Airbnb : quelque chose de pourri au royaume de l’économie du partage
Le chercheur en informatique Gaël Chareyron (Esilv Paris/Pôle Léonard-de-Vince), le géographe Sébastien Jacquot (Eirest-Paris 1) et l’anthropologue Saskia Cousin (Canthel-Paris 5) ont réalisé pour Les Echos une étude sur les annonces que propose actuellement la plateforme Airbnb en France. Les résultats sont accablants : les professionnels sont de plus en plus présents sur la plateforme, au détriment des particuliers cherchant à arrondir leurs fins de mois, a fortiori des particuliers ne louant qu'une partie de leur logement.
Selon cette étude, les logements entiers représentent les trois quarts des annonces en France et 92 % à Paris, qui conserve son titre de « capitale mondiale » d’Airbnb avec 42 000 annonces intra-muros. Pour Gaël Chareyron, 10 % des annonces à Paris émanent de propriétaires proposant trois appartements ou plus. Dans les secteurs les plus prisés de la capitale, notamment les Ier, IIIe, IVe et VIe arrondissements, plus de 30 % des annonces sont publiées par des personnes proposant trois biens au minimum en France.
Les statistiques de Gaël Chareyron confirment l’influence excessive des multipropriétaires sur Airbnb, et ce malgré les déclarations pieuses de la plateforme, qui prétend encore être au service des particuliers louant ponctuellement leur logement pour payer leurs factures. Alors que la directrice de la communication de la société californienne, Sarah Roy, dresse le portrait robot d’un hôte « normal », qui loue sa résidence 26 nuits par an en moyenne et en tire un peu moins de 2 000 euros (« juste assez pour payer son loyer »), les statistiques la contredisent. Selon Gaël Chareyron, les multipropriétaires représentent 19 % de l’offre à Paris. Cet été, 170 d’entre eux proposaient 3 635 appartements. Les plus gros loueurs de la capitale gèrent chacun plusieurs dizaines de logements, contre « seulement » 34 annonces gérées par le champion marseillais et 20 par le principal annonceur lyonnais.
Si on a du mal à y voir le propriétaire « normal » qu’évoque Mme Roy, c’est que la professionnalisation des annonceurs sur la plateforme est désormais incontestable. Une professionnalisation qui ne s’accompagne toutefois pas des contraintes afférentes, notamment pour ce qui est des charges. Selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), qui ne cesse de dénoncer l’« industrialisation rampante » des pratiques soi-disant collaboratives d’Airbnb, l’industrie hôtelière, qui emploie 38 569 personnes, verse 440 millions d’euros au titre de la TVA, tandis que la fameuse plateforme en est exemptée. « Sur 100 euros de recette, il nous reste 5 à 10 % de résultat net avant impôt contre 70 % pour un propriétaire qui loue son appartement », s’alarme Roland Héguy, président de l’UMIH. Pour lui, le principal problème est toutefois l’illégalité dans laquelle le phénomène tend à se développer. En effet, un propriétaire n’est pas autorisé à louer sa résidence principale plus de quatre mois par an et, s’il s’agit d’une résidence secondaire, il doit demander une autorisation de changement d’usage des lieux et payer des droits de compensation.
Il va sans dire que tous les annonceurs ne respectent pas ces règles. D’après une étude de l’UMIH, 35 % des offres d’Airbnb à Paris sont disponibles plus de 120 jours par an et représentent plus de 74 % du chiffre d’affaires généré par le site. Et que fait la mairie face à cette illégalité manifeste ? Elle avoue, hélas, son impuissance : « On sait que beaucoup d’offres sont illégales, mais, dans l’état des informations dont dispose la mairie, il est impossible d’établir combien », reconnaît l’adjoint d’Anne Hidalgo au Logement, Ian Brossat.
Drôle d’époque où les pouvoirs publics ne peuvent que constater l’illégalité ayant lieu sous leur nez sans rien y faire. Et le problème ne concerne pas que la mairie de Paris, il se pose également outre-Atlantique. Ainsi, Airbnb a récemment été accusée d’avoir manipulé ses informations afin de dissimuler des activités illégales. Selon une étude de Murray Cox et Tom Slee, près de 1 500 annonces ont été brutalement effacées de la plateforme en novembre dernier, ce qui a permis à la société de déclarer, le 1er décembre, que 95 % de ses hôtes à New York ne proposaient à la location qu’un seul appartement, et que 4 % en proposaient deux. La compagnie a par la suite avoué avoir purgé son site en supprimant « un certain nombre d’offres [qui] ne reflétaient pas la vision d’Airbnb pour sa communauté ».
Airbnb est en train de devenir une immense multinationale capable de faire plier les pouvoirs publics. Tout en se réclamant des valeurs qu’elle a cessé de défendre depuis longtemps, elle instaure une concurrence déloyale entre professionnels et particuliers, manipule ses utilisateurs et met en danger l’équilibre d’importants secteurs économiques. La seule question qui mérite d’être posée : combien de temps encore va-t-on la laisser faire bras ballants ?
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