Ariana Grande : le concert pour les victimes de Manchester
Hier soir je cherchais la rétrospective Nasser : RTS 2 l’avait remplacée par le concert de Manchester d’Ariana Grande & Co. Alors j’ai regardé ce One Love tant que j’ai pu. Je dois dire que la petite Grande est terriblement charmante. La Grande soeur idéale des adolescentes.
Compassion
Sophistiquée, lisse, chevelure savamment tirée, cils de girafe, sweat shirt blanc à logo rouge, legging gris strict mais troué devant et derrière assez haut pour faire sexy sans trop. La petite princesse fait le spectacle en vraie pro. Et elle assure.
Son aisance sur scène est celle d’une vraie show woman aguerrie. Une présence formidable, un style très consensuel, et ce qu’il faut d’émotion pour faire pleurer les fans et rester au centre du jeu.
De sa belle voix pleine d’effets, au point où l’on dirait qu’elle a avalé une pédale oua-oua, elle égrène des chansons dans lesquelles on n’entend pas la moindre originalité créative. Voix, musique, style, semblent être clonés sur des décennies de musique et chanteuses à consommer dans le tram, écouteurs sur les oreilles.
Elle est la suite perpétuelle du système de showbiz de divertissement, qui recycle à l’infini ses idoles pour de nouvelles générations qui croient entendre quelque chose d’inattendu. Le Système, et le star system en particulier, se portent bien.
Ce concert était donc organisé en soutien aux victimes de l’attentat qui avait endeuillé sa précédente prestation dans cette ville de 500’000 habitants. Les recettes seront intégralement reversées au fond d’entraide. L’élan de compassion fonctionne, et les victimes de la guerre asymétrique ne seront pas abandonnées.
Dans le public, les milliers de petits coeurs formés avec les doigts signifiaient que la réponse à cette guerre terroriste, c’est l’amour. One Love. Quel love, on ne sait pas précisément. Celui qui dit que nous sommes tous Un, comme ces index pointés vers le ciel en nouveau signe de reconnaissance.
Un, même quand la bombe de Un arrache la tête de Un qui est le même Un – bien qu’un peu Autre.
Manchester avait besoin de célébrer. C’est normal. C’est une manière de replonger dans la souffrance avec recul pour lui faire lâcher prise. Un rituel collectif pour expurger la blessure faite à quelques-uns. Une religiosité élémentaire. Dans cette forme moderne de communion, Dieu est la Musique et le showbiz son prophète.
Bien sûr les fans, en général très jeunes, ont besoin de rêver. Rêver à un monde sans conflit, sans colère, sans blessures. Un monde déconnecté où leurs maquillages de carnaval ne choqueraient pas dans une cérémonie aux morts. Un monde où la compréhension mutuelle prévaut sur la défiance. Un monde d’où le tragique serait éradiqué, où la mort serait trop méchante pour leurs âmes trop tendres. L’unanimité de ces regards émerveillés, de leur love pour leur idole, était touchante.
Et pourtant…
Pourtant on a si peu parlé des victimes. Des pancartes portant l’inscription « For our angels » – pour nos anges – tapissaient bien l’assemblée de ces nouveaux croyants. Nos anges : encore une référence religieuse. Impuissance des mots à désigner la cruauté du monde, sauf à opposer implicitement ces anges au démon.
Pourtant personne n’a parlé du démon, du tueur, de son engagement politique et religieux. Il ne fallait stigmatiser aucune communauté. Ne pas désigner clairement l’adversaire. Ne pas faire de politique, ne pas rappeler que Tony Blair avait envoyé ses soldats faire une guerre basée sur le mensonge des Armes de destruction massive – mensonge qu’il a reconnu par la suite.
Ariana Grande en a pourtant fait, de la politique. En juillet 2016 elle soutenait Hillary Clinton et déclarait : L’islam est amour.
Hier, aucune mention ne fut faite de l’islam politique radical, du djihad militaire. Aucune mention des enfants-soldats endoctrinés par Daesh, saturés de vidéos de décapitations et de meurtres, affirmant leur volonté de tuer tout les ennemis – en particulier les juifs, bien sûr. À voir sur France 2 ce reportage récent d’Envoyé Spécial, Les enfants perdus du califat.
Aucune mention de Salman, le garçon de 8 ans qui a lui-même décapité sa victime. Aucun mot pour les fillettes vendues aux djihadistes comme esclaves sexuelles pour quelques milliers de dollars. Vendues aux enchères, passant par différents propriétaires. Déflorées ou non. Âgée parfois de moins de neuf ans (extrait vidéo du reportage ci-dessous).
« Voici l’une de ces annonces : "Esclave déflorée à vendre. Age : 13 ans. Corps : mince, grand. Son travail : elle nettoie et lave sans rechigner. Religion : convertie à l’islam, a commencé à apprendre le Coran. Prix : 9 000 dollars". Sur une autre annonce localisée à Raqqa, en Syrie, une "esclave vierge de 11-12 ans" est proposée à 11 000 dollars. Certaines fillettes sont maquillées et photographiées dans des poses suggestives pour être vendues plus vite et plus cher. Car il s’agit de ventes aux enchères. "Ça commence à 10 000 dollars, par exemple, explique le contact de la journaliste en Irak. Les jihadistes peuvent renchérir de 100 ou 200 dollars, jusqu'à ce qu’elle soit vendue. »
À Manchester, ce qu’on sert aux victimes de l’attentat, c’est un monde de bisounours, sans lucidité, sans regard sur le réel. On offre un supershow narcissique où pleurnicher ses bons sentiments dégoulinants serait être humaniste. Où les supervedettes invitées font leur promo, comme les Black Eyed Peas qui comme de par hasard sortent justement leur nouvel album. Ou comme Miley Cyrus, aux gestes autoritaires envers la Grande pour qui sait regarder les détails. Un vrai mec, Miley : on comprend mieux son exhibitionnisme sexuel sur scène.
Un supershow où, pour célébrer la mémoire des morts et des survivants, quatre filles font le show en tenue super sexy. Je croyais qu’un des signes du deuil est un minimum de pudeur vestimentaire. Mais non mais non.
Un supershow narcissique à l’image d’Ariana Grande qui, dans son dernier rappel, chante Over the Rainbow, et qui capte pour elle, dans quelques larmes fort opportunes, toute la lumière de l’événement, toute l’affection de fans en transe émotionnelle hypnotique. Qui alors pense encore aux victimes ?
Difficile de ne pas être au moins un peu désabusé au spectacle de l’occident plongeant dans le ramollissement émotionnel. Difficile de jouer le jeu de manière naïve et gentillette. Désolé de ne pas encenser comme les autres, malgré de louables intentions de la part des organisateurs. Difficile de croire à une bienveillance non calculée de ces stars.
Le charity business des people ne s’encombre plus de miettes de pensée politique comme dans les années 1980. Ici c’est directement de la charity promotion pour quelques millionnaires de la musique conformiste et clonée. Des millionnaires qui feront un peu plus de ventes grâce aux corps déchiquetés des victimes.
Ce libéralisme-là n’a plus de limites. Il croque la mort à pleines dents et à plein compte en banque. Ces grands prêtres « humanistes » modernes, ceux du monde d'en haut, connaissent leur intérêt.
Une bonne soirée pour les bisounours et les banquiers. Il ne manquait sur scène que Macron chantant le printemps.
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