BEJI et MEJRI, les deux premiers tunisiens, prisonnier ou réfugié politique, après la Révolution de Jasmin, pour délit d’opinion
1. Communiqué du Comité de Soutien à Ghazi BEJI et Jabeur MEJRI
Lundi 25 Juin 2012, la Cour d'Appel de Monastir a confirmé le jugement du Tribunal de Première Instance de Mahdia qui a condamné Jabeur Mejri, jeune internaute, à un emprisonnement de 7 ans. Ce même jugement a été prononcé par défaut à l'encontre de Ghazi Béji qui, lui, a été contraint de quitter le pays, demandant l'asile politique l’étranger, suite à l'accusation de ces deux jeunes internautes d'avoir causé de sérieux préjudices moraux par la publication de photos et d'écrits sur leurs pages Facebook.
Dans son jugement, le tribunal s'est basé sur les dispositions de l'Article 121 ter et 226 bis du Code Pénal et de l'Article 81 du Code des Télécommunications. Ces textes étaient l’instrument légal de répression auquel recourrait l'ancien régime pour opprimer ses opposants politiques.
Par ailleurs, le Tribunal avait opposé un refus à la demande de la défense pour soumettre Jabeur Mejri à un examen psychiatrique. Les avocats de ce dernier confirment que les conditions du déroulement de l’enquête et notamment les interrogatoires n’ont pas respecté les standards fixés par les normes et conventions internationales des Droits de l'Homme.
De plus, l'intégrité physique et morale de Jabeur Mejri, en tant que prisonnier d'opinion, est actuellement gravement menacée. De même, la sécurité et les Droits Civils de Ghazi Béji dans le pays d'accueil ne sont pas du tout assurés.
Nous, citoyens, internautes, militants des Droits de l'Homme en Tunisie, considérons que ce jugement n'est pas équitable, surtout au sein d'un pays qui se dit avoir rompu avec les méthodes de l'ancien régime mais qui prive, en définitive, ses citoyens de leurs droits de liberté de pensée et d'expression.
Nous demandons de suspendre cette procédure qui vise 2 jeunes internautes pour la simple raison d'avoir publié leurs opinions sur leurs pages Facebook.
Nous rendons les Instances Juridictionnelles et Pénitentiaires responsables de toute atteinte à l'intégrité physique et morale de Jabeur Mejri, pendant sa détention, et invitions, la Présidence de la République, les Députés de l'Assemblée Nationale Constituante, le Gouvernement Tunisien et notamment le ministère des Droits de l'Homme et de la Justice Transitionnelle, à ne pas fermer les yeux sur cette grave atteinte aux Droits de l'Homme.
Note
a. Cf. aussi, à ce sujet, le Lien ci-dessous :
« Tunisie : Sept ans de prison pour avoir tourné l’islam en dérision »
b. Ghazi Beji vient d’obtenir, à titre provisoire, des papiers de Réfugié Politique en Roumanie.
2. Poème-Hommage à ghazi BEJI et jabeur MEJRI
Ci-dessous est reproduit un beau Poème, intitulé « Je suis un mécréant ! », de Houda ZEKRI, en hommage à Ghazi Beji et Jabeur Mejri, les deux condamnés de Mahdia.
Source
http://houdazekri.centerblog.net/113-je-suis-un-mecreant
Je suis un mécréant !
Je suis un mécréant
Qui croit en son prochain
Je suis un apostat
Qui a quitté sa foi
Pour délivrer les pauvres
Je suis un renégat
Qui a nié le dogme
Pour approuver les doutes
Et pour semer l’espoir,
D’une vie meilleure
Maintenant sur cette terre
Je suis un hérétique
Qui défend l’éthique
Jamais, je n’ai volé
Jamais, je n’ai tué
Jamais, je n’ai convoité,
La femme de mon semblable
Je suis un pharisien
Je suis un cathare
Mais en aucun cas,
Je ne suis un Judas
Je suis duodécimain
Et suis le treizième messie
Je n’accomplis pas de rites
Ni circumambulation,
Ni ablution,
Ni circoncision
Mais j’ai le mérite
De donner la moitié de mon salaire
A une veuve et un à orphelin
Je suis un athée
Mais la sûreté de l’état n’ai jamais déstabilisé,
L’ordre public, n’ai jamais troublé
J’ai toujours aimé ma mère
Et pour mon père, j’ai beaucoup d’admiration
Je suis un fugitif
Condamné à sept ans de prison
J’ai erré de ville en ville
Jusqu’à trouver asile
A trois mille kilomètres de chez moi
Je suis un Tunisien
Qui tient à sa liberté
Et qui l’a bien cher, payé
Houda ZEKRI
23 juillet 2012
3. L’avis révoltant du Gouvernement Tunisien sur l’Affaire BEJI et MEJRI
Selon Noureddine Bhiri, Ministre Tunisien de la Justice, qui s'est exprimé le vendredi 27juillet 2012, sur l’Affaire Ghazi BEJI et Jabeur MEJRI, Ghazi BEJI et Jabeur MEJRI « ne sont pas des condamnés pour Délit d'Opinion » (sic) et Ghazi BEJI n’est pas « un réfugié politique » (re-sic), tout en reconnaissant, tout de-même,qu’ils ont été jugés selon des Lois existant avant la Révolution de Jasmin ! À ce sujet (et pour les arabisants), voir la vidéo ci-dessous postée sur le channel Youtube de l'Association Tunisienne « Conscience Politique » :
Ainsi, notre Ministre de la Justice s’est mis au diapason de Fouad Cheikh Zaouli, l’avocat (et, aussi, l’un des deux plaignants) qui a rédigé la plainte. En effet, cet Avocat-Plaignant a déclaré, dès le début, que « cette affaire n’a rien à voir avec la liberté d’expression, car les accusés ont outrepassé leur liberté d’expression en portant atteinte aux sentiments d’autrui », en ajoutant : « de toute façon, leur condamnation n’est rien à côté de ce que voudraient leur infliger d’autres personnes, comme les Salafistes dont certains veulent les tuer. En fait, actuellement, la prison est une protection pour Mejri » (sic).
Rappelons que les deux jeunes hommes, tous les deux âgés de 28 ans et Chômeurs-Diplômés-du Supérieur (respectivement d’anglais et d’agroalimentaire), ont été inculpés et condamnés, ensemble, pour avoir, soi-disant, publié des documents « de nature à nuire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs », motifs on ne peut plus vagues, permettant de condamner tout récalcitrant au pouvoir établi, et ce, en vertu de :
1. L’Article 121-ter du Code Pénal (Ajouté par la Loi Organique N°2001-43 du 3 mai 2001, Loi portant modification du Code de La Presse) qui définit comme délit « la distribution, la mise en vente, l'exposition aux regards du public et la détention, en vue de la distribution, de la vente, de l'exposition dans un but de propagande, de tracts, bulletins et papillons d'origine étrangère ou non, de nature à nuire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs ».
2. L’Article 226 du Code Pénal qui énonce que toute personne portant atteinte aux bonnes mœurs en s’étant « sciemment rendu coupable d'outrage public à la pudeur » est passible d’une peine de prison.
3. L’Article 86 du Code des Télécommunications, adopté en 2001, qui énonce que toute personne qui « nuit aux tiers ou perturbe leur quiétude à travers les réseaux publics des télécommunications » est passible d’une peine de prison.
Ce qui a fait dire à Sarah Leah Whitson, Directrice de la Division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch : « Tant que ces Lois répressives de l’Ère Ben Ali sont en vigueur, les autorités seront tentées de les utiliser à chaque fois que cela les arrange politiquement ».
Notre Ministre de la Justice, son Parti Islamiste tunisien Ennahdha au Pouvoir et ses alliés dans la Troïka ont vite oublié que, sous d’autres cieux, ce type d’Articles liberticides, qui possèdent la magnifique alchimie de transformer toute pratique de la Liberté d’Expression ou d’Opinion en un Délit de Droit Commun, alchimie caractéristique des Régimes Dictatoriaux et/ou Totalitaires, ont été largement utilisés par Zinochet et, avant lui, par Bourguiba contre leurs opposants dont font partie plusieurs éléments-vedettes de cette Troïka qui nous gouverne aujourd’hui. Parmi ces éléments-vedettes, on peut citer Moncef Marzouki, notre actuel Président Temporaire de la République, qui fut, sous lesdits cieux, une des figures emblématiques de la Défense des Droits de l’Homme en Tunisie, dans le monde Arabe et bien au-delà, et dont l’aura et la carrière politique doivent beaucoup à cette position. Et, il est, pour le moins que l’on puisse dire, triste, choquant et décevant de constater que le Locataire Temporaire du Palais Présidentiel de Carthage ait déclaré à l’Agence Associated Press, par le biais de son porte-parole, Adnène Mnaser, en commentaire de l’Affaire Ghazi BEJI et Jabeur MEJRI : « Attaquer les symboles sacrés de l’islam ne peut être considéré comme relevant de la liberté d’expression. Nous sommes un pays musulman, et à cet égard, nous sommes contre ceux qui insultent les religions. Il s’agit d’une forme d’extrémisme, qui provoque des réactions extrêmes que nous devons éviter en cette période délicate ».
Dame Religion, encore une fois, comme dans les époques les plus sombres du Moyen- Âge, mais sans l’avouer, on emprisonne et on essaye de museler en ton nom ! Sans une réelle mobilisation de la Société Civile et des Forces Démocratiques, la tournure que prend, aujourd’hui, l’Affaire Ghazi BEJI et Jabeur MEJRI ne peut qu’augurer du pire dans l’avenir proche ! Et, nul mieux que le Poème « Je n’ai rien dit … » de Martin Niemöller, reproduit ci-dessous dans sa version française, ne pourrait leur servir d’alerte :
« Je n’ai rien dit… »
Quand ils sont venus chercher les communistes,
je n'ai rien dit ;
je n'étais pas communiste
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n'ai rien dit ;
je n'étais pas syndicaliste
Quand ils sont venus chercher les juifs,
je n'ai rien dit ;
je n'étais pas juif
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
je n'ai rien dit ;
je n'étais pas catholique
Et puis, ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne pour protester
Salah HORCHANI
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