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Accueil du site > Tribune Libre > Après Outreau, le fait divers ou les médias en question ?

Après Outreau, le fait divers ou les médias en question ?

Un article paru le 18 mars 2006 dans le journal Le Monde : « Après Outreau, le fait divers en question », tend à montrer que le monde médiatique s’interrogerait sur sa pratique après l’affaire d’Outreau. La Commission d’enquête parlementaire a, en effet, été amenée à entendre des journalistes, en raison de la représentation que les médias ont donnée de l’affaire sans trop se soucier de la présomption d’innocence.

À vrai dire, cette attitude est ancrée dans les mœurs, à en juger seulement par l’usage fautif qu’ils font rituellement de l’adjectif « présumé » : avant tout jugement, on les voit dénoncer quelqu’un comme « l’auteur présumé des faits », alors que la formule signifie que la personne est déjà considérée comme l’auteur des faits avant même tout examen. Or, en démocratie, seule l’innocence d’une personne doit être présumée, jusqu’à la preuve du contraire établie par jugement. Outreau, après tout, ne fait que s’inscrire dans une longue suite d’affaires, dites « fait divers », où les mêmes ingrédients dans les mêmes circonstances ont produit les mêmes effets. Outreau ne se distingue que par l’ampleur de l’horreur. L’article du Monde cite « l’affaire de Bruay-en-Artois », en 1972, celle du « petit Grégory » dans les années 1980. On voudrait ici rappeler « l’affaire du bagagiste de Roissy » , tant elle paraît exemplaire de la conduite ordinaire des médias face à un "fait divers".

I- La couverture médiatique de l’événement.

« Dans la nuit du vendredi 27 au samedi 28 décembre, un bagagiste de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle a été arrêté, en possession d’armes et d’explosifs qui étaient dissimulés dans sa voiture ». « Français d’origine algérienne, (il) est âgé de 27 ans , inconnu des services de police, et sans lien apparent avec les milieux islamistes. Il a été placé en garde-à-vue puis incarcéré. » C’est ainsi que le journal Le Monde du 31 décembre 2002 commence son article sur le sujet, avec comme titre : « Un bagagiste de l’aéroport de Roissy a été interpellé en possession d’un arsenal. Un engin explosif « prêt à l’emploi » a été saisi. »  Le Parisien titre, le 30 décembre : « Le bagagiste de Roissy transportait des explosifs », puis le 31, « Le bagagiste de Roissy avait une bombe prête à l’emploi. ». Le 3 janvier 2003, il ajoutait : « Les enquêteurs recherchent des complices du bagagiste. » et enfin, le 5 janvier, il annonçait : « Le bagagiste de Roissy confondu par son portable. ». De son côté, VSD commentait ainsi l’affaire, le 9 janvier 2003 : « Un parcours lisse : inquiétant. » Or, tandis que le bagagiste était sous les verrous depuis 10 jours, l’enquête a montré qu’il avait été victime d’une machination de la part de son ancienne belle-famille : un ami de celle-ci a avoué avoir mis lui-même, avec un complice, les armes dans sa voiture pour le compromettre. « Bagagiste "terroriste" l’hallucinant complot », « Quinze jours d’une folle enquête », titre Le Parisien, le 11 janvier. Le Monde, le 12/13 janvier, confirme l’issue de l’enquête : « Le bagagiste de Roissy a bien été victime d’un complot familial. »

II- Les leçons qui auraient pu être tirées de l’affaire.

Qu’est-ce qu’un pareil fait divers pouvait déjà apprendre à des médias soucieux de crédibilité ?

A- La conduite de la Police et de la Justice.

1- La Police et la Justice ont été, dans un premier temps, victimes de deux leurres : une mise hors-contexte associée au leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée. a- Ce dernier leurre est redoutable car il sollicite la contribution même du récepteur à sa propre tromperie. L’information donnée - peu fiable, car livrée volontairement par l’auteur du dépôt d’armes -, est la suivante : le bagagiste est un terroriste, car il transporte des armes de terroriste dans sa voiture. Or, elle devient, pour la Police et la Justice, une information extorquée, donc plus fiable, car elle est obtenue par leur propre raisonnement tiré d’une hypothèse, qui est ici, à leur insu, autovalidante : les objets qui se trouvent à l’intérieur d’une voiture appartiennent en général à son propriétaire ; c’est, en effet, la règle, mais ici, on est en présence d’une exception, exclue d’entrée du champ d’investigation, dans un premier temps. b- Quant à la mise hors-contexte de ce dépôt d’armes, elle est, à la fois, le climat général de guerre planétaire contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001 et le patronyme algérien du bagagiste, Abderrazak Besseghir, puisque les auteurs suspectés des attentats du 11 septembre sont d’origine arabe : Police et Justice ont donc déduit hâtivement que ce monsieur pouvait appartenir à un réseau terroriste. 2- Toutefois, un doute méthodique a été pratiqué puisqu’une enquête critique méthodique a été menée : l’information extorquée, qui en est résultée, a permis d’innocenter l’accusé, victime d’une machination.

B- La conduite des médias de masse

Quelle a été, face à ce « fait divers », la conduite des médias de masse ? Ils n’ont tout simplement pas pratiqué de doute méthodique et n’ont guère mené d’enquête critique méthodique. Pourquoi ? 1- Ils ont accueilli, comme information fiable, l’information donnée que leur livraient volontairement leurs sources policières ou judiciaires. Une raison explique cette naïveté : Police et Justice sont des autorités et leurs informations, arguments d’autorité, sont obligatoirement fiables. 2- Ils se sont simultanément laissé prendre aux mêmes leurres : « Un parcours lisse : inquiétant », titre VSD. On voit que ce raisonnement est fondé sur une hypothèse autovalidante délirante : un terroriste, depuis le 11 septembre 2001, est une personne sans histoire comme tout le monde ; donc une personne sans histoire est un terroriste... 3- On observe, ensuite, que les médias de masse ont rendu leur verdict, dès que « le suspect » a été arrêté : les « faits » dont ils offrent une représentation (arsenal - bombe), condamnent l’individu, avant même que l’enquête n’ait sérieusement commencé. Or, en démocratie, seul un jugement peut faire d’un présumé innocent un coupable ! 4- Mais, surtout, ils savent que l’exhibition du malheur d’autrui, ou des menaces y conduisant, déclenche chez les récepteurs un réflexe inné de voyeurisme qui provoque la pulsion d’achat du journal, comme celle qui les retient prostrés devant un écran. La stimulation simultanée de trois autres réflexes contribue au besoin à renforcer le réflexe de voyeurisme : le réflexe inné d’attirance devant tout ce qui touche à la sécurité de chacun, le réflexe socioculturel conditionné de condamnation des bourreaux qui menacent de s’en prendre à des victimes innocentes, et peut-être, chez certains, le réflexe ethniste de mépris à l’égard d’une personne issue de l’immigration .

Deux questions ardues.

On voit qu’une brève analyse de leur conduite face à ce fait divers aurait déjà pu conduire les médias à limiter les dérives dont ils se sont rendus coupables dans « l’affaire d’Outreau ». Mais n’est-ce pas déraisonnable de seulement y songer ? Le traitement d’un fait divers pose, en effet, aux médias au moins deux questions ardues : 1- Doivent-ils considérer les mondes policier et judiciaire - leurs sources privilégiées - comme des autorités dont la parole ne saurait être mise en doute ? Et, à défaut, les médias ont-ils toujours les moyens de mener une contre-enquête ? 2- D’autre part, dans le contexte du niveau culturel moyen contemporain, peuvent-ils, au risque de mettre leur audience et donc leur existence en péril, renoncer à la stimulation du réflexe de voyeurisme que permet de développer à loisir la nature même du fait divers ? Ce n’est donc pas le fait divers qui est en question après « Outreau », comme le prétend le journal Le Monde, mais les médias eux-mêmes, à raison de ce qu’ils ont fait eux-mêmes... de ce fait divers. Paul VILLACH


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3 réactions à cet article    


  • julialix (---.---.52.103) 21 mars 2006 14:41

    Ce n’est pas seulement le fonctionnement des médias qui est en cause mais aussi le fonctionnement du citoyen qui ne croise pas ces informations et ne les mets pas dans leur contexte. Il ne faut pas sortir de Saint-Cyr pour savoir que toute personne est faillible qu’il soit policier, juge, journaliste, homme politique.

    Le seul moyen d’avoir une information fiable est de multiplier ses sources.


    • Guy Lelarge (---.---.102.147) 22 mars 2006 04:21

      Outreau ? un manque de formation des juges à la logique et à la décision ! C’est donc sur ce « déficit » qu’il faut travailler. Mais je pense qu’à la sortie on peut prévoir un « enfarinage », même pour la « boulangère » Cheers, Guy http://arendtoutreau.blogspirit.com/


      • GAUCI (---.---.67.52) 30 avril 2006 13:50

        vous voulez nous dire que l’erreur est humaine que nous avons droit a l’erreur ect cher Monsieur s’il y a des personnes qui n’ont pas droit a l’erreur je pense que c’est les juges alors que voyons nous un triste spectacle de (gens de robe les appelent ont alors qu’ils font tous les jours n’importe quoi dans tous les palais de justices ils se permettent tous ce qui est possible et imaginable deux fois dans ma vie j’ai été ruiné par ces gens qui ne savent que mentirs et faire n’importe quoi comme travail par contre ma femme été assassiné pour 20 euros par un médecins la ça les intéresse pas ils ne veulent pas bouger

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