Analyse de la politique anti-tabac de Marisol Touraine à la lumière de ses liens avec le producteur de patchs GSK
L’affaire n’est pas nouvelle, mais continue de semer le doute sur les véritables motivations de la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Dans un article publié le 8 août 2012, Le Canard enchaîné révèle l’appartenance de la ministre au club Avenir de la santé, un « groupe de pression » financé par GlaxoSmithKline (GSK), multinationale britannique aujourd’hui numéro 7 de l’industrie pharmaceutique mondiale, spécialisée dans la production de patchs à la nicotine. Une révélation qui, rétrospectivement, donne une saveur particulière au combat mené par la ministre contre d’autres moyens de sortir du tabagisme, comme la cigarette électronique.
Officiellement « cercle d’échange et de réflexion sur l’ensemble des questions liées à la santé », le club Avenir de la santé rassemble des scientifiques renommés, des politiques impliqués dans la santé, des universitaires, des économistes, des représentants de diverses institutions, etc. Depuis sa fondation en 1988, le club s’est fixé l’objectif de « proposer des solutions concrètes et novatrices pour préparer l’avenir de la santé en France », comme le déclarait Hervé Gisserot, ancien PDG de GSK France récemment nommé à la tête des activités du groupe en Chine (où l’entreprise est visée par une enquête de corruption…).
On s’en doute, sous ses nobles apparences, ce club constitue en réalité un réseau d’influence permettant à ses membres de rencontrer du beau monde. Un lieu privilégié où se mêlent les personnalités du monde des affaires et du secteur public sans que l’on connaisse exactement la nature et la portée des liens ainsi tissés. Ce qui ouvre grand la porte à toutes sortes de soupçons.
Nombreux sont ainsi les spécialistes de la santé qui s’interrogent sur l’absence de débat public entourant la décision de retirer du marché français le médicament Avandia de GSK. En effet, en septembre 2010 les autorités européennes ont estimé préférable de retirer de la commercialisation cet antidiabétique, qui était autrefois la deuxième molécule la plus vendue de Glaxo. Et pour cause : plusieurs études ont montré que le médicament induisait un risque élevé de problèmes cardiovasculaires, y compris d’attaques cardiaques et cérébrales, pour les patients. Avandia serait ainsi à l’origine de 83 000 infarctus aux Etats-Unis, pays où GSK a dû payer 3 milliards de dollars pour mettre fin à des poursuites.
Or, ces informations sont passées relativement inaperçues en France, et de nombreux spécialistes y voient le résultat de tant d’années passées à tisser des liens opaques mais efficaces entre le laboratoire et certaines personnalités politiques françaises. Une situation qui ne concerne pas que les médicaments. Les questions liées au tabagisme font également partie des intérêts de GSK. Ainsi, en 2005 le laboratoire reconnaissait avoir généreusement financé plusieurs déplacements à l’étranger de 10 parlementaires français souhaitant étudier les résultats de l’interdiction totale de fumer dans les lieux publics et les lieux de travail intervenue en Irlande en 2004 et en Italie en 2005.
Car il se trouve que la branche « Santé grand public » de GSK fabrique NiQuitin, un substitut nicotinique vendu sans ordonnance en pharmacie pour aider les fumeurs à laisser tomber la cigarette. D’où son intérêt pour les initiatives européennes visant à limiter la consommation de tabac. « GSK a participé au financement [des voyages des parlementaires]. Cela n’a rien d’étonnant de la part d’un fabricant de substituts nicotiniques », déclarait dans un élan de transparence improbable Vincent Cotard, alors président de GSK Santé Grand Public.
Cela n’a rien d’étonnant, certes, mais reste en revanche très problématique. Au delà du conflit d’intérêt qui consiste, pour des parlementaires censés représenter l’intérêt général, à voyager au frais d’un laboratoire qui attend un retour sur investissement (autrement dit, que ces parlementaires servent ses propres intérêts lors des propositions et votes des lois), une question de fond se pose. L’interdiction de consommer des cigarettes traditionnelles ou sans combustion dans les lieux publics et au travail est une décision extrêmement forte sur les plans sanitaire et sociétal, qui ne doit surtout pas être laissée entre les mains d’un laboratoire dont le seul objectif est d’augmenter ses bénéfices.
De la même manière, toutes les décisions de santé publique sont délicates, et ne doivent pas répondre à la rapacité d’une industrie plutôt qu’à la volonté de l’exécutif et du législateur d’œuvrer au bien-être de leurs administrés. Un principe démocratique inaliénable dont ferait bien de se rappeler Marisol Touraine, dont le combat acharné contre la cigarette la mène à prendre des décisions tellement inexplicables que certains se demandent si elles ne sont pas motivées par des intérêts privés. Une grille de lecture souvent probante.
Le laboratoire pharmaceutique GSK, dont elle fréquente les cadres dirigeants par le truchement du club Avenir de la santé, serait sans doute ravi de voir aboutir les tentatives de la ministre contre les industriels du tabac. L’augmentation constante et insensée du prix des cigarettes, qui encourage le marché parallèle et les achats transfrontaliers. La mise en place du paquet neutre, mesure controversée pour laquelle aucun chiffre fiable ne prouve l’efficacité en Australie, seul pays l’ayant adoptée. Mais aussi et surtout l’opposition inexplicable au développement de la cigarette électronique et autres produits sans combustion, dont l’ensemble de la communauté scientifique internationale s’accorde pourtant à dire qu’ils sont bien moins dangereux pour la santé que les cigarettes traditionnelles.
Les chiffres de l’Eurobaromètre, publiés fin juin, indiquent ainsi que la cigarette électronique aurait permis à 6 millions de fumeurs européens d’écraser leur dernière cigarette, et à 9 autres millions de diminuer leur consommation. Ils montrent par ailleurs que la cigarette électronique ne constitue pas, ou très marginalement, une porte d’entrée vers le tabagisme. Et que fait la ministre, forte de ces chiffres ? Elle continue d’appliquer à la cigarette électronique les mêmes restrictions qu’à la cigarette conventionnelle. Vous avez dit louche ?
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