A Monsieur Sarano et à tous ceux qui ont des idées préconçues sur les Réunionnais qui aiment l’Océan
Les Irréverseables est un groupe d’amoureux de l’océan animés par la question de la relation homme/nature dont l’anonymat marque le renoncement à leur égo.
L’océan est un territoire que connaissent, aiment et chérissent les surfeurs, les pêcheurs et les usagers de la mer en général à la Réunion. Les surfeurs et les usagers de la mer ont toujours accepté et vécu avec le risque requin à la Réunion en toute connaissance de cause, adapté leur pratique, abandonnant des lieux de pratiques lorsque des attaques s’y produisaient, une attaque par an (en moyenne) ayant eu lieu chaque année depuis 30 ans. Mais la Réunion a connu, depuis 2 ans, 4 attaques mortelles de requins et 11 accidents (avec 2 amputés), octroyant ainsi à notre île le triste record du monde en ce qui concerne les attaques de requin. Depuis l’attaque de 2011, les spots de surf sont d’ailleurs désertés par les surfeurs (contrairement à ce que vous affirmez dans les médias). Le choc et l’incompréhension des surfeurs ont été d’autant plus violents à la Réunion que ces attaques n’ont pas eu lieu comme habituellement dans le nord et l’est de l’île, mais sur les seuls spots de l’île qui étaient jusque-là considérés comme « sûrs » (où aucune attaque n’avait été enregistrée durant ces 40 dernières années, date approximative du début du surf réunionnais), dans des conditions qui, même si elles n’étaient pas parfaites, ne laissaient pas présager d’attaques (le surf s'y pratiquait de l'aube au crépuscule, dans toutes les conditions).
Malgré ces 4 accidents dramatiques, aucune « élimination des requins » n’est demandée par qui que ce soit à la Réunion. Depuis 2 ans, chercheurs de l’IRD, responsables de la Réserve, élus politiques, associations engagées localement pour la mise en place de vigies, etc. travaillent de concert pour résoudre un problème où aucune solution évidente et manichéenne ne pourra être trouvée, parce que des aspects biologiques, environnementaux, politiques et sociologiques sont engagés, et parce que des vies humaines sont en jeu.
Il n’est donc, en aucune façon, question « d’élimination de requins » à la Réunion, mais de régulation de quelques spécimens de requins tigre et bouledogue, espèces non protégées. La présence d'animaux déviants et sédentarisés dans les zones d'attaques comme dans des zones de prédation ne peut être écartée. Vous serez rassuré de constater, Monsieur Sarano, qu'il ne s'agit pas ici de stigmatiser une population de requins de façon globale, ni de faire de ces cas-ci une généralité. Cela n'a d'ailleurs jamais été fait à La Réunion.
Ces requins tigres et bouledogues ne sont plus pêchés à la Réunion depuis 1999, et comme chaque femelle tigre peut porter jusqu’à 80 petits (25 pour le bouledogue), le taux d’augmentation de la population en 20 ans de ces 2 espèces a donc été exponentiel (même en tenant compte du cannibalisme intra-utérin et de la prédation des juvéniles). Ces requins tigre et bouledogues sont reconnus par les scientifiques comme étant présents de manière dense sur nos côtes. On notera que le terme "dense" connote un déséquilibre entre le nombre de requins et la surface sur laquelle ils sont présents, fait qui est depuis longtemps soulevé par les pécheurs professionnels qui n'ont jamais été sollicités sur ce dossier. Vous avez participé à de nombreuses campagnes scientifiques prenant pied au sein de créations de sanctuaires, vous connaissez donc l'importance de collaborer avec les pêcheurs. Ici cela n'a pas été fait. La Réunion possède en effet des fonds qui tombent rapidement, situés à seulement 200 km de côte. Le territoire que peuvent occuper les requins tigre et bouledogue qui sont des animaux côtiers, territoriaux, peu migrateurs est donc très restreint. Nous craignons que les espèces de requins de récif qui ont disparu et dont les niches écologiques ont été fortement abimées aient des difficultés à revenir, la pression territoriale de prédateurs désormais présents sur ces mêmes niches venant s'ajouter à celles qu'ils subissent déjà.
La Réunion ne dispose jusqu’à présent d’aucune mesure de protection contre les requins. Alors que l’Afrique du Sud ou l’Australie installent des filets le long de leurs plages, la Réunion ne dispose d’aucun de ces procédés. Les surfeurs sont d’ailleurs opposés à la pose de filets, ces mesures étant bien trop létales pour la faune marine (des dauphins et des tortues s’y feraient prendre).
La gestion de l’environnement sur le terrain et le développement durable demandent des compromis entre les activités humaines et la préservation de la faune, de la flore et des habitats, bien loin des dogmes écologistes bio-centrés et des idées toutes faites. L’ensemble de solution préconisé et issu du fruit des travaux entre scientifiques, monde de la conservation et associations à la Réunion est d’ailleurs le plus écologique qui soit au monde :
- la pêche artisanale de quelques spécimens de requins tigre et bouledogue, comme cela est pratiqué pour toutes les autres espèces de poissons ;
- la pose de drum-lines qui sont de petits appâts sélectifs utilisés ici de manière ciblée, qui ne sont d’ailleurs en aucune manière contraires aux conventions environnementales nationales ou internationales. Les requins non-ciblés ne mourront pas car le relevé des dispositifs répondra à un protocole sérieux dont les porteurs de projets seront garants ;
- l’activité de vigies requins, en charge de la surveillance des plages ;
- la sensibilisation des pratiquants d’activités nautiques et des touristes quant aux précautions à prendre.
Si nous aimons tous rêver de grands territoires sauvages et de nature insoumise, les Réunionnais aimeraient cependant pouvoir vivre sur leur île, se baigner, surfer, manger du poisson, et conserver une activité touristique, d’autant plus dans un contexte économique critique. Ces activités humaines, doivent, comme partout en France, et si possible sur le reste de la planète, se faire en respectant la Nature, et chacun sera bien inspiré d’agir sur son lieu de résidence, pour une connaissance des réalités de terrain et une efficacité accrue.
Nous vous remercions grandement de vos conseils, Monsieur Sarano ; il est appréciable que des gens de votre qualité se mobilisent pour une cause juste. Vous indiquez cependant avoir créé Longitude 181 pour préserver les océans, et vous vous étiez fort utilement investi contre le finning et la pêche de millions de requins en Polynésie.
C’est cette fois-ci contre un ensemble de mesures (dont la plus létale demeure la pêche artisanale de quelques spécimens de requins non protégés) qui restent les plus écologiques à l’échelle du globe, qui ont été déterminées en concertation avec des scientifiques, des politiques et des acteurs de terrain, et pour protéger des vies humaines que vous semblez vouloir vous mobiliser. La pêche artisanale de quelques spécimens de requins à la Réunion est-elle réellement selon vous, Monsieur Sarano, critique pour le maintien des Océans, alors que la pêche industrielle râcle le fond des mers ?
L’heure est grave, Monsieur Sarano, et cette crise requin ne pourra se résoudre qu’en faisant preuve d’humilité face à une situation qui dépasse tout le monde, pour trouver les solutions les plus harmonieuses possibles pour les requins, pour l’environnement, pour les activités économiques de l’île et pour les Réunionnais. L’heure des tranchées entre environnementalistes et surfeurs a fait long feu et est stérile. Les usagers de la mer avaient déjà il y a quelques mois, dénoncé les manœuvres peu scrupuleuses de la ferme aquacole qui a depuis fermé (http://you.leparisien.fr/actu/
Nous entendons et comprenons la philosophie qui est la vôtre. Nous la vivons au quotidien sur l'île de La Réunion, qui est le 8ème pays au monde ayant enregistré la perte la plus importante en biodiversité ces dernières années. Nous la vivons, et nous savons aussi que la philosophie globale ne peut pas se superposer en tous points aux réalités locales. Comme vous le dites vous-même, pour protéger les requins, il faut d'abord être capable de respecter son voisin. Nous qui vivons cette crise au jour le jour depuis 2 ans, nous n'avons pas le sentiment que nos expériences et avis aient été écoutés, ce qui constitue pourtant la première base du respect.
Pouvons-nous vous compter, Monsieur Sarano, parmi ces passionnés de l’océan qui veulent faire la lumière sur cette affaire et apporter des solutions constructives, en faisant une place à toutes les espèces, y compris l’Homme ?
Les Irréverseables
25 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON