, de la culture.



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